Délit de solidarité

Délit de solidarité
Myren Duval
Rouergue doado 2021

Ils ne savaient pas que nous étions des graines

Par Michel Driol

Une bande de copains de troisième, quelque part en Picardie, quelques jours avant le brevet. Il y a là la narratrice, Lou, son amie Soname, et trois garçons, Eliott, franco-anglais souvent seul chez lui, Victor, déjà tenté par quelques drogues, et Roman, plus timoré. C’est dans les anciennes carrières qu’ils ont l’habitude de fréquenter qu’ont trouvé refuge deux migrants venus de Syrie et leur nièce, Farah, orpheline. La bande d’ados va venir en aide aux Syriens, leur apporter des médicaments, des vêtements, de la nourriture, jusqu’au jour où des gendarmes font irruption au collège et les interpellent, pour aide au séjour d’étrangers en situation irrégulière.

Le roman suit au plus près le questionnement de la bande de jeunes, en particulier de la narratrice. Ils se sentent pris en étau, entre le désir de venir en aide, en particulier lorsque Farah tombe malade, et la promesse qu’ils ont faite de n’avertir personne. Ils ne sortent pas indemnes de leur découverte bouleversante du monde de l’exil, et c’est là la grande force du roman. Comment s’intéresser à la grammaire, au brevet, quand il y a des guerres, des exilés (l’un des oncles était directeur d’école et avait constitué toute une bibliothèque sous les bombes…) ? Quelles sont les priorités dans la vie ? A qui faire confiance ? A qui parler ou ne pas parler ? Justesse donc des réactions et de l’évolution des pensées des personnages, retranscrites avec fidélité par Lou, troublée par le sort de Farah en qui elle voit comme un double d’elle-même, ce qu’elle serait peut-être si elle était née ailleurs. Mais réalisme aussi du roman qui se clôt sur une fin ouverte permettant de montrer que les adultes aussi sont capables de solidarité. Myren Duval écrit une belle scène lorsque les gendarmes font irruption au collège et que la vieille professeure de français s’en prend à eux avec véhémence, défendant ses élèves et une certaine conception de la solidarité. Comment peut-on être coupable de vouloir aider ? Attitude aussi pleine de retenue, de délicatesse, d’intelligence des parents de Lou, qui ont tout compris sans rien dire, et ont pu venir en aide aux Syriens avant l’intervention des gendarmes. Jusqu’où continueront-ils leur long chemin d’exil ?

Un beau roman, nécessaire aujourd’hui encore, qui montre des adolescents faire preuve de débrouillardise, de solidarité, de tolérance et d’ouverture d’esprit et s’interroger vraiment sur le monde qui les entoure.

Antigone sous le soleil de midi

Antigone sous le soleil de midi
Suzanne Lebeau
Editions théâtrales jeunesse – 2021

Qu’est-ce que gagner veut dire ?

Par Michel Driol

Antigone et sa famille ont-ils encore quelque chose à nous dire aujourd’hui ? C’est cette question, posée par le Coryphée, qui traverse ce texte de Suzanne Lebeau.

Trois personnages seulement pour raconter l’histoire d’Antigone : Antigone et Créon, bien sûr, ainsi que le Coryphée, façon de renouer avec l’essence même de la tragédie grecque. Dans une perspective très pédagogique (au bon sens du terme), ces personnages racontent l’histoire de la famille d’Antigone : celle de son père Œdipe, celle de ses frères, celle de Thèbes et de la peste qui la frappe. C’est comme terme à cette histoire que les « événements », comme dit le Coryphée, qui constituent le destin d’Antigone, se situent.

Cette réécriture du mythe toujours actuel par Suzanne Lebeau vaut, en particulier, par sa relecture des personnages, en particulier celui de Créon. Créon se réfère à la loi, mais la loi, c’est à lui, pour la première fois, de l’édicter, avec des doutes, et il a le sentiment de ne pouvoir l’abolir, faute d’y perdre sa crédibilité. Roi débutant, il ne sait pas comment faire, et a tout à apprendre. Antigone, dont Suzanne Lebeau explique ans la postface qu’elle voulait écrire, sans y parvenir, l’enfance, affiche sa calme détermination, entre souvenirs heureux de la vie de famille d’avant et le désastre du présent. On lit pourtant à travers le texte l’enfance heureuse d’Antigone dans une famille aimante, et ce qui l’a poussée à devenir ce qu’elle est.  On est dans un théâtre du récit plus que de l’affrontement : certes, la scène mythique de l’opposition entre les deux personnages existe bien, mais elle n’est pas centrale ici comme dans les autres versions de la tragédie. Elle s’inscrit dans le fil d’une histoire où il n’y a ni vainqueur, ni vaincu, mais des doutes et des questions.

La force du texte de Suzanne Lebeau est sans doute de poser plus de questions que d’apporter des réponses, invitant le lecteur à s’interroger sur les significations actuelles de cette histoire du préambule à l’épilogue. La pièce expose que le mythe repose sur des secrets de famille, sur la façon dont les meilleurs intentions du monde – sauver un enfant – peuvent conduire aux plus grands drames. Ce sont bien des questions morales qui se posent, sur le lien que nous pouvons entretenir avec la parole : ce sont bien les questions essentielles du théâtre.

Un texte très actuel, qui vise à mettre à la portée de tous l’histoire d’Œdipe et d’Antigone, et aussi de faire réfléchir sur notre propre vision du monde.