Prelude of a Queen
Lili Miller – Zoé Crevette
Eidola 2025
L’enfant oiseau
Par Michel Driol
Ugo, qui nait au printemps, dès son plus jeune âge, est attiré par les oiseaux. Il grandit différent, fille-garçon, garçon-fille, solitaire et isolé à l’école. Lorsque des plumes colorées poussent sur son corps, sa mère les arrache, pour le rendre semblable aux autres. La peau d’Ugo n’est plus que plaie, tandis qu’on se moque toujours de lui. Sa mère alors renonce à le déplumer. De retour au collège, avec son amie Lisa, enfin lui-même, il peut inventer un nouveau monde, sous le regard médusé des autres.
Sujet – oh combien délicat ! – celui des drag queen, de la transidentité, abordé avec un tact et une poésie magnifique, tant dans le texte que dans les illustrations. Cela vient d’abord du déplacement opéré des problématiques de trans identité homme-femme vers un être mi enfant mi oiseau, situation qui renvoie aussi bien à la mythologie qu’à d’autres albums de jeunesse. Ce pas de côté vers l’imaginaire rend ainsi acceptable pour tous la vraie problématique portée par l’album, sans la nommer explicitement. Chacun aura ainsi son niveau de compréhension, en fonction de ses intérêts, de son vécu, de son âge. En revanche, il est question explicitement de différence, différence qui marque le corps, différence qui isole, qui laisse la place aux harcèlements, et de la volonté maladroitement protectrice d’une mère aimante. La poésie, c’est aussi celle du texte, de l’usage qui est fait ici de la langue. Une langue qui fait la part belle au lexique des oiseaux, dans ses comparaisons et ses métaphores. Une langue particulièrement travaillée dans ses reprises et ses anaphores, dans le rythme des phrases. Une langue qui sait suggérer plus que nommer explicitement, et laisse chacun rêver, en s’appuyant peut-être sur le magnifique travail graphique proposé par Zoé Crevette. Ses illustrations proposent un univers, dans lequel les oiseaux – et leurs plumes – ont toute la place. Des images en teintes froides pour montrer la solitude, des images aux teintes chaudes pour montrer la métamorphose de l’enfant en oiseau, aux plumes chatoyantes, aux ailes déployées, prêt à prendre son envol, créature hybride et fantastique, danseur qu’on dirait sorti de l’oiseau de feu !
Ajoutons que l’album se présente en version bilingue, français et anglais, et que des qrcodes permettent d’écouter trois compositions de Franky Gogo ajoutent une dimension musicale à ce conte.
Rêve, émotion, souffrance, découverte d’un autre monde et de sa véritable identité, beauté… Voilà ce dont parle cet album tout à fait remarquable avec, répétons-le, des mots qui ne choqueront personne, mais sauront ouvrir l’esprit et le cœur.