Le Meilleur des pères

Le Meilleur des pères
Benjamin Desmares
Rouergue 2023

Les histoires d’amour finissent mal, en général…

Par Michel Driol

En apparence, Constance a tout pour être heureuse. Des parents qui travaillent dans le milieu du cinéma, et une réelle beauté qu’elle a héritée de son père et de sa mère. Mais, en fait, son père est violent, s’alcoolise de plus en plus, et bat sa femme et sa fille. Un jour, Constance ose prendre la défense de sa mère. Le lendemain, au lycée, le même que celui qu’ont fréquenté ses parents, elle trouve sur un bureau une trace leurs prénoms gravés, puis se retrouve projetée dans les années 89, à l’époque où ils étaient amoureux. Peut-on changer le futur ? Leur dire de ne pas avoir d’enfant ?

Ecrit à la première personne, le récit donne à entendre la voix de Constance, une voix où se mêlent la verve de l’adolescence et sa fraicheur, une voix que les premières lignes sonnent comme presque d’outre-tombe : Je suis morte. Je crois. Comment être sûre ? Telle est Constance la narratrice, avec ses questions, ses tourments, et sa difficulté à vivre la violence de ce père qu’elle comprend, dont elle perçoit la souffrance au travail, les fêlures (il se voulait réalisateur, il n’est qu’éclairagiste),  un père qu’elle excuserait presque. Dans cette ambivalence et confusion des sentiments, comment parler de cette violence intrafamiliale, de ces secrets difficiles à avouer sans détruire toute la cellule familiale ? Il faudra vraiment que sa propre mère soit en danger pour que Constance ose s’interposer. Au moment où Constance est en plein désarroi, le roman bascule dans le fantastique, avec le voyage dans le passé de ses parents, lorsqu’ils avaient son âge, lorsque Constance les découvre tels qu’ils devaient être, déjà beaux et amoureux, sans se douter de la violence qui allait les emporter. C’est un beau passage, fait à la fois pour dire de façon métaphorique le désir de suicide de Constance, qui voudrait bien ne jamais être née et l’écart qui existe entre les amours naissants et l’usure de la vie. Ce voyage dans le passé, qui montre ces traces de violence déjà présentes dans le père, qui dépayse Constance étonnée de voir les habits étranges portés par les personnages, a quelque chose de poignant dans ce qu’il dit de la façon dont la vie fait changer les individus, et de ce qu’il fait sentir de l’écart entre les rêves d’avenir des adolescents et les échecs qu’ils rencontrent par la suite. Ce voyage fantastique, dont le récit donne une explication classique, l’évanouissement et le rêve, sera pourtant l’un des éléments déclencheurs de la parole de Constance qui ira signaler à la CPE de son lycée les violences dont elle est victime. Le récit se clôt sur la mère et la fille partant vers un nouvel avenir qui reste à écrire.

Fait rare en littérature pour la jeunesse, le récit tisse un fil très intimiste, une description du mal être des adolescents en danger, et un fil fantastique pour une plongée dans un passé. C’est un récit grave et sensible sur les violences intrafamiliales, sur la nécessité de la parole, mais aussi sur l’écart entre les apparences et la réalité, sur le temps qui passe et emporte avec lui les rêves des enfants…