Le Pirate de l’Au-delà – Un livre dont vous êtes le héros
Steve Jackson, Ian Livingstone
Gallimard Jeunesse (Défis fantastiques), 2012 [1982]
Je ne suis pas un héros ?
Par Matthieu Freyheit
Attention : vous avez affaire à un fan. Après une jeunesse passée à explorer les manoirs, les ports et les cimetières, à se prendre au jeu d’écrire des aventures dont quelqu’un serait le héros, quel plaisir, oui, quelle joie de voir réédités les classiques de ces fameux Livres dont vous êtes le héros. Pour les nostalgiques de mon espèce et de ma génération, les titres sont autant d’appels à renouer avec d’anciennes sensations de quête, intime, filée au cours des pages. C’est également, pour tous, l’occasion d’observer le travail du temps sur des textes incroyablement marqués par l’esprit des années 1980…
C’est malheureusement l’un des écueils de cette (nouvelle) collection : replonger dans les Livres dont vous êtes le héros, c’est un peu comme re-regarder Conan le Barbare, on se demande si ça peut vraiment fonctionner avec ceux qui n’ont pas grandi à leur contact. Pour nous autres, en revanche, c’est un mélange d’amusement, d’affection, et, peut-être, une part d’ennui. C’est que, il faut bien le dire, Le Pirate de l’au-delà ne constitue pas le sommet du genre. L’écriture est certainement dépassée et, plus étonnant, le rythme lui-même semble appartenir à un autre temps.
Mais enfin, je brûle des étapes. Pour les nouveau-nés au genre, le Livre dont vous êtes le héros est un livre, un vrai, dont VOUS êtes le héros. Certes, je joue un peu sur la répétition, mais il est bon d’insister. Après une introduction (plutôt courte), sorte de scène d’exposition, il vous faudra effectuer une succession de choix qui vous renverront à chaque fois à un numéro. Ainsi, le livre dont vous êtes le héros est constitué d’une suite de paragraphes numérotés, et se lit dans un ordre tout-à-fait aléatoire d’un lecteur à l’autre et, plus encore, d’une lecture à l’autre. Car ne croyez vous en sortir du premier coup : vous affronterez la mort, et elle n’est pas sans conséquence, comme dans certains jeux vidéo. Pas de sauvegarde, il faut recommencer du début, et reprendre sa feuille de route. Feuille de route ? C’est un tableau situé au début du livre, avant que l’aventure ne commence, et sur lequel vous aurez à noter vos points d’endurance, d’habileté, de chance, éventuellement de magie, ainsi que l’ensemble des objets que vous transportez, les codes et mots de passe découverts, les pièces de monnaie récoltées… tant de choses, tant de choses ! Usage aléatoire, lectures multiples, prise de notes : Mac Orlan n’a qu’à bien se tenir, ici il n’est pas question de distinguer aventuriers passifs et actifs, car l’aventure est au coin de la page ! Simplement fascinant.
Revenons à celui qui nous intéresse. Six pages suffisent à dresser le tableau de votre nouvelle existence de héros du Pirate de l’au-delà. Les ingrédients ne sont pas follement originaux : un pirate terrible et maléfique, le massacre de votre famille, l’avènement de votre désir de vengeance. Inutile de vous en dire plus, si ce n’est que ce n’est pas parce que tout le monde raconte que le fameux pirate est mort qu’il a pour autant cessé ses méfaits. L’infâme ! Comme je le disais plus haut, ce n’est sans doute pas le plus inoubliable de la collection. Le texte est relativement simpliste et convenu, même attendu, et l’enchaînement qui devait nous faire haleter demeure un peu mou, et pas toujours savoureux. Ceci dit, l’actuelle veine des pirates offrira peut-être à ce volume plus de succès qu’il n’en mérite, tandis que d’autres volumes de la collection, plus réussis, passeront inaperçus. Mon désir profond étant, bien sûr, que les éditions Gallimard parviennent à travers cette collection à susciter quelques nouvelles vocations, et que des auteurs contemporains se lancent à leur tour dans l’aventure que constitue l’écriture de genre si particulier, si potentiellement riche.
Pour ma part, les autres classiques de Steve Jackson, Ian Livingstone et Joe Dever occupent ma table basse, et attendent que je m’y plonge pour vous en rendre compte. C’est que ce n’est pas désagréable, d’être un héros.