Enigma. Tome 1 : Prédictions

Enigma. Tome 1 : Prédictions
Johan Heliot

Rageot Thriller, 2014

Performativité du futur

Par Matthieu Freyheit

enigma1Véra et Théo, deux jumeaux privés de leur mère et élevés par un père auteur de science-fiction, font l’étrange découverte d’un tout aussi étrange objet : un Smartphone qui n’en est pas un. Appelé Oracle, l’objet interroge le futur d’un individu ou d’une situation à partir d’une analyse de toutes les données disponibles à son sujet. Une manière de rappeler, avec Robert Metcalfe et William Gibson, que le futur est déjà là, éclaté : en attente d’être assemblé et, surtout, réalisé. Le premier tome d’Enigma interroge ainsi le pouvoir des données non seulement comme savoir, comme connaissance, mais comme support à réalisation, à élaboration du réel – sorte de construction de la réalité sociale (Searle).

La science-fiction s’inscrit ici dans une tradition classique d’extrapolation d’une réalité sous-jacente, d’un état en formation tacite : représenter notre monde, tel qu’il pourrait être entrepris, saisi.

De façon désormais traditionnelle, ces éléments de science-fiction se mêlent à des motifs d’enquête, de course-poursuite, d’espionnage, entrecroisant les récits et les enjeux sans encore nous livrer la clef du mystère qui fait des jumeaux Luck une proie si prisée.

L’Oracle, objet quasi divinatoire, rapproche le roman de la science-fantasy que l’auteur Johan Heliot, explorait déjà en 2003 dans Faerie Hackers notamment. Par ailleurs, Heliot revient sur la figure, devenue incontournable dans les représentations de notre abordage technologique, du hacker, que l’on trouve également chez Laurent Queyssi (publié aussi chez Rageot). Avec, bien entendu, les motifs que cette figure implique : liens avec le gouvernement, culture du secret et du complot, multinationales, luttes et alliances, mais aussi culture fictionnelle ici représentée par la figure intéressante du père écrivain.

Théo et Véra se retrouvent dans deux autres tomes d’Enigma : Connexions et Machinations.

Le Voyage dans le temps de la famille Boyau

Le Voyage dans le temps de la famille Boyau. Un roman à lire et à jouer
Yves Grevet et Julien Meyer (illustrations)
Syros, 2014

Le passé est un jeu comme un autre

Par Matthieu Freyheit

Le Voyage dans le temps de la famille BoyauL’auteur reprend ici les codes du livre-jeu et, en sous-main également, ceux plus discrets du cahier de vacances auquel Le Voyage dans le temps de la famille Boyau s’assimile parfois davantage. Tutoyé dès les premières lignes, le lecteur est pris à partie par Victor, douze ans, fils d’un inventeur et d’une historienne. Victor, enfant typique du début du quatrième millénaire. Victor toujours, donc le père décide d’emmener sa famille dans un voyage interdit vers un passé mystérieux de l’humanité : le 21e siècle. Le voyage proposé par Yves Grevet a l’intérêt de mettre le lecteur en relation avec son propre passé récent (saura-t-il reconnaître les ancêtres de son téléphone bien-aimé ?), mais aussi d’engager l’idée qu’il appartient lui-même à un présent qui passera bientôt au rang de passé explorable, d’Histoire. Déjà dépassé, le 21e siècle ? Une leçon de relativisation, donc, diluée dans une succession de jeux, de codes, de rébus à déchiffrer, d’indices à découvrir qui mettent constamment le lecteur-joueur en rapport avec les différentes temporalités qui l’entourent, avec lesquelles il dialogue parfois sans en avoir conscience. Les illustrations elles-mêmes ne cherchent pas une quelconque poésie mais se mettent au service du jeu et de la redécouverte de son propre univers. Un voyage qui se prête, sur un mode ludique, à l’introduction de motifs complexes, et pourquoi pas au récit d’un certain Huron venu en France…