Alma, t. 3 : La liberté

Alma, t. 3 : La liberté
Timothée de Fombelle
Gallimard jeunesse, 2024

Du rose dans le noir

Par Anne-Marie Mercier

Arrivé au dernier volume de sa trilogie, Timothée de Fombelle s’est trouvé devant des choix difficiles : en effet, comment faire pour réunir des personnages dispersés entre France et Amérique, les uns captifs ou même esclaves, d’autres coincés par diverses obligations, d’autres encore sans ressources, blessés… Comment faire aussi pour qu’ils se retrouvent, cachés parfois sous des noms d’emprunt ?
Le récit va, tambour battant, se pliant à la marche de l’histoire (Révolution française, prise de la Bastille, journées d’octobre, fuite à Varennes etc., insurrection à Saint Domingue, exploits de Toussaint Louverture, abolition de l’esclavage, commencée à Paris mais effective par les armes aux Antilles…). De nombreux personnages fictifs ou « historiques » interviennent mais on retrouve toujours le sinistre Saint-Ange, cupide et sans scrupules mais  amoureux comme d’autres de la belle Amélie, Joseph Mars, à la poursuite d’un trésor, oubliant parfois que le vrai trésor est l’amour qu’il éprouve pour l’indomptable Alma; elle a toujours son arc et son cheval, le cheval Brouillard, présent dès les premières pages de la trilogie, qui galope avec eux jusqu’au dénouement… tout cela fait un merveilleux roman d’aventures où la quête de la vengeance, de l’amour et de la fortune s’entremêlent pour s’effacer devant le bien suprême, la liberté.
Mais malgré tout, il demeure un malaise : tout finit bien, du moins pour les personnages principaux : ils se retrouvent pour couler enfin des jours heureux. Un roman qui a pour toile de fond l’esclavage peut-il finir bien à ce point ? Cette lecture laisse au lecteur assez informé pour être réticent face aux invraisemblances un sentiment de malaise. Il aurait fallu quelques séquelles, sacrifier quelques personnages, et un peu (beaucoup ?) du futur possible pour que tout cela ne finisse pas en conte de fées.

Agoulou Granfal et le rocher de la gourmandise

Agoulou Granfal et le rocher de la gourmandise
Alex Godard
Albin Michel Jeunesse, 2015

Le Festin de Nany-Rosette

Par Anne-Marie Mercier

Agoulou GranfalIl n’y a pas assez d’œuvres issues de la francophonie dans les bacs des bibliothèques et des librairies pour la jeunesse ; il y en a bien peu dans les programmes scolaires : quelques contes en 6e, quelques romans plus tard. Voilà au moins un album qui répare un peu ce manque bien qu’on soit encore dans le domaine du conte. Il le fait avec couleur, fantaisie, gourmandise enfin puisque c’est le thème de l’histoire.

On voit sur une île des Antilles une petite fille, Nanie-Rosette, qui se régale de la cuisine que lui prépare sa mère, une mère qui se régale de cuisiner pour elle et pour ses amis, et le lecteur lui-même se prend à avoir faim de toutes ces bonnes choses. Mais voilà, gare à l’Estomac sur pattes, Agoulou Granfal, qui dévore les gourmands qui ne veulent pas partager !

Dans ce conte enlevé on trouve les pauses du conteur, sa verve, ses « Crik et Crak », des épisodes proches du folklore européen (le conte des sept biquets), et enfin, une fin ouverte sur un choix entre plusieurs scénarios. Oui, décidemment, cet album est un vrai festin de saveurs et de couleurs.

C’est aussi l’occasion de réfléchir au rôle des collecteurs, notamment au personnage de Lafcadio Hearn (1850-1904), écrivain irlandais né dans les îles ioniennes, orphelin, borgne, rejeté, devenu journaliste aux Etats-Unis, renvoyé de son travail pour avoir épousé une métisse, découvrant le créole à la Nouvelle Orléans, puis aux Antilles, et devenu japonais sous le nom de Yakumo Koizumi. Il a traduit le conte du créole, et l’a publié dans Trois fois bel conte (Mercure de France, 1932). Et enfin revoilà Agoulou, tout vert avec des grandes dents et bien vivant pour tous les enfants  de langue française (et pourquoi pas les autres ?): quelle aventure…