Le Creux de ma main

Le Creux de ma main
Laetitia Bourget, Alice Gravier
Sarbacane (Sarbabb), 2024

Expériences sensibles

Par Anne-Marie Mercier

Les éditions Sarbacane publient une collection pour les plus petit, nommée « Sarbabb ». Ses petits albums, carrés et cartonnés proposent aux tout petits des expériences sensibles à leur portée ou des histoires aux thèmes et aux rythmes adaptés.
« Dans le creux de ma main j’ai recueilli… » L’album énumère ce qu’un enfant peut saisir ou plutôt accueillir dans sa main : un flocon de neige, un oiseau blessé, un têtard, de l’eau, une luciole, un coquillage, de la farine…, toutes choses légères et délicates, jusqu’au bébé nouveau-né de la dernière page. Chaque chose apporte une connaissance : le temps qui passe, la croissance des plantes et des animaux, le savoir-faire de la pâtissière, le début d’une collection…
À chaque page de gauche, montrant sur fond blanc la fillette en action, correspond, à droite, l’animal enfui, le flocon fondu, la collection…, dans une image à fond perdu remplie de couleurs et de formes, jusqu’à la dernière double page qui présente une seule image, réunissant la fillette et le bébé. L’enfant qui tient ce livre est lui-même invité à se saisir de ces formes et de ces expériences.

Le Temps est rond

Le Temps est rond
Victoria Kaario – Juliette Binet (illustration)
Rouergue 2023

Six jours sans maman

Par Michel Driol

Mona dort dans son lit. Sa maman est partie de l’autre côté de l’océan pour son travail. Sa grand-mère la garde. Qu’est-ce que 6 jours ?

Cette nouvelle collection au Rouergue entend aborder des concepts avec les tout-petits : le temps (ici), l’amour, la joie, en associant un récit avec des illustrations très graphiques. Le temps est rond… alors que, spontanément, on l’associerait plutôt à une ligne, un axe. C’est bien la belle trouvaille des deux autrices d’utiliser le cercle, figure protectrice, pour illustrer certains aspects du temps et rendre perceptibles quelques attributs de ce concept, difficile à concevoir, sans doute vécu bien différemment par les enfants que par les adultes. Comment mesurer le temps, aborder les notions de succession et de simultanéité, de durée (vécue subjectivement de façon bien variable), voilà quelques unes des notions abordées par les autrices.

D’abord par un récit très proche des réalités enfantines, qui prend appui sur une semaine sans maman, une semaine qui peut paraitre longue, mais qui peut se mesurer de façon concrète en nombre de verres de lait ou de chaussettes (on échappe – et c’est heureux – au décompte en nombre de dodos !). Une journée, cela peut passer très vite si elle est bien remplie. Les jours se succèdent, l’un après l’autre. Et pendant que Mona dort, ou se réveille Maman fait autre chose (voyage, s’endort). C’est malin, sensible, et intelligent. Ce récit d’accompagnement par la grand-mère et le père de la fillette est magnifiquement illustré par des ronds.

De ronds qu’on peut compter (six, comme six jours, ce qui est peu à côté des 60 jours des vacances d’été), des ronds qui peuvent se découper (un demi en haut sur fond sombre pour maman qui se couche, un demi en bas pour Mona qui se lève, sur fond plus clair), des ronds qui peuvent se déformer pour montrer l’accélération du temps, se succéder en changeant de couleur (du sombre de la nuit au clair du jour), s’allonger pour prendre les couleurs de l’arc en ciel, à l’image d’une journée pleine d’activités, ou devenir concentriques, un grand et un petit, à l’image d’un câlin. C’est beau, évocateur, et plein de poésie graphique.

Un album réussi, qui renouvelle, par la poésie, le graphisme et le récit, l’approche sensorielle des grands concepts fondamentaux à destination des jeunes enfants. Ajoutons que l’album est cartonné, ce qui devrait permettre aux tout-petits à qui il s’adresse de le feuilleter seuls.

 

 

24 heures de la vie d’une fourmi

24 heures de la vie d’une fourmi
Delphine Chedru
Hélium, 2023

La vie, l’amour, le temps… et une petite fourmi

Par Anne-Marie Mercier

Avec un clin d’œil aux Vingt-quatre heures de la vie d’une femme de Stefan Zweig, voici un album qui montre les émotions d’une jeune fourmi, Fourmiguette, avant le vol nuptial annuel des fourmis, alors qu’elle ignore au début de sa journée qu’elle y participera.
On admire avec elle sur son trajet les beautés de la nature et les dangers qui guettent les petites fourmis comme elle. Chaque double page indique une heure précise ; il faut qu’elle arrive à temps pour ne pas rater le spectacle. Le lecteur peut inscrire l’heure sur le cadran présent dans le trou de la page en tournant les aiguilles. Les enfants peuvent ainsi apprendre à lire l’heure. On y apprend aussi des détails sur différents insectes, leurs métamorphoses, leurs habitudes.
Selon l’heure, le rythme est à la hâte, à la fuite ou à la flânerie ; la fin se fera au galop. Arrêt au bord de la mare pour admirer les libellules ; de fait, que cette image est belle ! Enfouissement dans les fleurs, sous la menace de jeunes coccinelles qui ne l’ont pas reconnue ; au coucher du soleil, c’est le règne des abeilles dans le rosé du soir. La nuit est mauve et noire, sur fond de fleurs et de papillons de nuit ; l’aube est jaune dans les maïs, le jour est jaune puis bleu… Fourmiguette finit son voyage accompagnée par ses récents amis, papillons et coccinelles. A l’arrivée, elle sent que des ailes poussent sur son corps : elle ne sera donc pas spectatrice du vol des fourmis mais actrice.
La vie, l’amour, le temps, et la mort qui rôde… quel beau mélange.
Les images sont magnifiques. Le texte, court et précis, parfois drôle, est rythmé par une formulette.
Il est rare qu’un documentaire soit aussi délicat et riche tout en restant extrêmement simple, et en racontant une histoire avec un personnage attachant.

feuilleter ici

Une Toute Petite Seconde

Une Toute Petite Seconde
Rébecca Dautremer
Sarbacane, 2021

 

Des « Et si… » en écran géant

Par Anne-Marie Mercier

Après Les Riches Heures de Jacominus Gainsborough et Midi Pile, Rébecca Dautremer poursuit son exploration du temps. Ici, ce n’est pas le temps d’une vie comme dans le premier, ou le temps d’un événement, de sa préparation et de son attente, comme dans le second, mais, comme le dit le titre, la simultanéité de toute sorte d’évènements, de pensées, d’émotions, de paroles et d’actes, tous plus ou moins liés, qui se déroulent en « une toute petite seconde ». Ce moment a son poids de tragédie : c’est celui qui causera l’accident de Jacominus, son héros.
Le décor de cet accident (une chute dans un escalier) se déploie de l’escalier à la maison et à celles qui l’environnent, à la rue, à la campagne, au port, au ciel… Cet élargissement se fait dans l’image avec un très grand format (31 x 42 cm) qui abrite un leporello géant (2 mètres) et propose une fresque sur laquelle on voit en action de nombreux personnages, des animaux divers, humanisés et vêtus comme Jacominus dans un style charmant et démodé et évoluant dans un décor un peu kitch. Sur l’envers de cette fresque colorée, on retrouve les contours crayonnés du même paysage et des mêmes personnages, avec des chiffres qui renvoient à un livret intérieur donnant l’histoire de chacun des personnages. Il y en a cent…
C’est tout un monde, une centaine d’histoires, comiques ou tragiques, amoureuses, familiales, scolaires, farceuses, toute la vie donc. Mais le tour de force supplémentaire réside dans l’entrelacs de toutes ces histoires qui  conduisent de manière plus ou moins directe à l’accident de Jacominus : un effet domino mis en images, qui évoque toutes les pensées obsédantes que l’on connait après un accident, tous les « et si » qui auraient pu empêcher cet événement d’arriver (comme dans le récent livre de Brigitte Giraud, Vivre vite).
C’est magnifique, extrêmement riche, et plein d’humanité.

 

 

 

Eveils

Eveils
Georges Lazarre
L’Harmattan 2022

Mon sonnet soignera tes secrets et tes maux

Par Michel Driol

Trois parties bien distinctes dans ce recueil de poèmes : Enfance, Nature, la Réunion. Sous une forme très classique, respectant les règles de la métrique (versification, rimes), voire des formes traditionnelles (sonnet), ces poèmes jouent sur divers registres.

On trouve ainsi un côté assez primesautier dans Enfance, dont les poèmes mettent souvent en jeu un certain rapport avec le temps qui passe, les jours qu’on attend et ceux qu’on préfère. Avec Nature, ce sont les animaux, les rivières, qui sont célébrés. Enfin, peut-être plus touchant, La Réunion, lieu de naissance de l’auteur, est l’évocation aussi bien des paysages, de la faune et de la flore de l’ile que de certains de ses grands hommes. Les vers savent jouer avec la métrique, allant du léger pentasyllabe au classique alexandrin, avec toutefois une prédilection pour les hexasyllabes et les octosyllabes Une langue simple, une poésie qui se veut accessible à tous pour dire la beauté de ce qui nous entoure, avec, parfois, comme une légère  une touche de créolité.

Eveils, pour s’ouvrir au monde.

Une maman si pressée

Une maman si pressée
Sara Lundberg
Seuil Jeunesse 2023

L’Etourdi, ou les contretemps…

Par Michel Driol

Noa n’a aucune envie d’aller à la fête d’anniversaire d’Alma, qui commence à 2 heures. Mais sa mère s’aperçoit qu’il n’a pas de cadeau à lui offrir. Vite, direction centre-ville. D’abord un magasin de vêtements, où Noa oublie son blouson. Retour au magasin de vêtements. Puis un magasin de jouets, où l’on achète un diadème, mais où Noa oublie sa casquette, ce dont on s’aperçoit une fois dans le bus. Retour au magasin de jouets, puis nouveau bus, et arrivée enfin devant la maison d’Alma… Mais où est passé le cadeau ? Peu importe, car on découvre alors que la fête d’anniversaire n’aura lieu que la semaine suivante. De retour à la maison, Noa et sa mère se préparent à un dimanche où on ne fera rien.

Dépêche-toi, on est en retard… Combien de fois un enfant a-t-il entendu des constats, qui marquent bien des perceptions différentes du temps ? C’est ce que montre cet album, jusqu’à la caricature, car la maman est en avance d’une semaine, et que le texte parle de ses gestes aussi saccadés que ceux d’un robot ! On assiste donc à une course effrénée contre la montre, une course absurde puisque Noa n’a aucune envie d’aller à l’anniversaire d’Alma, qu’il connait à peine. Le voilà donc trainé au centre-ville, trainé, c’est bien ce que montre l’illustration qui oppose la mère, penchée en avant, et l’enfant, tenu par la main, tout droit… En ville, c’est le règne du trop : trop de clients, trop de gens, trop de choix dans les magasins, trop de monde dans le bus, trop de chaleur, des produits trop chers, et trop peu de temps avant l’heure fatidique. Tout est vu à travers le point de vue de Noa, son désintérêt pour les achats, ses oublis réguliers, son émotion et ses larmes lorsqu’il perd sa casquette favorite. La mère est présente à travers ses actions, ses paroles, et son rôle moteur. Noa n’a qu’à se laisser faire… et ses actes manqués sont sans doute comme une façon de dire qu’il est là, lui-aussi. Les illustrations, en pleine page, donnent à voir non seulement la silhouette de la mère et celle, plus fluette, de l’enfant, mais aussi toute une galerie de personnages muets, tantôt simples passants sans tête, comme une façon de montrer la jungle des villes, tantôt dans des petites saynètes où les regards sont éloquents. La chute est pleine d’humour, qui montre Alma avec un diadème sur la tête… et, sous forme d’un récit imagé, les tribulations incroyables du diadème oublié dans le bus.

Un album plein de tendresse dans lequel se reconnaitront, sans méchanceté, nombre de parents et d’enfants, pour dire qu’il faut prendre le temps de vivre, chacun à son rythme et que nous avons tous le droit à la paresse, comme une façon de résister aux pressions du monde contemporain.

L’Invention des dimanches

L’Invention des dimanches
Gwenaelle Abolivier, Marie Détrée,
Rouergue, 2022

Au large, sur l’océan, en avant toute !

Par Anne-Marie Mercier

Marie Détrée est peintre officielle de la Marine depuis 2010, quelle découverte pour moi ! Il existe donc encore des artistes officiels, comme Racine qui était historiographe du Roi ? Eh bien, la Marine a bien choisi et on s’en réjouit : les image de Marie Détrée, tout en hachures colorées (feutres ? pastels gras ?), sont absolument merveilleuses . Elles rendent la couleur changeante des mers, les saisons, les heures et les vents, mais aussi les latitudes et longitudes, la lumière pétillante et l’obscurité dense.

C’est un journal de bord. Les auteures nous invitent   à suivre un voyage au long cours que, sur un grand cargo chargé de conteneurs, pour une traversée de l’Atlantique jusqu’aux Antilles. On change d’heure au rythme des chapitres, et tout au long du temps de la lecture on lit l’écoulement du temps et la variation entre la durée du récit et la durée de l’action : si le texte du Journal de bord , depuis le « Jour J » jusqu’à  J + 56, est étoffé dans les premières pages / jours, il se fait de plus en plus bref à mesure que s’installent la monotonie et l’ennui.
À J 27, « d’un coup l’ennui tombe comme une enclume ».
Le titre fait référence à une habitude maritime (que certains ont pu réinventer lors des confinements dus à l’épidémie de Covid) : pour rompre la monotonie des jours, les marins inventent des dimanches qui n’ont rien à voir avec le calendrier ordinaire : on est dans un espace-temps autre.
Descente à la salle des machines, promenade sur la passerelle, visite à Oscar (le mannequin qui sert pour les exercices de sauvetage), discussions avec les marins qui ont heureusement beaucoup d’histoires étonnantes à raconter… les découvertes des premiers jours laissent la place à un calme plat mental, rompues parfois par un grain, un bateau qui passe… Si l’expérience de l’espace est bien là dans les images, dans le texte c’est l’épaisseur du temps qui prend toute la place.

Voilà un très beau voyage, à faire et refaire… sans aucun ennui..

Au début

Au début
Ramona Badescu, Julia Spiers
Les grandes personnes, 2022

Quand la fin est dans le début

Par Anne-Marie Mercier

Au début, on aurait pu être prévenu par la couverture qui disait clairement qu’il allait être question d’oiseaux, d’arbres et de fleurs. Mais l’automatisme est là : dès qu’on voit des personnages humains on pense que ça va être leur histoire. Dans cet album, ce n’est qu’en partie vrai. « Au début », ils sont nombreux « dans l’ombre fraîche du vieux néflier ». Journée d’été, rencontre de personnes d’âges différents dans un jardin: des voisins, une famille ? La réponse vient petit à petit.
La suite n’éclaire pas mais perd encore un peu plus : la date, présente sur chaque double page, recule dans le temps. On voit une éclosion d’œuf, un œuf entier, un couple d’oiseaux… puis un bébé, puis une jeune femme enceinte : l’histoire se rembobine.
Elle va jusqu’au début de tous ces débuts, l’été 1952, quand une troupe d’enfants incarnée par le « on » du narrateur, rentre assoiffée de la plage et va chiper des nèfles pour se désaltérer. Ils en rapportent dans le jardin où le néflier n’a pas encore poussé, crachent les noyaux par jeu. On devine la suite.
Alors, on reprend l’album pour tourner les pages en sens inverse et on découvre qu’il a deux pages de couverture et deux pages de titre, une au début et une à la fin. On voit les différentes étapes de la croissance de l’une des pousses issues des noyaux du départ. Parallèlement on voit l’histoire de l’un des enfants du groupe, son adolescence, sa solitude, la rencontre d’une fille, le mariage, les enfants, les petits enfants et on reconnait le narrateur dans l’homme aux cheveux gris du début. Ainsi, le sujet principal est le temps, le temps de pousser, de vivre, d’engendrer, de savourer la vie – et le temps de la lecture et de la relecture.

Les aquarelles illustrent très joliment cette histoire et la portent avec efficacité dans cet album avec très peu de texte. Elles recréent une atmosphère d’enfance et de jeu : formes rondes, couleurs tranchées, simplicité, avec une petite allure « vintage »  années 50.

Les Choses à se dire

Les Choses à se dire
Pei-Chun Shih, Amélie Carprentier
Hongfei, 2022

Ce que vivent les roses…

Par Anne-Marie Mercier

Dans un jardin, chacun vaque à ses occupations : une abeille butine de fleur en fleur, un escargot passe de feuille en feuille, jusqu’au soir où il rencontre une fleur, si belle qu’il veut la maintenir éveillée pour pouvoir lui parler.

La fleur elle, regrette le départ de l’abeille, à qui elle avait encore tant à dire. Elle se réjouit de l’arrivée de l’escargot, mais il est tard et elle a tant à dire… Elle perd ses pétales un à un, tandis que l’escargot la rassure : « il est temps encore »… et il promet de recueillir ses mots pour les transmettre à l’abeille.
Ce joli récit nostalgique qui évoque le départ de ceux à qui on n’a pas assez parlé, que l’on n’a pas assez écouté, évoque l’écoute et la transmission. La dédicace à une grand-mère y prend tout son sens. Les abeilles et les escargots montrent deux façons de se mouvoir dans la vie et d’aborder les autres, quant à la fleur elle est la sédentaire qui attend… et contemple les belles abeilles tourbillonnantes.
Mais les images restent gaies, colorées, en gros plan sur les personnages et ceux-ci ont une bonne figure toute ronde et souriante, évacuant toute tristesse.

Violette Hurlevent et les fantômes du jardin

Violette Hurlevent et les fantômes du jardin
Paul Martin, Jean-Baptiste Bourgois (ill.)
Sarbacane, 2022

Le Jardin du temps perdu

Par Anne-Marie Mercier

Violette Hurlevent, qui nous avait tant charmés dans le premier tome est de retour. C’est une bonne nouvelle car ce Jardin Sauvage est un lieu infini de possibilités et d’aventures (voir la recension du premier tome) et Violette, accompagnée de son chien Pavel est une héroïne attachante.

Seulement voilà : Violette aborde ces nouvelles aventures sans son chien, et elles sont inextricables sans lui, ce qui fait que l’action piétine autour de plusieurs énigmes avant de pouvoir lancer enfin l’héroïne à l’assaut des obstacles, une fois son chien retrouvé/ ressuscité.
En « réalité », tout est difficile : Pavel est mort. Violette, la petite fille terrorisée du premier volume, a grandi, s’est affirmée, elle a vécu d’autres drames et la voici âgée, perdant sans doute un peu la tête d’après ses enfants et son petit-fils, et cherchant à retrouver le havre de son imaginaire d’enfant. Sautant dans le jardin, elle retrouve son corps de fillette et toute son énergie ; hors du jardin, rattrapée par la fatigue de l’âge, elle reste capable de lutter  pour convaincre, réparer, protéger : elle est en effet la « Protectrice » du Jardin et de ses habitants, plantes, animaux, « jardiniens », et jusqu’aux humains du monde ordinaire qui, comme elle, s’y sont incrustés.
Imaginaire, vie fantasmée ou réalité ? Tous ces niveaux sont entremêlés, à l’image de la ronce géante qui menace le Jardin. La tentation de fuir le réel et de réparer les pertes passées pour construire un « Jardin Parfait » que le temps n’atteindrait pas, attitude que refuse Violette, est incarnée par la présence inquiétante d’un adulte appelé le Baron, qui, monté sur un grand cheval noir, a mis le Jardin en coupe réglée et réduit ses habitants en servitude volontaire. Face à lui, Violette incarne l’acceptation du temps, de ses blessures, le pardon et l’amour de la vie, donc du désordre.
L’auteur fait ici le portrait d’un réel complexe qui imbrique différents niveaux de réalité et propose une réflexion sur les frontières du temps et de l’espace. Mais il y a aussi de beaux combats, des voyages qui donnent le vertige, des trouvailles originales, des êtres fantastiques hostiles, à qui Violette sait parler et dont elle arrive à capter les secrets.