Trois leçons du grand sage Osho Babanesh

Trois leçons du grand sage Osho Babanesh
Davide Cali – Lionel Tarchala
Les éditions des Éléphants  2024

L’argent, la guerre, la mort

Par Michel Driol

On fait d’abord la connaissance d’Osho Babanesh, au travers de trois réponses pleines de bon sens et non dénuées d’humour à des questions qu’un public nombreux vient lui poser. Pius arrivent, sous forme de trois fables, de trois histoires, ses réponses à trois questions philosophiques. L’argent fait-il le bonheur ? Et le sage de raconter comment un homme très riche, après s’être entouré de collections variées, après les avoir revendues, prend conscience de la seule chose qui lui manque, un ami. Pourquoi fait-on la guerre ? C’est l’histoire de deux royaumes et d’un roi envieux, qui fait la guerre pour prendre ce qui fait la réputation du royaume voisin, sans pour autant en profiter. Enfin la mort vous fait-elle peur ? Un homme qui a l’angoisse de mourir, va s’isoler dans une forêt, où il se croit en sécurité, et où il meurt.

Voilà trois histoires qui prennent le détour de la fiction pour questionner sur la vie, dans lesquelles une forme de sagesse un peu naïve se conjugue avec une forte dose d’humour, dans la lignée des contes philosophiques. L’album ne prétend pas donner des leçons : il laisse chacun répondre, à sa façon, à ces questions qui renvoient à des thématiques importantes pour notre société : l’argent et la quête du toujours plus, la guerre et l’envie d’avoir ce que possède l’autre, et, plus intime, la peur de la mort. C’est par la caricature que procède l’album : chacun des protagonistes est dans l’excès, son défaut ou son trait de caractère est grossi jusqu’à devenir absurde. La comédie, la caricature sont bien des moyens de faire prendre conscience du monde qui nous entourent, et nous invitent, en contrepoint, à vivre dans un monde de la mesure : belle définition de la philosophie ! C’est par une pirouette finale que se clôt l’album, dans laquelle le narrateur affirme n’avoir jamais compris le sens de ces histoires. Cette quête de sens, au lecteur de la conduire, s’il le souhaite. Reste le plaisir fondamental de raconter et d’écouter des histoires.

Les illustrations de Lionel Tarchala, pleines de détails, pleines d’humour, accompagnent parfaitement le texte en montrant un monde cocasse où règne l’absurde des comportements humains.

Faut-il un gourou dans la vie ? Faut-il penser par soi-même ? Avec sa barbe à la Freaks brothers et son air de baba cool, Osho Babanesh est aussi un digne fils de Nasr Eddin Hodja dans l’humour, la dérision,  et le gai savoir !

Le Conte de l’unique nuit par Shéhé-Hazarde l’étourdie

Le Conte de l’unique nuit par Shéhé-Hazarde l’étourdie
Arnaud Alméras – ®obin
Gallimard Jeunesse Giboulées

Salade composée de contes

Par Michel Driol

Reprenant le récit enchâssant les Mille et une nuit, l’album commence avec un roi cruel et féminicide, dont  Shéhé-Hazarde, la fille du vizir, entend bien arrêter les crimes. Son plan est simple : raconter un conte et l’interrompre avant la fin… Mais rien ne se passe comme prévu. La jeune fille s’embrouille dans les noms, dans les situations, ce dont le roi se rend compte. Et on glisse ainsi de l’histoire de Sindbad  à celle d’Ali Baba, puis à celle d’Aladin… Tout se termine par un mariage dans le conte, et, dans le récit cadre, par un bâillement du roi qui s’endort pendant 1001 nuits… rêvant de l’histoire qui vient de lui être contée.

Cet album revisite habilement trois des histoires les plus connues des mille et une nuits, avec humour et facétie. D’abord par son personnage, une conteuse si étourdie qu’elle en vient à tout mélanger, mais se débrouille pour trouver une explication plausible à méprises, avec un sourire désarmant… Ensuite par le traitement des illustrations, qui jouent à la fois sur l’Orient rêvé des contes, une représentation très enfantine du héros de l’histoire racontée, et de savoureux anachronismes, comme le génie devenu pilote d’avion, ou les grues qui assurent la construction du palais final. Enfin par le jeu avec les récits, qui renouvelle le genre bien connu en littérature pour la jeunesse de la salade de contes. Les glissements progressifs sur les noms des personnages font ainsi passer d’un héros à l’autre, d’une histoire à l’autre, dans un enchainement narratif enlevé, fluide, et surprenant pour le lecteur qui connait les 1001 nuits. Le récit cadre est présent aussi bien dans le texte, marqué par les interruptions du roi, auditeur attentif et méfiant, reprenant chaque erreur, que par l’illustration, montrant, en vignettes, les visages de la conteuse, souriante, sympathique, et du roi, tour à tour, en colère, étonné…

Si le roi est bien conforme au tyran du conte original, la conteuse est une figure féminine actuelle, audacieuse, déterminée, pleine d’humour,  qualités qui compensent l’étourderie qui pourrait lui être fatale ! L’album revisite ainsi le pouvoir de la parole et du conte, de façon assez paradoxale dans le renversement final, car le récit embrouillé, confus, mais plein d’épisodes merveilleux, épiques, surnaturels finit par endormir le roi et le neutraliser. Façon de dire le pouvoir des récits, quelle que soit leur qualité, pour lutter contre la violence !

Catastrophes

Catastrophes
Hubert Ben Kemoun
Flammarion Jeunesse 2024

L’effet papillon

Par Michel Driol

Si Fabien la Motte n’avait pas été le visage de la photo de la fête foraine, si Alexandre n’était pas monté sur le Loopy crazy full, s’il n’avait pas lancé une canette de soda, si elle n’était pas tombée sur le transformateur électrique, s’il n’avait pas pris feu, s’il n’y avait pas eu un camion-citerne en panne devant le musée, les urgences de l’Hôpital n’auraient pas accueilli tant de blessés, et Alexandre ne se retrouverait pas au commissariat, accusé de tous les maux de la ville par le brigadier-chef Saint-Lazare.

On se souvient des dessins animés dans lesquels le Coyote invente des pièges diaboliques et complexes pour piéger Bip-bip..  C’est exactement l’impression que donne ce roman-catastrophe rocambolesque plein d’humour et de rebondissements, dans lesquels le héros est coupable soit d’avoir jeté une canette hors d’une poubelle, soit d’avoir causé la destruction d’une grande partie de sa ville. C’est un face à face, un huis-clos déséquilibré dans un commissariat, entre un enfant de 6ème et un brigadier-chef persuadé de sa culpabilité, policier étroit d’esprit, sans empathie ni ménagement.  Belle caricature de policier bedonnant ! Récit d’interrogatoire à charge, où tout, bien sûr, se retourne contre le pauvre Alexandre, auteur involontaire des faits et narrateur avisé qui rythme le récit par l’alternance de deux types de chapitres : Ce qu’on dit – Ce qu’on ne dit pas, donnant à entendre les confidences d’Alexandre au lecteur, ce qu’il ne révèle pas – pour différentes raisons – au policier.

Ce qu’on dit dans cette chronique : un formidable roman noir dans la tradition de certains ouvrages humoristiques de la Série Noire ,  enlevé, jubilatoire, où l’on va de catastrophe en catastrophe, avec un arrière-plan pourtant d’attentats et de menaces sur la ville, avec aussi le regard critique de l’auteur sur la société, sur la police. Ce qu’on ne dit pas : ce qui s’est réellement passé ce jour-là, et ce que cache précieusement le héros au fond de sa poche. Comme une sorte de revanche sociale, immorale ? à vous de le lire et de le dire !

Ernest est à l’ouest

Ernest est à l’ouest
Fabien Arca et Ema Constant
Rouergue dacodac 2023

Fragments du discours amoureux…

Par Michel Driol

Le jour de la rentrée scolaire, Ernest est subjugué par Anne L’Or, et ses grands yeux vert émeraude. Mais, entre récits mythomanes et silences gênants, que lui dire ? Comment expliquer les troubles corporels et langagiers qui le saisissent ? Peut-on être jaloux à 10 ans ? Serait-il amoureux ?

Le roman est d’abord plein de drôlerie. Par son narrateur d’abord, sympathique, attachant, naïf et gaffeur, élève qui n’a rien d’un surdoué ! Il n’est pas le seul personnage farfelu : le maitre, M. Kero, est un enseignant à la fois trop typique (colérique, sévère, redouté…) et atypique (ah ! cette leçon sur les sandwichs pour faire toucher du doigt les questions de la différence et des origines !). Ajoutons à cela l’invention verbale de l’auteur dans les noms des camarades de classe d’Ernest et une série de situations de plus en plus improbables, qui vont du travail en commun aux mensonges du frère ainé… pour culminer avec la fête de l’école. L’improbable vient de ce léger décalage entre ce qui pourrait être réel dans la vie et ce que le hasard et les pensées du narrateur en font ! Ce décalage est aussi présent dans les nombreuses erreurs d’orthographe d’Ernest, qui, en fait, révèlent un autre sens, un autre message amoureux. Cet humour du texte fait d’Ernest un digne descendant du petit Nicolas, dans le discours sur l’école, les copains, la famille…

Au delà de ce comique, l’auteur tente de faire ressentir, à hauteur d’enfant, ces troubles liés au premier amour, avec beaucoup de délicatesse, sans jamais s’en moquer. C’est l’inquiétude devant le nouveau, l’incompréhension, les hésitations sur les conduites à tenir, la façon d’interpréter ou de sur interpréter les moindres détails qui sont ici racontées par un narrateur bien surpris par lui-même. A son tour d’éprouver des chamboulements intérieurs, de se trouver, à partir de presque rien, soumis à des émotions bien contradictoires ! C’est aussi en donnant la parole à ses personnages (la touchante lettre d’Anne L’Or à sa grand-mère, par exemple) que l’auteur cherche à être au plus près des émotions et sentiments des enfants.

Les  illustrations en noir et blanc d’Emma Constant renforcent souvent l’effet caricature de certains passages de ce roman, véritable éducation sentimentale et affective.

De si mignons ogrillons

De si mignons ogrillons
Clotilde Perrin
Seuil Jeunesse 2023

Anges et/ou démons ?

Par Michel Driol

Dispositif ingénieux que celui de cet album. Une première page présente deux ogrillons sages comme des images. Mais, dès que l’on rabat la demi-page de droite, l’image devient celle de deux affreux garnements. Affreux, sales et méchants ! Dans une seconde partie, une surprise frappe à la porte : un bébé ! Mais le dispositif continue, les rabats une fois tournés, on voit les mauvais traitements que les deux ogrillons lui réservent !

Réduit à une seule ligne sous l’illustration pleine page, le texte se veut commentaire de l’image, avec deux formules récurrentes, Quels charmants petits ogrillons d’amour, suivi, page suivante, de Enfin, à peu de chose près… Humour du texte qui se situe soit dans l’hyperbole un peu puérile, soit dans la litote, laissant donc finalement le lecteur juger ce que montre l’image. Une image remplie de détails : bottes de sept lieues, tableaux et affiches qui se transforment, rat expressif omniprésent, livres (de cuisine) aux titres alléchants… Comique de gestes, comique de situation, grotesque : l’album joue de tout cela pour libérer un rire salutaire. Un rire disant et amplifiant des choses bien identifiées. Qu’il est bien difficile pour des enfants – ogrillons ou humains – de se conformer à ce qu’on attend d’eux : la gentillesse, l’ordre et la politesse, l’accueil sans sourciller d’un petit frère ou d’une petite sœur. C’est bien de cela que parle cet album, qui donne, sous ses outrances carnavalesques, une image vivante et bien réaliste  de l’enfance et de ses contradictions. Par la caricature, l’autrice montre et exhibe ce gout des enfants pour la transgression des règles, et pose en filigrane la question de leur identité : sont-ils mignons ? Sont-ils affreux ? La fin apporte une réponse… encore que…

Un album qui joue sur les effets de surprise, de rebondissement, dans lequel on retrouve tout l’univers graphique et imaginaire de Clotilde Perrin : drôle, décalé, cruel pour montrer, avec humour, à quel point « La chose la plus terrifiante, c’est de s’accepter soi-même », phrase de Gustave Jung citée en exergue.

Comme une chaussette orpheline

Comme une chaussette orpheline
Roxane Lumeret
La partie 2023

Cherche sosie désespérément

Par Michel Driol

Le Lapin est  veuf. Sur les murs de sa maison, les portraits de sa Lapine commencent à jaunir. Pour en conserver l’image, quoi de mieux que de faire venir des sosies pour les photographier ? Mais aucune des sept candidates qui se présentent ne convient, et, l’une après l’autre, elles finissent à la cave, puis se sauvent, trouvent un dépôt de dynamite, font exploser la maison de Lapin. Mais l’une d’elle se débrouille pour revoir Lapin… et c’est le début d’un nouvel amour !

Sous son allure très sage et très classique, une illustration en ligne claire bien délimitée par page, au-dessus de trois lignes de texte, voici un album plus subversif qu’il n’en a l’air ! D’abord par l’histoire racontée, non pas simplement l’histoire d’un souvenir qui s’efface et d’un deuil impossible à faire, mais une histoire qui dérape doublement à partir du moment où le Lapin décide de faire passer un casting photo à des prétendantes. Avec humour, l’autrice fait défiler une galerie de Lapines plus improbables les unes que les autres, et bien éloignées physiquement de la sage Lapine que l’on voit en photo sur les murs de la maison. Une chanteuse bien trop maigre qui ose s’emparer du collier de la Lapine. Une gardienne de perruches, accompagnée d’une nuée d’oiseaux sans gêne. Une dentiste pour pipistrelle… On laissera aux lectrices et lecteurs le plaisir de découvrir les autres ! Comme le père Ubu, le Lapin se débarrasse d’elles, A la trappe !, avec sauvagerie et brutalité. Chaque défaut – entendons par là chaque différence avec la Lapine – mérite un séjour dans la cave. Dès lors on bascule dans l’irrationnel, dans la colère et dans les violences faites aux femmes que le héros séquestre sans le moindre remords. Puis, nouveau rebondissement, avec l’évasion des Lapines unies et solidaires, qui décident de se venger en faisant tout sauter. La fable et le propos deviennent féministes. Quant au dernier rebondissement, il assure le triomphe de l’amour entre la Dentiste pour pipistrelle et le Lapin, comme une réconciliation finale, entre les genres, mais aussi avec la prise de conscience que, si la Lapine était unique et irremplaçable, la vie peut néanmoins continuer.

Mais la subversion, c’est aussi celle des stéréotypes, posés pour être aussitôt déconstruits. Prenons l’image de couverture, et la représentation du couple de lapins. Des lapins d’un rose fluo improbable, l’un vêtu de bleu, l’autre de rouge (presque rose !), collier de perles autour du cou et œil qui frise ! Par l’excès, la caricature, l’autrice montre pour dénoncer cette illusion de bonheur factice.  Caricature et exagération dans les représentations des visages, en particulier de ceux du Lapin, qui passe par tous les états, de la tristesse à la colère, puis  à l’abattement  et au bonheur. On suivra avec intérêt le motif de la clef, symbole de la sottise et du pouvoir du Lapin, présent dans la dernière page, mais sous les fesses de la nouvelle Lapin ! Et, bien sûr, on regardera avec intérêt tous les détails, ceux de la maison de Lapin, la représentation du monde souterrain des égouts, les différents animaux qui peuplent la ville…

Humour et fantaisie débridée pour cette fable qui se pose quelque part comme une réécriture contemporaine de Barbe bleue, où des femmes s’unissent pour se libérer d’un sot Lapin macho. Preuve, s’il en fallait une, que la littérature pour la jeunesse contemporaine peut aborder tous les sujets, à condition de le faire avec une certaine distance et un pas de côté (animalisation, humour…)

Le Grand Effroyable

Le Grand Effroyable
Angélique Villeneuve – Laetitia Le Saux
Sarbacane 2023

Où sont passés les méchants ?

Par Michel Driol

Albi, le chat, écoute avec attention et délectation les histoires du soir racontées à ses petits maitres. Ce ne sont que reines maléfiques, vieilles sorcières et autres monstres qu’il aimerait côtoyer pour de vrai. Un matin, il va dans la forêt à leur rencontre. Mais la sorcière, tout de rose vêtue, caresse un petit chien bien frisé. La dragonne devant sa coiffeuse se frise les cheveux, et les loups, en habits du dimanche, piquent niquent… Quant aux fantômes, c’est avec un verre de lait fraise qu’ils l’accueillent. C’est décidé. Albi sera le plus vilain chat de la terre avec ses griffes, le Grand Effroyable ! Mais quand les enfants reviennent déguisés d’un anniversaire, c’est le pauvre petit Albi qui tombe à la renverse !

La littérature de jeunesse entretient avec la peur et la cruauté des liens étroits. Monstres des contes, cruauté des personnages, il s’agit bien, selon la perspective classique analysée par Bettelheim, ou par Serge Boimare de permettre à l’enfant de vivre par procuration ses terreurs, de se confronter avec le mal sans courir le danger physique de l’affronter. Or, aujourd’hui, ce sont des peurs que l’on se joue, en particulier dans cet album où le personnage principal veut découvrir par lui-même si ce que dit la littérature est vrai. Avec courage, il entreprend sa quête pour se confronter aux vrais méchants, et non à leur représentation dans les histoires. On le sait, au moins depuis l’Homme qui tua Liberty Valance, « Quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende. ». C’est bien cela que découvre le héros. Avec humour, l’album nous montre des monstres assagis, civilisés, fashion-victimes, urbains et courtois, bien loin de leur réputation. La nature ayant horreur du vide, ne reste plus à Albi qu’à prendre le rôle du méchant. Mais le renversement final montre une fois de plus le poids de l’illusion, de la représentation. Comme il avait été trompé par la littérature, Albi se retrouve trompé par les déguisements.

Quel rapport entretenons-nous avec nos peurs ? avec la fiction ? Avec le réel ? Telles sont les questions que pose subtilement cet album plein de malice et de retournements, dans lequel rien n’est jamais ce qu’il semble être, dans lequel le réel ne cesse de se travestir. Est-ce une mise en garde contre le pouvoir dangereux des fables ? Plutôt une mise en garde contre celles et ceux qui prendraient pour argent comptant les récits et l’illusion romanesque. Il y a de l’Emma Bovary dans Albi. L’une cherche l’amour comme dans les livres, l’autre cherche la peur. Mais tel est pris qui croyait prendre, et, au bout du compte, Albi est victime de sa naïveté, de sa crédulité, de ses sens. S’il y a un message dans cet album (mais peut-être ne faut-il pas en chercher !), c’est bien celui de se méfier des illusions ! Les illustrations, pleines de drôlerie, réalisées au tampon, contribuent à jouer et avec les stéréotypes et à les déconstruire, pour le plus grand plaisir du lecteur.

Un album plein d’humour, où l’on va de surprise en surprise jusqu’à la chute finale, pour nous apprendre à rire de nos peurs.

Pomme gratitude

Pomme gratitude
Sarah Turoche-Dromery
Editions Thierry Magnier – Collection En voiture Simone 2023

Un mot pour un autre, des maux pour des biens

Par Michel Driol

D’un côté le grand père de Charlotte qui a été victime d’un AVC. Cet homme, autoritaire, inflexible, renfrogné, grognon, mélange les mots, de façon quasi incompréhensible. De l’autre, la mère de Charlotte qui doit participer à un séminaire. Au centre : Charlotte qui doit s’occuper de son grand père durant quelques jours. Rien de simple dans cette cohabitation forcée, jusqu’à ce que le grand père décide de retourner chez lui, en prenant le train… Charlotte et son amie Emma n’ont d’autre solution que de prendre le train suivant jusqu’à une improbable gare de campagne.

Sur un sujet qui pourrait être douloureux, les conséquences d’un AVC, les relations tendues entre un vieil homme et sa petite fille,  Sarah Turoche-Dromery propose un texte plein d’humour et de légèreté, façon de tout dédramatiser et de proposer un récit plein de vie et d’optimisme. Cela vient de la personnalité qu’elle donne à sa narratrice, vive, mais aussi en doute sur ses propres capacités (sociales, culinaires…), joueuse de foot, mais dotée d’un atout : elle comprend tout ce que dit son grand-père. Ensuite par l’enchainement des péripéties, avec ce train-movie et cette poursuite du grand-père en rase campagne. Ajoutons y la galerie colorée des personnages secondaires : Emma, l’amie de la narratrice, sa propre grand-mère, sourde, le vendeur de gaufres et glaces qui truffe ses propos de mots anglais, et, pour couronner le tout, une orthophoniste dont le nom lui-même est un défi à la prononciation : Yéléna Zlaschagrewziskyste.  Enfin, les propos déformés par l’AVC du grand-père deviennent d’une cocasserie irrésistible, où l’incongruité des mots employés contraste avec la syntaxe et le ton extrêmement châtiés ! Bien sûr, on l’aura compris, c’est un feel-good roman, avec un happy end qui verra le triomphe d’un double amour, celui de la mère pour sa fille, celui du grand-père pour sa petite fille. Avec, en filigrane, deux histoires secondaires, le grand-père de Charlotte qui se retrouve dans la même maison de repos que la grand-mère d’Emma, et Emma qui a fait la rencontre d’un fils de paysans durant la folle nuit ! Ajoutons que chaque chapitre se clôt par un encadré, commentaire sportif, footballistique, décalé du match en cours entre Charlotte et son grand père.

Un roman drôle, plein d’humour, mais aussi de tendresse : comment prendre soin de soi et des autres dans des situations complexes ? Une pomme historiographie ! conclurait le grand-père.

Opération Cupidon

Opération Cupidon
Emilie Chazerand – Joëlle Dreidemy
Editions Sarbacane – Pepix – 2023

Il est des jours où Cupidon s’en mêle (ou s’emmêle)

Par Michel Driol

Vous avez, comme le héros, 11 ans et quart, deux papas (ce qui ne pose pas de problèmes, sauf quand ils vous obligent à faire du jiu-jitsu brésilien) et une certaine insensibilité aux autres, sauf à Coralie, votre voisine du dessous, qui vous lance un SOS parce qu’elle vient d’apprendre que ses parents divorcent. Cela vous contrarie car elle n’habitera plus l’appartement du dessous…

Voici le point de départ de ce nouveau roman, mais en voilà les ingrédients. D’abord un héros au nom improbable, et surtout imprononçable (Jean-Moulin Glavio-Zumgeburtstagvielglück, comme un défi aux méthodes de lecture syllabiques !). Ajoutez son snobisme, le fait qu’il fréquente un collège-pour-garçons-à-l’exception-de, et faites-lui visiter, avec deux jumelles bien délurées pour leur âge, et surtout totalement identiques, une boutique de lingerie fine, Fess’tival… Et puis, n’hésitez pas à lui faire rencontrer (au téléphone), un mage… et, en vrai, Cucu, ou plutôt le dieu Cupidon, déchu de l’Olympe, reconverti en vendeur de churros. Du coup, on en profitera pour visiter l’Olympe et rencontrer la maman de Cupidon ! N’oublions pas Camilla-Parker, une femelle ara, des poules et des buses ! Et vous aurez une idée de l’originalité pleine de fantaisie de cette intrigue menée tambour battant !.

Ladite intrigue est servie par une langue et une verve tout aussi déjantées : adresses au lecteur, dialogues savoureux, jeux avec la typographie, notes de bas de page, retours en arrière… le tout accompagné par des illustrations en noir et blanc pleines de vie et d’humour !

Et l’amour dans tout ça ! Celui des deux papas du narrateur, celui, déjà passé, des parents de Coralie. L’amour est-il le résultat des manigances de Cupidon, qui, dépossédé de son arc et de ses flèches, possède néanmoins le secrets de la recette de la bouillie d’amour… Est-il éternel ? Restent de graves questions posées avec légèreté à la fin de l’ouvrage : peut-on forcer les gens à tomber amoureux ? ou les sentiments sont-ils affaire personnelle, engageant chacun ? C’est bien la question aussi du libre arbitre et de la liberté qui sont ainsi posées, explicitement. Celle aussi de l’altruisme dont saura faire preuve le héros dans la formulation des trois vœux que les dieux de l’Olympe vont exaucer. Grandir, c’est aussi cela, sortir d’un cocon bien propret pour entrer dans la vraie vie et s’intéresser aux autres, et oser devenir soi.  Mais tout cela est montré avec tant d’humour et de drôlerie qu’on s’en veut presque de le dire aussi platement dans cette chronique.

Désopilant, fantaisiste, farfelu, c’est un roman qui sait aussi jeter un regard attendri sur l’enfance..

Elliot champion de surf et de plein d’autres trucs super cool

Elliot champion de surf et de plein d’autres trucs super cool
Cécile Chartre
Rouergue Dacodac 2023

Vacances à la maison

Par Michel Driol

Tristes vacances pour Eliott. D’abord celle qu’il aime (sans encore oser le lui dire), Lisa, part en Suède… Il se verrait bien roi de ce pays, dans ses rêves. Sa sœur va partir pour ses vacances. Sa mère lui a installé dans le jardin une piscine trouée. Le voisin, victime d’une crise cardiaque, est parti à l’hôpital. Reste son chat Ramon… et le petit fils du voisin, un Parisien bien différent de lui mais avec lequel, finalement, il va passer les meilleurs vacances de sa vie !

On retrouve avec plaisir Elliot, ses aventures minuscules, sa timidité devant Lisa, sa maladresse, et sa façon de vivre dans son monde, dans ses rêves, dans les différents surnoms qu’il se donne (Elliot –Premier du nom, Elliot – le magicien…) comme une façon de compenser ses complexes, son sentiment d’infériorité. Avec beaucoup d’humour, dans ce récit toujours à la première personne, il évoque sa famille (sa mère, qu’on devine sans trop d’argent, qui achète sur le Bon Coin ou à Emmaus et dont les jurons sont remplacés par des bip…), son chat (son seul véritable ami, c’est dire sa solitude), sa sœur… Un voisin en particulier, Robert – le voisin, sans arrêt en train de râler et d’observer.  Bien sûr, le récit va montrer comment ce voisin n’est pas si mauvais que cela ! Le roman enchaine de multiples épisodes, comme autant de petites séquences illustrant le regard d’Elliot sur la vie, à la fois fait de naïveté, d’imagination et d’une certaine conscience  du réel. C’est cela qui en fait un personnage attachant, fragile, plein de bonne volonté et de détermination. Un enfant de 10 ans avec toutes ses contradictions et ses exagérations !

Un roman qui dit les trouvailles de l’amour maternel, le besoin d’amitié d’un enfant, et un formidable appétit de vivre !

Voir la chronique d’Elliot super héros