L’Homme qui dessine

L’Homme qui dessine
Benoît Séverac
Syros, 2014

Crimes en série chez sapiens sapiens

Par Matthieu Freyheit

lhommequidessineMounj est un homme-qui-dessine : il a été missionné par sa tribu (les hommes de Neandertal) pour courir le monde, l’explorer, l’appréhender, et le rapporter sous forme de récits, mais aussi de dessins rudimentaires tracés sur des écorces de bouleau. Et, peut-être aussi, pour trouver une femme de son espèce : car les hommes de Neandertal, dits hommes-droits, s’éteignent peu à peu, victimes d’un mal que personne n’est capable de définir.

Au cours de son voyage, Mounj est fait prisonnier par une tribu d’Hommes-qui-savent, autrement dits sapiens-sapiens, qui l’accusent d’avoir assassiné plusieurs membres de leur clan. Mounj organise sa défense, et offre de découvrir le véritable meurtrier, dans un délai que lui octroie le chef.

L’enquête, cependant, n’est qu’un prétexte, qu’un support. Le roman de Benoît Séverac est d’abord celui de la rencontre. Entre deux peuples aux coutumes et connaissances différentes. Mais surtout entre un peuple amené à survivre (nous), et l’un voué à la disparition. L’espoir de la survie et le sentiment de l’inéluctable se répondent, et s’éclipsent parfois pour jouir de cet étonnant moment, symptomatique d’une « inquiétante étrangeté ». Car si le récit semble simple et limpide, notamment sous l’effet d’une économie de style (l’auteur échappe aux clichés à la fois du bon sauvage et du barbare préhistorique, mais aussi à nombre d’images éculées), il n’est pas sans faire écho à certaines problématiques brûlantes : fantasme conspirationniste du « grand remplacement », réflexions sur le dépassement de l’humain par le posthumain, angoisses d’extinction et scénarios catastrophes, etc. L’auteur rappelle avec finesse que nos peurs de disparition ne datent pas d’aujourd’hui, que le coupable est toujours tout trouvé, que de la rencontre naissent autant de craintes que de possibles renouveaux, et, certainement, son lot d’incompréhensions.

En outre, précisions que le roman a le mérite de ne pas chercher, comme beaucoup d’écrits liés à la préhistoire, une portée documentaire superficielle : le récit prime, et Benoît Séverac est avant tout un bon romancier.

 

 

Le Clan de la grotte – Au temps de l’Homme de Tautavel

Le Clan de la grotte – Au temps de l’Homme de Tautavel
Olivier Melano
L’École des Loisirs, 2014

Sus au rhinocéros !

Par Matthieu Freyheit

Le Clan de la grotte TautavelAlbum de fiction documentaire, le Clan de la grotte offre une présentation du site de la grotte de Tautavel, dans les Pyrénées Orientales, et des découvertes qui lui sont liées : le lecteur pénètre, à travers une fiction dans la fiction, dans la vie de l’homme de Tautavel, prénéandertalien vivant il y a plus de 300 000 mille ans. Le lecteur découvre également, dans un récit-cadre au temps présent, le travail des préhistoriens et la minutie comme l’envergure des fouilles archéologiques qui mettent au jour des objets, des lieux, des peintures, mais surtout, aussi, des interprétations. Ainsi la fiction dans la fiction a-t-elle une valeur plus documentaire que le récit-cadre, somme toute peu utile, si ce n’est – et c’est important – pour illustrer les rapports entretenus entre temps passés et temps présents. Le documentaire restitue les éléments classiques de la fiction préhistorique : une grotte sombre, une tribu armée d’épieux, un repas de viande crue rappelant que l’homme de Tautavel ne maîtrisait pas encore le feu. Et, bien évidemment, des scènes de chasse qui renvoient l’homme à sa situation à la fois de proie et de prédateur dans un paysage occupé par le motif de la survie.

Les planches, comme le récit, ne cherchent pas l’originalité, ce qui ne les empêche pas d’être réussies. Les quelques images nocturnes, en particulier, évoquent le vide singulier de ce monde qui n’est plus vraiment le nôtre.

L’album, c’est vrai, semble un peu avoir été conçu pour être vendu aux touristes visiteurs de Tautavel. Mais qu’importe, après tout : on peut se réjouir, au contraire, de voir la littérature de jeunesse rester vivace dans la création d’une culture préhistorique.