Les tartines au ketcheupe

Les tartines au ketcheupe
Marie-Sabine Roger
Thierry Magnier (réédition, première édition : 2000)

D’un Nicolas l’autre

par Christine Moulin

Le héros-narrateur du petit roman de Marie-Sabine Roger raconte sa vie quotidienne à la maternelle et à la maison. Et ce n’est pas toujours drôle même si cela fait beaucoup rire. Certes, et c’est une limite du genre, il paraît bien lucide pour son âge (il est vrai qu’il lui arrive de dire qu’il ne répond rien parce qu’il n’a pas « tous les mots pour »). N’empêche : le début, surtout, est hilarant. Extrait : « En tout cas, c’est l’heure des mamans du midi […] Les mamans sont garées dans le couloir. La maîtresse se met à la porte. Elle appelle, bien fort, d’une voix minidouce, même pour ceux qui ont été vilains … »Le propos est grave pourtant : le père de Nicolas le regarde plus souvent qu’à son tour « avec des yeux remplis de baffes ». Le petit garçon se crée alors un double, Petitoiseau, qui subit ce qu’il subit ou bien il met en scène sa propre vie au pays des fourmis : « Pif, clac  C’est la fête au fourmisseau ». Mais rien n’est pesant ni larmoyant, on peut faire confiance à Marie-Sabine Roger, qui a su rendre la mort elle-même moins terrible (A la vie à la). Il faut dire qu’elle a une arme redoutable : son humour et son écriture, faite de mots et de tournures inventés, mais si justes qu’on se demande pourquoi ils n’existent pas depuis longtemps : « Ma voix-dedans me réfléchit des choses. L’espliquologue est venu me chercher dans la classe, après la cantine. » C’est que, comme le dit l’auteur elle-même, dans un entretien avec les responsables du site « Citrouille : « Les mots sont des raccourcis pour aller directement à l’émotion, pour être en prise directe. Mais paradoxalement, ils servent également de protection contre des émotions fortes. Ce sont des petits coussins entre le lecteur et le chagrin ou la violence. Si on s’y assied c’est moins dur, si on rebondit c’est drôle. Rire n’empêche pas l’émotion, et l’émotion n’empêche pas le rire. On pleure de rire, on “ pleurigole “ comme dans À la vie, à la… »Les quiproquos aussi sont légion : c’est ainsi que Nicolas se demande longtemps à cause de quelle bêtise le petit oiseau « a pris sa volée » ; écoute avec attention l’histoire du « petit poussé » qui se passe chez des pauvres moucherons… Les non-dits sont poignants : quand Nicolas doit remettre en ordre des images représentant les actions de la journée (un grand classique !), il trouve tout de suite qu’il y a une image-intrus, celle sur laquelle le « petit garçon joue avec son papa »…Si bien que les événements en eux-mêmes n’ont guère d’importance : ils sont à hauteur de petit de maternelle (préparer un repas pour la famille fourmis, par exemple, ou un voyage scolaire au zoo), extrêmement importants, donc. Et terriblement émouvants.
Une interview de Marie-Sabine Roger sur le site « Citrouille » :

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