Déjà dimanche

Déjà dimanche
Romain Bernard
La Partie 2025

O temps suspens ton vol…

Par Michel Driol

On est dans une ville très contemporaine, faite d’immeubles, d’escaliers, de parcs, par un dimanche morose, dernier jour de vacances. Une petite fille promène son chien sans rencontrer quiconque  et pense que certains moments ne durent pas assez, qu’elle aimerait revenir au début des vacances, jouer encore et encore avec ses amis, avant de conclure que certains moments restent gravés pour toujours et qu’elle attend les prochains avec impatience.

Voilà un album qui pose, à hauteur d’enfant, la question du temps qui passe, des souvenirs et du bonheur, des regrets et de la nostalgie, autant par son texte minimaliste que par son dispositif graphique tout à fait ingénieux.  Format à l’italienne s’ouvrant verticalement, de façon à opposer une double page du haut illustrée, et une page blanche en bas sur laquelle est inscrite une seule ligne de texte. Lorsque la pluie arrive, la page du bas se couvre petit à petit de flaques de couleur dans lesquelles se reflètent le décor de la page du haut et se matérialisent les souvenirs de la fillette, de ses jeux du début des vacances avec ses amis. Ainsi, petit à petit disparait le texte qui revient, à la fin, lorsque la pluie cesse. De la sorte le dispositif fait correspondre dans le même lieu deux temporalités différentes, soulignées à la fois par l’opposition entre des couleurs vives pour le présent et des couleurs plus pastel pour le passé, et par l’inversion qui fait de la page du bas – le passé – le symétrique inversé du présent, comme son reflet estompé.  S’opposent aussi la ville du présent, pluvieuse, et la ville du passé, ensoleillée, à l’image des souvenirs illuminés. Ce jeu d’échos est graphiquement très réussi et porteur de sens.

Qu’est-ce que le temps, et comment le percevons-nous ? Au-delà de la frustration du bon temps qui passe trop vite, comment faire ressurgir les souvenirs ? Pas  d’expérience proustienne de la madeleine ici, mais un flot de pensées qui ramènent, sur les lieux du bonheur, la fillette vers son passé. Et, tandis que le texte affirme la permanence des souvenirs gravés pour toujours, l’illustration montre les flaques porteuses des souvenirs qui disparaissent petit à petit, donnant ainsi à percevoir la complexité de la perception du temps. On le voit, avec un texte d’une grande concision, accessible à tous, un album  assez philosophique rendant sensible par son graphisme la conscience de la fuite du temps et conduisant à s’interroger sur l’expérience du temps vécue par chacun.