Le Bleu des souvenirs d’été

Le Bleu des souvenirs d’été
Lily-Belle de Chollet
Didier Jeunesse 2024

Dernier été

Par Michel Driol

Salomé et Lucile, deux cousines adolescentes, débarquent comme tous les étés sur l’ile bretonne où habite leur grand-mère, veuve depuis peu. Manque Colombe, la sœur de Salomé, partie à Madagascar avec sa mère qui y tourne un documentaire. Sur l’ile, elles retrouvent Aisling, un peu plus jeune qu’elles, et les deux frères Isaac et Jonas. La maison familiale de la grand-mère doit être vendue pour financer l’EPHAD où elle ira vivre dès le mois de septembre . S’il y a le bleu profond de la mer, il y a aussi les bleus à l’âme, et le blues de l’enfance.

Chapitre après chapitre, le roman fait alterner les points de vue de Lucile et de Salomé, non pas en une écriture en « je », mais en « elle », introduisant ainsi une distance entre le récit et le personnage. Se découvrent alors les blessures de tous les personnages. Salomé qui a du mal à accepter son corps de jeune fille un peu boulotte, ne mange plus rien, et est devenue anorexique, ce qu’elle cache à tout son entourage.  Lucile qui ne parvient pas à se remettre de la dernière soirée qu’elle a passée avec Isaac l’année précédente, de ses mots et de son attitude. On devine que si Colombe n’est pas là, c’est parce qu’il lui est arrivé quelque chose de grave, que l’on tait à tout le monde. Isaac n’est pas l’étudiant brillant que ses parents souhaitaient…  Tous ces non-dits émergent petit à petit dans la parole, révélant une autre image de chacun.

Ce roman psychologique, qui touche à l’intime des personnages présentés, montre une adolescence en crise profonde. Difficulté à accepter son corps, difficulté à accepter sa sexualité ou son asexualité, difficulté aussi à sortir de l’enfance, qu’on espérait éternelle.  Ce retour sur l’île, lieu clos symbolique où sont tous les souvenirs des étés, signe comme une rupture avec une époque insouciante, faite de retour du même année après année. Retour vers l’enfance à l’image des deux sœurs qui, se retrouvant, se blottissent, comme autrefois, dans le même lit. Mais la conscience de la fin fait prendre conscience du réel, de la vieillesse de la grand-mère, des relations familiales difficiles, de l’incapacité à agir afin d’empêcher la vente pour Lucile.

Cette chronique un peu douce mais surtout amère de ce dernier été est poignante. D’abord par les personnages, attachants, mais aussi par la bienveillance qui se dégage du récit qui, loin de les juger, tente de les faire comprendre, de faire éprouver, avec justesse, leurs émotions, leurs sentiments, leurs phobies, leurs angoisses. On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans, écrivait Rimbaud… loin de la jeunesse dépeinte ici qui souffre surtout des relations avec les parents, d’incompréhension, de non-dits, ou d’une pression exercée sur eux afin qu’ils fassent les bonnes études, soient conformes aux attentes étouffantes, toutes choses qui les conduisent à la révolte ou à l’anorexie. Combats perdus d’avance, à l’instar de la maison qu’on vend et des meubles qu’on disperse ?

Après la crise salutaire, après les retrouvailles de toute la famille, il faut accepter l’inévitable, la fin de l’enfance dans un dernier chapitre plus doux qu’amer qui se termine sur le sourire de Salomé, et sur ces mots, j’arrive, promesse d’un futur qui reste à écrire.

Un roman sensible sur l’adolescence, un roman qui sait jouer sur l’émotion, pour dépeindre un âge saisi entre la nostalgie du passé et de l’enfance désormais révolus, et le futur pas si désirable que cela. Un roman surtout qui dit aux jeunes lecteurs d’être eux-mêmes, de se chercher, de s’accepter, et de ne pas être ce que les autres veulent qu’ils soient.

Comment devenir un château-fort

Comment devenir un château-fort
Catherine Verlaguet
Rouergue – Doado – 2024

Hommes-femmes, mode d’emploi

Par Michel Driol

Parce que sa passion c’est la navigation, la mère du narrateur, Pierre, vient de partir travailler sur un bateau de croisière, laissant ses deux fils adolescents et son mari, qui ont choisi de déménager dans une autre maison. C’est le troisième trimestre. Pierre se retrouve dans un nouveau lycée. A l’occasion d’un exposé sur Oscar Wilde, il fait la connaissance d’Anna et de sa mère. Mais Pierre est timide, secret, complexé, et il refuse les avances d’Anna, qui trouve son frère ainé à son gout… A la maison, les règles changent, et le retour lors d’une escale de la mère permettra-t-il à Pierre d’y voir plus clair en lui et dans ses relations avec les autres ?

Trois hommes, dans une nouvelle situation, avec leurs silences. Surtout ceux du narrateur, qui n’arrive pas à communiquer ses sentiments, ceux du père, que sa femme a quitté. Seul le frère ainé semble être à l’aise avec le langage. Cette petite communauté tente d’établir de nouvelles règles, ou plutôt de s’affranchir des règles antérieures, du temps où la famille était unie. Avec une grande simplicité de moyens et de situations, le roman montre l’éveil de la sexualité et les peurs qu’elle occasionne chez un adolescent complexé, qui se retrouve seul. Petit à petit, il découvre ce qu’il veut vraiment, construit sa personnalité, la protégeant de l’extérieur par un pont-levis.

Ce roman très actuel pose des questions très contemporaines. Qu’est-ce qu’être un homme aujourd’hui et comment construire sa masculinité en échappant aux modèles offerts par le père et le frère ? Qu’est-ce que la sexualité des ados, sexualité déconnectée de l’amour, liée à un autre type de relations entre des garçons et des filles plus entreprenantes ? Qu’est-ce que l’amour, amour maternel en particulier, et en quoi peut-il aller à l’encontre des désirs d’une femme de vivre pleinement sa vie ?

Catherine Verlaguet propose ici une éducation sentimentale, avec un regard aigu et sans concession à l’égard de son personnage principal souvent attachant dans sa candeur, un regard qui sait être cru dans certaines scènes, sans jamais être grossier ou impudique,

La Chasse

La Chasse
Maureen Desmailles
Thierry Magnier  – Collection l’ardeur – 2023

Une éducation sentimentale

Par Michel Driol

Max a 17 ans. Garçon ? Fille ? La prouesse de ce roman est de ne jamais montrer son genre, on le nommera donc toujours Max dans cette chronique, jamais il ou elle. Invisible, discret, Max tombe amoureux d’Andrea, que Pierre convoite. Suite à des « embrouilles », Max ne peut partir en vacances avec sa bande habituelle d’ami.e.s, et doit rester seul à la maison, en Picardie, tandis que ses parents passent 15 jours à Paris avec son frère ainé à la recherche d’un studio pour ce dernier. C’est là que Max fait la connaissance d’Ellie et Cosme, la fille de ses voisins et son copain, couple ouvert, lumineux, solaire. Et max tombe amoureux et d’Ellie, et de Cosme, et entretient une relation avec chacun des deux.

Ce roman, dont la narration est prise en charge par Max, aborde de façon très contemporaine la question du désir, de l’amour, de la sexualité, du couple. Qu’on me permette ici d’en citer un passage central, qui en reflète bien la problématique : On ne pense jamais rencontrer un truc pareil. Personne n’est prêt quand ça arrive, surtout pas là d’où je viens, où le désir ne compte pas, c’est autre chose qui guide, un carcan, une série de conventions. Les gens vont par paire, homme/femme, ils se rencontrent au lycée, en boite, au boulot, ils se marient, les femmes accouchent et voilà. Tous ceux qui échappent à cette règle sont suspects. (page150). Ce que désire confusément Max, c’est échapper au couple prison, dans lequel l’un possède l’autre. Avec Ellie et Cosme, Max découvre un autre type de relations, fondé sur la liberté, fondé aussi sur la confiance et la parole. Comment acquérir ces codes amoureux différents de ceux que l’on connait ?

Le roman vaut par la peinture des milieux sociaux, cette ruralité picarde où la chasse et le tir à l’arc ont toute leur importance. Max chasse avec son père, participe aux banquets de chasseurs, marqués par une lourde et vulgaire grivoiserie. Son père, bien que prof de maths, n’est guère ouvert, en particulier lorsqu’il juge son fils ainé qui annonce qu’il est homosexuel, ou surveille les fréquentations féminines de Max. Ellie, Cosme et leurs ami.e.s semblent sortir d’un autre monde, un monde de liberté, de plaisirs, de désirs, de drogue aussi. Car l’autrice ne cache rien des excès de cette jeunesse. Un soir, Max boit trop. Elle ne cache rien non plus de l’importance des réseaux sociaux, de la communication par messagerie. En ce sens, c’est bien aussi un portrait de la jeunesse contemporaine, qui cherche peut-être à inventer à son tour l’amour loin des conventions des générations précédentes. Max, Ellie et Cosme dessinent la figure d’un triangle amoureux bien loin du classique trio bourgeois du théâtre de boulevard. Tout en cherchant leur bonheur et celui de l’autre, ils iront jusqu’à des ruptures, des déchirures qui feront grandir Max.

Certaines scènes explicites, dit la 4ème de couv’, peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes. Ou pas. Mais qu’est-ce que cela fait au lecteur, à la lectrice, quand on ignore le genre du personnage principal, et qu’on lit des scènes qui relatent des rapports sexuels ? Il y a là aussi matière à trouble, à frustration peut-être, à ouverture et à questionnement sans doute. C’est une manière de conduire le lecteur à s’interroger  sur les identités de genre, sur les liens entre la sexualité masculine et la sexualité féminine, sur le désir.  Au-delà du tour de force lié au respect d’une consigne d’écriture perécienne, la contrainte liée au genre de Max (Maxime ? Maxine ?) constitue sans doute une première dans l’histoire littéraire. Combien de lecteurs verront dans Max un garçon ? une fille ?

Un roman qui nous sort de notre confort habituel de lecture, nous montre une entrée  dans l’âge adulte, dans une sexualité sans tabous, à la fois épanouissante et source de souffrance, bien loin des codes du porno, dans une sexualité qui vise à redéfinir les relations entre les femmes et les hommes pour les transformer. On est bien sérieux, quand on a 17 ans…

On ne sépare pas les morts d’amour

On ne sépare pas les morts d’amour
Muriel Zürker
Didier Jeunesse2023

Roméo des Gâtines et Juliette des Vallons

Par Michel Driol

Lorsqu’Erynn rencontre Bakari, c’est une sorte de coup de foudre immédiat. Mais ils appartiennent à deux cités de banlieues ennemies pour des raisons oubliées. Mais cet amour n’est pas du gout du caïd de la cité d’Erynn, Diango, qui prépare un affrontement entre les bandes rivales, au cours duquel Bakari et Erynn s’entretuent… Et les voilà devant le tribunal du jugement dernier : iront-ils en enfer ou au paradis ?

Le roman commence dans l’autre monde. On suit en effet le procès conduit par les écoutanges  chargés de juger les deux amoureux. Pour cela, on revit certains épisodes marquants, tantôt du point de vue de Bakari, tantôt de celui d’Erynn. Ce dispositif, qui conjugue retours en arrière et points de vue, place les lecteurs en position de comprendre et de juger les deux ados en leur donnant toutes les informations sur les arrières plans sociaux et psychologiques qui accompagnent le développement de leur histoire. Le tragique de l’engrenage dans lequel ils sont engagés est quelque peu contrebalancé par l’humour et l’inventivité des scènes de procès.

A l’heure où il est de bon ton de parler d’ensauvagement, l’autrice donne une autre vision des « quartiers sensibles ». D’abord à travers son personnage de Bakari, dont le père est décédé, dont la mère enchaine deux boulots pour élever seule ses enfants. Bakari y apparait comme le grand frère modèle, qui prend soin de ses cadets et rêve de sortir toute sa famille de cette cité. Quant à Erynn, elle vit seule avec sa jeune mère célibataire, âgée d’une trentaine d’années, qui pense avant tout à s’amuser et la délaisse. L’autrice cherche à montrer ce qu’il y a d’humain dans ces personnages, dans leurs sentiments, dans leurs aspirations, dans leur façon de vivre dignement malgré les difficultés qu’ils rencontrent. Et parmi ces difficultés, elle ne cache pas les trafics – de drogue en particulier – qui gangrènent les cités, ou la volonté de vivre et de régler ses problèmes sans faire intervenir la police. Ce mal qui ronge la cité est incarné en particulier par le personnage de Diango, un macho, sadique en qui on cherche, sans la trouver, une once d’humanité. Le quatrième personnage important de ce roman, Délicia, la « best-friend » d’Erynn, amoureuse de Daingo, est montrée partagée entre cet amour et son amitié pour Erynn. Elle incarne un personnage ordinaire, face aux deux purs que sont Erynn et Bakari, mue plus par ses pulsions que par sa réflexion ou sa volonté. Cette vision des quartiers sensibles, on le voit, n’a rien d’angélique ou de lénifiant. Mais elle est pleine d’empathie et d’humanité, appelant à comprendre avant de porter des jugements péremptoires. Car telle est bien la ligne suivie par ce roman finalement plus optimiste que cette chronique ne semble le laisser paraitre, même si les personnages ne voient pas d’avenir dans leur quarter.

Un roman écrit dans une langue qui donne corps à ses personnages à travers en particulier des expressions pittoresques de banlieue – recueillies par l’autrice dans ses rencontres avec des ados, un roman qui montre toute la pudeur et la délicatesse des adolescents au moment de rencontrer un amour qui va les bouleverser – c’est à dire au sens propre les amener à changer leurs visions du monde plus ou moins égocentrées pour les conduire à s’ouvrir à l’autre, à penser à l’autre -, un roman qui propose une belle façon de revisiter le mythe shakespearien de Roméo et Juliette, l’amour confronté aux clans, un roman enfin qui, dès l’illustration de couverture, est un beau clin d’œil à West Side Story !

Le Meilleur des pères

Le Meilleur des pères
Benjamin Desmares
Rouergue 2023

Les histoires d’amour finissent mal, en général…

Par Michel Driol

En apparence, Constance a tout pour être heureuse. Des parents qui travaillent dans le milieu du cinéma, et une réelle beauté qu’elle a héritée de son père et de sa mère. Mais, en fait, son père est violent, s’alcoolise de plus en plus, et bat sa femme et sa fille. Un jour, Constance ose prendre la défense de sa mère. Le lendemain, au lycée, le même que celui qu’ont fréquenté ses parents, elle trouve sur un bureau une trace leurs prénoms gravés, puis se retrouve projetée dans les années 89, à l’époque où ils étaient amoureux. Peut-on changer le futur ? Leur dire de ne pas avoir d’enfant ?

Ecrit à la première personne, le récit donne à entendre la voix de Constance, une voix où se mêlent la verve de l’adolescence et sa fraicheur, une voix que les premières lignes sonnent comme presque d’outre-tombe : Je suis morte. Je crois. Comment être sûre ? Telle est Constance la narratrice, avec ses questions, ses tourments, et sa difficulté à vivre la violence de ce père qu’elle comprend, dont elle perçoit la souffrance au travail, les fêlures (il se voulait réalisateur, il n’est qu’éclairagiste),  un père qu’elle excuserait presque. Dans cette ambivalence et confusion des sentiments, comment parler de cette violence intrafamiliale, de ces secrets difficiles à avouer sans détruire toute la cellule familiale ? Il faudra vraiment que sa propre mère soit en danger pour que Constance ose s’interposer. Au moment où Constance est en plein désarroi, le roman bascule dans le fantastique, avec le voyage dans le passé de ses parents, lorsqu’ils avaient son âge, lorsque Constance les découvre tels qu’ils devaient être, déjà beaux et amoureux, sans se douter de la violence qui allait les emporter. C’est un beau passage, fait à la fois pour dire de façon métaphorique le désir de suicide de Constance, qui voudrait bien ne jamais être née et l’écart qui existe entre les amours naissants et l’usure de la vie. Ce voyage dans le passé, qui montre ces traces de violence déjà présentes dans le père, qui dépayse Constance étonnée de voir les habits étranges portés par les personnages, a quelque chose de poignant dans ce qu’il dit de la façon dont la vie fait changer les individus, et de ce qu’il fait sentir de l’écart entre les rêves d’avenir des adolescents et les échecs qu’ils rencontrent par la suite. Ce voyage fantastique, dont le récit donne une explication classique, l’évanouissement et le rêve, sera pourtant l’un des éléments déclencheurs de la parole de Constance qui ira signaler à la CPE de son lycée les violences dont elle est victime. Le récit se clôt sur la mère et la fille partant vers un nouvel avenir qui reste à écrire.

Fait rare en littérature pour la jeunesse, le récit tisse un fil très intimiste, une description du mal être des adolescents en danger, et un fil fantastique pour une plongée dans un passé. C’est un récit grave et sensible sur les violences intrafamiliales, sur la nécessité de la parole, mais aussi sur l’écart entre les apparences et la réalité, sur le temps qui passe et emporte avec lui les rêves des enfants…

Le jour où j’ai osé

Le jour où j’ai osé
Claire Castillon – Orianne Charpentier – Claudine Desmarteau – Manon Fargetton – Hugo Lindenberg – Vincent Mondiot – Marion Muller-Colard – Isabelle Pandzopoulos
Gallimard Scipto 2023

S’affirmer

Par Michel Driol

Un recueil de huit nouvelles, dont les personnages sont des adolescents, et qui ont en commun de mettre en avant ce passage délicat entre l’enfance et l’âge adulte, la première décision qui compte et a un impact sur soi-même. Il n’est pas seulement question de désobéissance, mais surtout d’affirmation de soi, avec tout ce que cela comporte de difficultés. Grande fille, de Claire Castillon, évoque une adolescente avec laquelle un homme bien plus âgé aimerait avoir une relation. L’Affiche de John Wick 2, de Vincent Mondiot, raconte les relations d’un adolescent de bonne famille et de son père, autour du tennis. Dans Tu m’aimes plus, Isabelle Pandazopoulos met en scène un adolescent attaché à son père, pourtant meurtrier de sa mère. Avec Vernis noir, Hugo Lindenberg dresse le portrait d’un adolescent qui se fait les ongles avec du vernis noir. Claudine Desmarteau, dans Elle a quelle âge la puce, fait le portrait d’une adolescente trop petite pour son âge. Dans les profondeurs de Manon Fargetton aborde la pédophilie. Les Champs, d’ Orianne Charpentier, évoque deux adolescents de la campagne dans un bus scolaire, et pose la question du courage. Enfin, c’est une professeure de philo, mise en scène par  Marion Muller-Colard qui amène ses élèves à se poser la question de la désobéissance.

Bien qu’ayant de nombreux points communs (comme une énonciation souvent en je, une tranche d’âge correspondant au lycée ou juste après), ces nouvelles sont pourtant bien différentes par les milieux sociaux dans lesquels vivent les personnages et par leur façon de gérer le temps. On croise ainsi des héritiers de très haut milieu social (parents Enarques) pourtant aux prises avec la drogue, des fils d’agriculteurs, et un enfant vivant en foyer. Certaines nouvelles racontent un temps très court, l’instant de la décision, d’autres s’inscrivent sur un temps très long (de l’enfance à l’âge adulte). Les problématiques dans lesquelles s’inscrivent ces nouvelles sont aussi différentes. Souvent, il s’agit de la première fois où on dit non. Non à ses parents, non à un adulte, non à ceux qui entourent. Il s’agit en fait de l’acceptation de soi, tel qu’on est, et de l’affirmation de soi face aux autres. Il est parfois question de sexualité, d’amour, mais pas seulement, souvent d’emprise que les autres exercent et dont on parvient à se débarrasser, en osant… Curieusement, il n’est pas question d’écologie, de destruction de la planète et de prise de conscience de ces phénomènes: ce n’est pas le sujet du recueil qui se centre beaucoup sur la relation aux autres enfants ou adolescents, qui est aussi abordée dans sa complexité : entre indifférence et hostilité, amitié complice et propos éclairants. Cette diversité montre à quel point le regard des pairs sur chacun est déterminant, à un âge où l’on se cherche, où on a perdu certains repères, avant d’en construire d’autres. On apprécie la construction du recueil, qui fait alterner les situations, jusqu’à la nouvelle finale, Désobéir, qui, tout en conservant son caractère narratif, présente un aspect plus philosophique, à travers l’évocation des écrits d’Hannah Arendt sur le procès Eichmann, et conduit à s’interroger sur la nécessité – et la capacité – de dire non, alors que les 18 premières années de la vie ont été l’incitation à obéir…

Un recueil à forte dimension psychologique, qui réunit des nouvelles autour d’une même question, pour montrer des adolescents effectuant leurs premières prises de conscience et leurs premières vraies révoltes.

Les Mésanges – Abi (tome 1)

Les Mésanges – Abi (tome 1)
Audrey Bischoff
Rouergue 2022

De l’ombre à la lumière

Par Michel Driol

Abi est élève de 4ème. Dans sa famille, il y a sa mère, d’origine américaine, son père, sa sœur et son frère. Un beau matin, sa mère disparait. Et c’est tout l’équilibre familial qui s’en trouve rompu.

Belle galerie de personnage dans ce roman. Il y a d’abord Abi, touchante parce qu’elle fait tout pour passer inaperçue, dans ses tenues, son comportement, Abi qui devra affronter le départ incompréhensible de sa mère, et ses premières règles. Il y Adam, le meilleur ami d’Abi, garçon sympathique et dévoué. Il y a Maël, plus grand, qui semble amoureux d’Abi et auquel elle n’est pas indifférente. Et il y a Lila, une nouvelle copine, l’exact opposé d’Abi, qui ne fait rien pour passer inaperçue, et qui va l’initier à une autre façon de voir le monde. Voilà donc quelques représentants de l’adolescence. Il y a aussi le mystère qui plane sur la disparition de la mère d’Abi, qui semblait tout à fait heureuse, exubérante, mais ce bonheur ne masque-t-il pas des fêlures ? Le ton du roman est enlevé, drôle, montrant comment petit à petit Abi sort de sa zone de confort, de la façon – écologique et hygiéniste – dont sa mère l’a élevée pour aller vers autre chose et assumer sa féminité.

Un premier roman familial, inscrit dans le cadre d’une classe moyenne de banlieue, petits pavillons du lotissement des Mésanges, petits immeubles, dans un milieu où tout le monde se connait pour tracer le portrait d’une certaine adolescence.

A un poil près

A un poil près
Stéphane Botti
Calicot 2022

Ce changement-là…

Par Michel Driol

Le narrateur, élève de 5ème, s’aperçoit qu’il a un premier poil pubien qui pousse. Fasciné, il passe ses journées à le toucher, l’entourer autour de son doigt. Cette nouveauté à la fois le fascine et l’inquiète. Garçon solitaire, il n’a pas d’ami à qui en parler. Il voudrait bien que ses parents ne le sachent pas. Jusqu’au jour où sa mère dit qu’il a un long poil…

Voilà un court roman qui aborde la question des transformations du corps masculin lors de la puberté. Thème peu encore abordé en littérature jeunesse. Le héros est un garçon ordinaire, dans lequel nombre de lecteurs se reconnaitront sans doute. S’il connait les termes crus pour parler du sexe masculin, il répugne à les employer. Il semble fils unique dans une famille très classe moyenne : la mère est comptable à domicile, et le père président bénévole d’un club de natation. Il connait les problèmes des ados de son âge, aime qu’on le laisse tranquille, répond parfois par monosyllabes, et goute peu les efforts. Bref, il a bien un poil dans la main ! C’est sur cette méprise finale que se clot avec esprit le roman, plein d’humour dans sa façon d’aborder la difficile communication entre parents et ados sur la question de la sexualité et des métamorphoses du corps.

Un roman plein original, plein de finesse, pour aborder la question de la puberté masculine.

Experte dans l’art du naufrage

Experte dans l’art du naufrage
Julia Drake
Traduit (USA) par Nathalie Peronny
Gallimard jeunesse, 2021

Entre marécages et océan

Par Anne-Marie Mercier

Ce document a été créé et certifié chez IGS-CP, Charente (16)

Quête d’un trésor, recherche des origines, exploration des sexualités, rapports entre frères et sœurs, parents et enfants, ce roman quasi fleuve explore encore bien d’autres sujets et questions : comment se faire des amis ? comment aider un suicidaire ? Comment savoir si on est amoureux ? que faire de sa vie ? faut-il tout dire ? les actions de nos ancêtres ont-elles une influence sur notre vie ? Peut-on aimer aussi bien les filles que les garçons, etc.
Violette, après la tentative de suicide de son frère, a été envoyée dans le Maine chez un oncle. Il s’agit aussi de l’éloigner de new York où elle a pris des habitudes qui inquiètent ses parents : alcool, sexe, soirées folles où elle se met elle aussi en danger alors qu’elle n’a que 16 ans (mais en paraît 18).
Employée à l’aquarium local, elle rencontre Orion et son amie-amoureuse Liv.  Elle s’éprend des deux successivement ; elle rencontre d’autres amis un peu bizarres, vit une vie sociale faite de hauts et de bas, une vie professionnelle plus calamiteuse qu’épanouissante dans un premier temps, du moins d’après ce qu’elle dit : elle est la narratrice et pratique, comme l’indique le titre, un autodénigrement teinté d’humour. Elle enquête avec ses amis sur son ancêtre, célèbre pour avoir survécu à un vrai naufrage sur un bateau dont on n’a jamais retrouvé l’épave.
Malgré quelques rechutes, aidée discrètement par son oncle (beau portrait de un boulanger amateur de puzzles), Violette se tient à son désir de changer et de cesser d’échouer chaque fois qu’elle tente quelque chose : voilà pour cet art des naufrages. Violette s’initie à l’eau libre tout en tentant partiellement de sortir du « marécage » où elle et son frère se sont englués.
Occupations d’été (le Maine en juin et juillet, les plages et les bars), chasse au trésor, découverte de la nature, le roman mêle légèreté et gravité. Souvent un peu bavard, il donne beaucoup de place aux interrogations d’adolescents qui se cherchent. La chasse au trésor, ou plutôt à à l’épave, traitée de manière originale (le dénouement est intéressant) et dramatique donne un peu plus d’air et d’allant à la deuxième moitié.

 

 

Le club des inadapté.e.s, Cati Baur, d’après le roman de Martin Page

 Le club des inadapté.e.s
Cati Baur d’après le roman de Martin Page,
Rue de sèvres, 2021

 

 Groupe d’ados en danger

 Maryse Vuillermet

 

 

 

 Martin, Edwige, Erwan et Fred sont « des adolescents à problèmes », si l’on s’en réfère à la dénomination classique, l’un est trop petit, et est orphelin, l’autre est trop grande et trop intello, une autre encore est punk et musicienne, et le quatrième porte un costume et des chaussures à lacets, et ils ont, comme par hasard, des parents à problèmes. Le père d’Erwan est veuf et dépressif, il oublie son fils, celui d’Edwige est chômeur…

Qui se ressemble s’assemble, ils forment donc une bande de quatre inséparables, et ils se dénomment le club des inadaptés. Ils sont  inadaptés  au collège où ils s’ennuient, sauf en maths où la remplaçante se révèle être la reine des inadaptées, c’est normal, elle est géniale et alcoolique. Et inadaptés dans la vie où ils ne veulent surtout pas ressembler à leurs camarades beaux, intelligentes et riches. Leur refuge est une cabane à leur image.

Un jour, Erwan, le plus gentil, le bricoleur, se fait agresser et tabasser dans la rue, pour rien, sûrement parce qu’il est différent !

Et puis, il devient bizarre, s’enferme pour fabriquer une machine à rééquilibrer les injustices. Ses amis s’inquiètent pour lui.

C’est un très bon album, l’histoire est forte, ces jeunes n’ont pas de chance, subissent des injustices, mais ils se serrent les coudes et trouvent des solutions avec intelligence et tendresse.

Le dessin de Cati Baur est drôle, plein de tendresse, coloré mais il sait aussi être caricatural et incisif et il illustre avec finesse le roman de Martin Page.

 

C’est un album qui peut grandement réconforter de jeunes ados en souffrance .

 

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