Philibert Merlin Apprenti enchanteur

Philibert Merlin Apprenti enchanteur
Glwadys Constant
Rouergue 2018

La chose la plus importante, c’est le choix d’un métier : le hasard en dispose

Par Michel Driol

Dans la famille Merlin, chacun possède un don magique : qui pour les mathématiques, ou la musique, ou la physique, ou la littérature… Mais Philbert semble désespérément normal… Il a beau chercher dans quel domaine il serait doué, il n’y parvient pas, et ses tentatives deviennent vite des catastrophes. Sa famille inquiète consulte, tente par tous les moyens de l’aider à trouver son don, rien n’y fait… Jusqu’au jour où le vilain petit canard fait la rencontre décisive qui lui permet de découvrir ce pour quoi il est doué… Mais on ne le révèlera pas dans cette chronique !

Le roman est drôle et enlevé, plein d’humour. La famille, apparentée à tous les plus grands génies (de Poincaré à Einstein…), les parents, les 7 enfants surdoués donnent lieu à une galerie de portraits à la fois stéréotypés (dans le bon sens), drôles et touchants. Les situations humoristiques s’enchainent à un rythme soutenu. On est plein d’empathie pour Philibert, qui a du mal à trouver sa place dans cette famille de génies : l’une des forces du roman c’est que le lecteur le devine avant Philibert et ses parents ! Le livre possède une dimension psychologique et apaisante : chacun possède un talent caché, c’est dans l’interaction et la rencontre avec les autres, avec les situations que propose la vie qu’il se découvre. Inutile donc de vouloir se spécialiser trop vite, ou grandir trop vite. Il faut prendre du temps pour se découvrir et se réaliser. Tout cela a de quoi rassurer des enfants en échec : ils finiront bien par trouver leur domaine de réussite.

Un petit roman humoristique pour aider les enfants à prendre confiance en eux…

Lou Pilouface – Le Dieu du Tonnerre

Lou Pilouface – Le Dieu du Tonnerre
François Place
Folio Cadet 2015

Aventures pour de rire en Amazonie

par Michel Driol

francois_place_lou5_couvertureC’est le 5ème tome des aventures  de Lou Pilouface. Cette fois, sa mère, Paméla Diva, donne la 100ème représentation de La fiancée du gondolier à l’Opéra de Manao. Oncle Boniface invite tout le monde à un grand repas, en présence de la directrice du musée, qui parle de la statuette du dieu du Tonnerre, Katakrak. Mais dans la nuit, ce dernier est volé. Dès le matin, oncle Boniface lance tout le monde à bord de son remorqueur Le Coriace à la poursuite du voleur, Gédéon le Brutal. On remonte le fleuve, on franchit des cascades, on découvre les pouvoirs de Katakrak, et de surprenants singes, les guillis oustitis. Finalement, on laissera Katakrak en haut de sa pyramide, et on rentrera avec la statue de la déesse… de la pluie !

Sous la forme classique d’un roman d’aventures exotiques  – narrateur externe, course poursuite, obstacles, tribus menaçantes, décor de temple en ruine, voici un roman complètement farfelu et humoristique. D’abord parce que les personnages sont humains dans le texte, mais animaux dans les dessins (chiens, chats, moutons, rhinocéros pour le méchant). Cette galerie de personnages au cœur tendre (Lou et son tonton – baby sitter) vit des aventures incroyables, dans un univers sauvage et magique, à l’aide d’adjuvants inattendus (le tabasco carburant pour remonter la chute d’eau).. Ensuite parce que l’’écriture est à la fois alerte, rapide et bon enfant, tant dans le récit – au ton souvent familier (excités comme des puces, il rigole à s’en faire mal aux côtes) que dans les dialogues, qui permettent de donner une voix à chacun (les jurons dignes du capitaine Haddock de l’oncle Boniface – Nom d’un casse-croute de piranha -,  le chuintement d’Aristide –chapitaine !). Enfin, parce que les tortures des guillis-ouistitis, comme leur nom l’indique, sont à base de chatouilles en apparence inoffensives.

Un roman d’aventures drôle, illustré par l’auteur, parodie des grands classiques du genre,  qui fera passer un bon moment aux jeunes lecteurs.

All together

All together
Edward van de Vendel

Traduit (néérlandais) par Emmanuelle Sandron
Thierry Magnier, 2010

Une colloc’ chez Star Ac’ (roman gay)

Par Anne-Marie Mercier

Par le haAll together.gifsard d’une collocation à trois, on entre dans un monde de jeunes talents qui cherchent plus ou moins  à percer : plutôt moins pour le héros, Tycho, adolescent sombre et timide qui s’est inscrit dans une formation à la création littéraire et tente juste de tenir debout ainsi et de se fixer un but. Les deux autres, Vonda la future chanteuse extravertie et Moritz le danseur, sont plus décidés, plus volontaires. Les lecteurs ados qui rêvent d’ « auberges espagnole s » seront ici servis et prendront grand plaisir à ces récits de vie en commun sans horaires, ponctués de conversations infinies, de confidences, de fêtes, de repas (de pâtes) et de bières.

Le roman est porté également par un autre champ qui plaira aux ados, celui de la chanson et du spectacle. Tous trois sont entraînés ‘tous ensemble’ (all together) dans l’aventure du concours de l’Eurovision auquel doit participer Vonda, concours très populaire dans les pays d’Europe du Nord (le récit se passe à Rotterdam). On découvre ainsi le cadre général de la variété professionnelle : choix des musiques et des paroles, choix de la langue, préparation, répétitions, mise en scène, etc. Le monde des agents, des journalistes et de la télévision est esquissé et tout au long du roman le suspens reste entier : Vonda résistera-t-elle à la pression médiatique ? le groupe restera-t-il soudé ? pourquoi Vonda est-elle si fragile ?

Parallèlement, Tycho nous livre le parcours de son éducation sentimentale, à travers le récit qu’il fait de ces événements dans le ‘récit de vie’ qu’il doit écrire pour sa formation à la création littéraire et qu’il garde caché, ne livrant que des bribes de textes dans ses cours. Il écrit également de nombreux mels qu’il n’envoie pas. D’abord à Olivier : lorsque le récit débute, Tycho vient de vivre un grand amour d’été avec ce garçon. Il l’a rencontré aux Etats unis puis l’a suivi dans son pays, la Norvège, d’où il est reparti brutalement, persuadé que leur histoire n’avait pas d’avenir. Rongé par le regret, il écrit, n’envoie pas, attend qu’Olivier fasse le premier pas, s’enferme dans ses soliloques. Dans une deuxième partie du roman, c’est à Vonda qu’il écrit sans rien lui envoyer alors qu’il vit avec elle.

Le cœur du roman est dans les relations entre Tycho et Vonda, avec, en arrière plan, les familles de l’un et de l’autre. Vonda est un personnage extrêmement intéressant, aussi bien dans son caractère, son histoire que dans les relations qu’elle construit (ou détruit) avec ses amis. Les dialogues comme les réflexions de Tycho permettent au lecteur d’en savoir autant que le personnage, mais pas plus, et d’avancer dans la découverte des vérités (celles de Tycho et celles de Vonda) au même rythme, c’est-à-dire très progressivement, alors que le rythme de l’Eurovison est en mode accéléré.

Récit en grande partie autobiographique (certains des poèmes de Tycho ont été publiés séparément par de Vendel), c’est à la fois un témoignage sensible sur les affres et les joies des amours adolescentes et un beau roman sur la création et la solidarité. Le contexte homo est massivement présent, tant par l’histoire d’Olivier que par les amours de Moritz et les sorties en bars gays. Il semble que la littérature de jeunesse (notamment en Hollande) tienne compte du fait qu’elle a affaire à un lectorat que les histoires d’amours hétéro ne touchent pas. Ce n’est bien sûr pas tant un nouveau lectorat qu’un groupe qui existe à présent socialement de façon visible et assumée. Les parents de Tycho sont d’ailleurs un modèle de compréhension et on peut imaginer qu’ici l’auteur ait fait le portrait de ceux que tout adolescent aimerait avoir.

Après les albums publiés chez Être, ou au Rouergue (Petit lapin stupide, Pagaille, Frisson de fille, Rouge, rouge petit chaperon rouge, etc.), c’est le premier roman jeunesse de de Vendel publié en France.

 

Chasseur de fantômes (chronique des temps obscurs, t. 6)

Chasseur de fantômes (chronique des temps obscurs, t. 6)
Michelle Paver
Traduit (anglais) par Blandine Longre
Hachette, 2010

Aventures préhistoriques : un garçon, une fille, un loup

Par Anne-Marie Mercier

Pour la sixième fois (dernière, si l’on en croit la quatrième de couverture), Michelle Paver emmène son lecteur à la suite des aventures de Torak et de son ami le loup, dans la forêt de l’âge de Pierre.
Les aventures sont assez classiques : un personnage maléfique à combattre, le destin de l’humanité suspendu aux choix d’un jeune garçon (et d’une jeune fille, tout de même, sans parler du loup, il y en a pour tous !). Avec cela on ajoute une pincée de magie noire ou blanche, deux doigts de suspens et de nombreuses scènes de poursuite, et l’affaire est enlevée.
Les interrogations de Torak et de son amie Renn sur leur identité et leur avenir sont à la fois spécifiques au contexte et pourtant très transposables vers celles d’adolescents d’aujourd’hui. Sur le plan de la vraisemblance documentaire, la psychologie des personnages est donc assez peu crédible et c’est encore plus vrai pour les personnages animaux (Loup et sa petite famille). Mais cela ajoute à la fantaisie et la liberté du texte et correspond aux contradictions d’un roman pris entre le roman (pré)historique, le roman d’aventure et le roman d’initiation.
Le charme particulier du récit réside surtout dans les descriptions de l’hiver de la forêt, des préparatifs, des vêtements et de leurs matières et textures, des abris rencontrés (on y fabriquer beaucop de cabanes…). Une précision méticuleuse (soutenue par une  traduction précise et élégante) fait voir et sentir ce monde du froid et la précarité des hommes des premiers temps, comme elle souligne leur proximité avec le monde naturel. Les animaux, réels ou inventé (belle idée d’un hibou diabolique), sont extrêmement présents et donnent à ce texte un autre ancrage sensible.

Totale angoisse

Totale angoisse
Brigitte Aubert                                                                                        
Thierry Magnier (« Nouvelles ») 2009

Récits très noirs

par Maryse Vuillermet

Brigitte Aubert ne prend pas les jeunes  pour des enfants de chœur. Dans ces récits très noirs, les enfants sont victimes de tueurs, de passeurs malhonnêtes, d’accidents de la route, de psychopathes, de malades mentaux, de jardiniers pervers armés de grandes cisailles. Parfois, ils en réchappent  mais pas grâce aux adultes, grâce à d’autres enfants ou jeunes de leur âge. L’un d’eux s’en sort parce qu’il est loup-garou, adolescent. Le monde décrit par l’auteur est violent, d’une cruauté rare, et désespéré, plein de guerres, de fin du monde programmée… La seule fenêtre est l’humour, la fantaisie.  Mais c’est un humour assez macabre et délirant ; par exemple,  dans la nouvelle un conte défait, qui décrit un institut de réinsertion pour personnages de contes pour enfants, la Petite Sirène (en fauteuil roulant pour cacher sa queue de poisson)  et Pinocchio se rencontrent lors d’un casse de banque et deviennent amis pour travailler dans la  parade d’Euro Disney.  Les contes pour enfants sont-ils définitivement remisés aux oubliettes, remplacés ou recyclés par les nouvelles noires.  Brr !

rose

Rose
Colas Gutman
L’école des loisirs (neuf), 2010

Ça dégoménage !

Par Anne-Marie Mercier

Rose a un problème : les mots ne lui viennent pas, elle les mélange, demande des zonzons à la marchande de bonbons, prépare un exposé sur les bronto-stores, bref, elle se fait des croche-pattes à la langue. Elle a peur de dégoménager encore, lorsque à la nouvelle école on comprendra qu’elle est irrécupérablement différente…
Le récit est mené par Rose, qui nous emmène dans ses fantaisies verbales, souvent bien trouvées, périphrases étonnantes et rêveuse, proposant des devinettes : qu’est ce qu’un lampadaire qui lui demande l’heure dans la rue ? qu’est ce le jeu de « crève en enfer » ? (réponse pour le dernier : la marelle).
Au long du récit, on voit les soucis de Rose, ses tentatives pour ne pas se faire repérer, les relations avec les autres enfants, les enseignants, ses parents ; on la voir aussi pleine de courage, osant ce que les autres redoutent.
Ce très joli roman, réaliste et tonique, fantasque et sérieux à la fois, aborde les difficultés du langage sans misérabilisme et avec un optimisme réjouissant. On sourit, on bute sur les mots, on espère, on échoue, enfin, on est tous avec Rose la solitaire jamais seule.

Les tartines au ketcheupe

Les tartines au ketcheupe
Marie-Sabine Roger
Thierry Magnier (réédition, première édition : 2000)

D’un Nicolas l’autre

par Christine Moulin

Le héros-narrateur du petit roman de Marie-Sabine Roger raconte sa vie quotidienne à la maternelle et à la maison. Et ce n’est pas toujours drôle même si cela fait beaucoup rire. Certes, et c’est une limite du genre, il paraît bien lucide pour son âge (il est vrai qu’il lui arrive de dire qu’il ne répond rien parce qu’il n’a pas « tous les mots pour »). N’empêche : le début, surtout, est hilarant. Extrait : « En tout cas, c’est l’heure des mamans du midi […] Les mamans sont garées dans le couloir. La maîtresse se met à la porte. Elle appelle, bien fort, d’une voix minidouce, même pour ceux qui ont été vilains … »Le propos est grave pourtant : le père de Nicolas le regarde plus souvent qu’à son tour « avec des yeux remplis de baffes ». Le petit garçon se crée alors un double, Petitoiseau, qui subit ce qu’il subit ou bien il met en scène sa propre vie au pays des fourmis : « Pif, clac  C’est la fête au fourmisseau ». Mais rien n’est pesant ni larmoyant, on peut faire confiance à Marie-Sabine Roger, qui a su rendre la mort elle-même moins terrible (A la vie à la). Il faut dire qu’elle a une arme redoutable : son humour et son écriture, faite de mots et de tournures inventés, mais si justes qu’on se demande pourquoi ils n’existent pas depuis longtemps : « Ma voix-dedans me réfléchit des choses. L’espliquologue est venu me chercher dans la classe, après la cantine. » C’est que, comme le dit l’auteur elle-même, dans un entretien avec les responsables du site « Citrouille : « Les mots sont des raccourcis pour aller directement à l’émotion, pour être en prise directe. Mais paradoxalement, ils servent également de protection contre des émotions fortes. Ce sont des petits coussins entre le lecteur et le chagrin ou la violence. Si on s’y assied c’est moins dur, si on rebondit c’est drôle. Rire n’empêche pas l’émotion, et l’émotion n’empêche pas le rire. On pleure de rire, on “ pleurigole “ comme dans À la vie, à la… »Les quiproquos aussi sont légion : c’est ainsi que Nicolas se demande longtemps à cause de quelle bêtise le petit oiseau « a pris sa volée » ; écoute avec attention l’histoire du « petit poussé » qui se passe chez des pauvres moucherons… Les non-dits sont poignants : quand Nicolas doit remettre en ordre des images représentant les actions de la journée (un grand classique !), il trouve tout de suite qu’il y a une image-intrus, celle sur laquelle le « petit garçon joue avec son papa »…Si bien que les événements en eux-mêmes n’ont guère d’importance : ils sont à hauteur de petit de maternelle (préparer un repas pour la famille fourmis, par exemple, ou un voyage scolaire au zoo), extrêmement importants, donc. Et terriblement émouvants.
Une interview de Marie-Sabine Roger sur le site « Citrouille » :