La Nuit du Nécromancien

La Nuit du NécromancienUn Livre dont vous êtes le héros
Steve Jackson et Ian Livingstone

Traduit (anglais) par C. Degolf
Gallimard Jeunesse (Défis fantastiques), 2012 [1982]

Petit dictionnaire (lassant) des synonymes

Par Matthieu Freyheit

LaNuitduNecromancienLa Nuit du Nécromancien (tout un programme) a l’originalité de vous faire mourir très vite. Non, je ne viens pas de ruiner le suspens, puisque l’un des ressorts de ce volume concerne la possibilité de regagner votre enveloppe charnelle. En attendant, profitez de vos heures comme spectre pour voler dans les airs ou prendre possession du corps d’un autre. Petit topo : après avoir gagné une bataille contre les seigneurs des ténèbres (ils sont de tous les mauvais coups), vous rentrez en votre pays, fier de votre victoire sur les loups-garous et autres vierges des sépulcres (???). Votre joie est de courte durée puisque, sur le point d’arriver, une embuscade vous fait affronter un sinistre Disciple de la mort (dans les LDVEH, on ne lésine pas sur le champ lexical de la mort et de la démonologie). Résultat : vous voilà spectre. Et l’aventure commence.

C’est vrai : les Livres dont vous êtes le héros ne manquent pas de clichés. Allons plus loin : ils les accumulent, de manière parfois malheureuse. La Nuit du Nécromancien va peut-être trop loin dans l’usage des créatures ténébreuses et des adjectifs perpétuellement adjoints à toutes choses. Jusqu’à votre épée (magique, bien sûr) qui porte le doux nom de Fléau de la Nuit. FLÉAU DE LA NUIT. Rien que ça. À la multiplication des qualificatifs, le livre ajoute une multiplication des combats. Pour les habitués des jeux vidéos qui ont hurlé de se trouver projetés dans une arène de combat tous les trois pas, la sensation est ici un peu la même. Araignées de la mort, roi des ombres, faucheurs d’âmes, goule putride, chevaliers de la terreur, ‘putrescent’ (oui, simplement ‘putrescent’) et j’en passe, tout y est, de manière un peu lassante. Une curiosité quand même au détour de votre route : une apparition toute gandalfienne qui, bâton à la main, empêche l’accès d’un pont et vous assène fièrement : « Aucun spectre ne peut passer ici ». Ça vous rappelle quelque chose ?

Vous l’aurez compris, il s’agit bien pour une fois de mettre en avant les limites d’un genre basé sur l’incomplétude et sur une esthétique sans doute trop assumée et donc limitée pour être pérenne. L’incomplétude du personnage demeure sans doute l’une des plus fondamentales. Le plaisir d’entrer dans la peau d’un chevalier ou d’un mage n’est pas remis en question, mais peut être empêché en grande partie par l’absence d’investissement de ces figures. La lecture du LDVEH en appelle à une mémoire concrète matérialisée par notre feuille de route. Elle évacue, en revanche, la mémoire affective qui permettrait une adhésion plus profonde au système mis en place. Il n’est pas étonnant à ce titre que ces livres n’aient pas dépassé la fin des années 1980, balayés par les jeux vidéos qui ont peu à peu permis, précisément, d’offrir à la fois l’espace du choix et celui de l’affect (les fans gardent à l’esprit l’exemple de Final Fantasy VII). Art sans mémoire parce que privé de sentiments (et souvent – cela est évidemment lié – de style), le LDVEH se lit et s’oublie comme s’oublient le nom de leurs auteurs, hormis aujourd’hui dans un cercle d’internautes nostalgiques qui font de ces livres des objets de collection. Formulons à nouveau le vœu exprimé dans une notice déjà consacrée au LDVEH : il serait heureux qu’un auteur doué d’imagination et de style s’empare des richesses techniques offertes par ce genre, et fasse ainsi la démonstration de sa valeur critique. Même si, il faut bien l’avouer, la nostalgie a ses délices.

 

Le Manoir de l’Enfer (Un Livre dont vous êtes le héros)

Le Manoir de l’Enfer (Un Livre dont vous êtes le héros)
Steve Jackson
Traduit (anglais) par Michel Zénon
Gallimard Jeunesse (Défis fantastiques), 2012 [1982]

« L’art est un jeu d’enfant » (Max Ernst)

Par Matthieu Freyheit

lemanoirdelenferImpossible de résister plus longtemps. Devant la pile de Livres dont vous êtes le héros qui m’attend, je pensais procéder raisonnablement et garder, en adulte, le meilleur pour la fin. Mais rien n’y fait, je n’y tiens plus, plus du tout. Ahhh, quelle joie, quel plaisir, quel frisson de voir réédité non pas toute la série, mais CELUI-LÀ, Le Manoir de l’Enfer. Mon préféré étant enfant, vous l’aurez compris. S’il ne devait en rester qu’un, oui, ce serait celui-là. Exit Duncan MacLeod du clan Macleod, je n’ai d’yeux que pour Steve Jackson et son héros : moi. Enfin, vous. Enfin qui vous voulez, puisque c’est bien là le concept des Livres dont vous êtes le héros.

Petit rappel pour ceux qui, peut-être, ne se sont pas encore plongés dans la notice consacrée au Pirate de l’au-delà. Le Livre dont vous êtes le héros, c’est l’aventure au coin de la page, rien que ça. C’est l’occasion de mettre un livre sens dessus dessous, de balayer les codes habituels, de ne pas se bercer au confort de la succession des pages, de ne pas somnoler au long fleuve tranquille de la lecture, mais de trembler à l’idée de quitter définitivement une page pour, dans un bond terrible et enchanteur, ne jamais pouvoir revenir en arrière et, peut-être, soudain laisser la vie. Le Livre dont vous êtes le héros, c’est un livre où l’auteur accepte de ne pas être tout-à-fait auteur, de ne pas remplir jusqu’au bout son rôle, pour nous laisser l’occasion de mille et un scenarios. Bref, c’est un genre qui mérite le succès d’une future étude, aventureuse et foisonnante comme le serait son objet. Car si mon cœur ne battait pas la chamade pour Le Pirate de l’au-delà, je ne peux guère cacher l’enthousiasme retrouvé de mes heures de jeunesse passées à arpenter les couloirs du Manoir de l’Enfer.

Oui, mon cœur bat. De joie, certainement, mais pas seulement. Il y a là quelque peur qui l’accompagne, non sans raison. Le Manoir de l’Enfer, vous savez, c’est peu le Resident Evil de la génération 80’. Ceux qui ont passé des nuits à jouer, fébriles, tremblant, sursautant, haletant, seuls dans la demeure familiale me comprennent. La situation ? Une tempête, un accident de voiture, une étrange apparition, et un vieux manoir de campagne pour seul refuge à votre pauvre carcasse trempée. Ici, il pleure dans notre cœur comme il pleure sur le manoir. Et là, dans cette nuit qu’aucun rayon n’étoile, le Maître nous attend. Victor, certes, n’est pas au rendez-vous, mais enfin, il y a quelque beauté dans la simplicité de ces images pleines, dans un mélange de grotesque et de sublime, d’un romantisme noir. Sauf que le lycanthrope cède la place à un monstrueux bouc sanglant… Ne pas croiser.

Ce que Le Manoir de l’Enfer a de plus que les autres Livres dont vous êtes le héros ? L’écriture, déjà, en est plus réussie, et peut-être moins dépassée – parce que plus simple – que bien d’autres volumes. Par ailleurs, le livre est ici davantage tourné vers un travail d’atmosphère que vers une multiplication parfois ennuyeuse de rencontres avec des adversaires. Mais n’allez pas vous imaginer qu’il en sera plus facile à terminer pour autant. Pour les joueurs qui sont habitués à parler en durée de vie, Le Manoir de l’Enfer bat des records. Et pour les plus connaisseurs, c’est un peu comme si vous vous retrouviez soudain en face du Super Ghouls’n Ghosts du Livre dont vous êtes le héros. Plus de quinze ans après ma première approche du livre, j’en cherche toujours la solution, désespérément, fiévreusement, passionnément. Oui, foin des pudeurs, je finirai bien par le dire : voilà, à mon sens, le meilleur des LDVEH, celui qui vous retient malgré vous prisonnier de sa lecture et de son souvenir, aussi puissamment qu’il vous retient, héros, dans les dédales de ce sombre et merveilleux manoir. À vos dés, joueurs de tous poils, affirmés ou honteux : l’art, avec Steve Jackson, est certes un jeu d’enfant, mais d’enfant terrible !

Le Pirate de l’Au-delà – Un livre dont vous êtes le héros

Le Pirate de l’Au-delà – Un livre dont vous êtes le héros
Steve Jackson, Ian Livingstone
Gallimard Jeunesse (Défis fantastiques), 2012 [1982]

Je ne suis pas un héros ?

Par Matthieu Freyheit

lepiratedelaudelaAttention : vous avez affaire à un fan. Après une jeunesse passée à explorer les manoirs, les ports et les cimetières, à se prendre au jeu d’écrire des aventures dont quelqu’un serait le héros, quel plaisir, oui, quelle joie de voir réédités les classiques de ces fameux Livres dont vous êtes le héros. Pour les nostalgiques de mon espèce et de ma génération, les titres sont autant d’appels à renouer avec d’anciennes sensations de quête, intime, filée au cours des pages. C’est également, pour tous, l’occasion d’observer le travail du temps sur des textes incroyablement marqués par l’esprit des années 1980…

C’est malheureusement l’un des écueils de cette (nouvelle) collection : replonger dans les Livres dont vous êtes le héros, c’est un peu comme re-regarder Conan le Barbare, on se demande si ça peut vraiment fonctionner avec ceux qui n’ont pas grandi à leur contact. Pour nous autres, en revanche, c’est un mélange d’amusement, d’affection, et, peut-être, une part d’ennui. C’est que, il faut bien le dire, Le Pirate de l’au-delà ne constitue pas le sommet du genre. L’écriture est certainement dépassée et, plus étonnant, le rythme lui-même semble appartenir à un autre temps.

Mais enfin, je brûle des étapes. Pour les nouveau-nés au genre, le Livre dont vous êtes le héros est un livre, un vrai, dont VOUS êtes le héros. Certes, je joue un peu sur la répétition, mais il est bon d’insister. Après une introduction (plutôt courte), sorte de scène d’exposition, il vous faudra effectuer une succession de choix qui vous renverront à chaque fois à un numéro. Ainsi, le livre dont vous êtes le héros est constitué d’une suite de paragraphes numérotés, et se lit dans un ordre tout-à-fait aléatoire d’un lecteur à l’autre et, plus encore, d’une lecture à l’autre. Car ne croyez vous en sortir du premier coup : vous affronterez la mort, et elle n’est pas sans conséquence, comme dans certains jeux vidéo. Pas de sauvegarde, il faut recommencer du début, et reprendre sa feuille de route. Feuille de route ? C’est un tableau situé au début du livre, avant que l’aventure ne commence, et sur lequel vous aurez à noter vos points d’endurance, d’habileté, de chance, éventuellement de magie, ainsi que l’ensemble des objets que vous transportez, les codes et mots de passe découverts, les pièces de monnaie récoltées… tant de choses, tant de choses ! Usage aléatoire, lectures multiples, prise de notes : Mac Orlan n’a qu’à bien se tenir, ici il n’est pas question de distinguer aventuriers passifs et actifs, car l’aventure est au coin de la page ! Simplement fascinant.

Revenons à celui qui nous intéresse. Six pages suffisent à dresser le tableau de votre nouvelle existence de héros du Pirate de l’au-delà. Les ingrédients ne sont pas follement originaux : un pirate terrible et maléfique, le massacre de votre famille, l’avènement de votre désir de vengeance. Inutile de vous en dire plus, si ce n’est que ce n’est pas parce que tout le monde raconte que le fameux pirate est mort qu’il a pour autant cessé ses méfaits. L’infâme ! Comme je le disais plus haut, ce n’est sans doute pas le plus inoubliable de la collection. Le texte est relativement simpliste et convenu, même attendu, et l’enchaînement qui devait nous faire haleter demeure un peu mou, et pas toujours savoureux. Ceci dit, l’actuelle veine des pirates offrira peut-être à ce volume plus de succès qu’il n’en mérite, tandis que d’autres volumes de la collection, plus réussis, passeront inaperçus. Mon désir profond étant, bien sûr, que les éditions Gallimard parviennent à travers cette collection à susciter quelques nouvelles vocations, et que des auteurs contemporains se lancent à leur tour dans l’aventure que constitue l’écriture de genre si particulier, si potentiellement riche.

Pour ma part, les autres classiques de Steve Jackson, Ian Livingstone et Joe Dever occupent ma table basse, et attendent que je m’y plonge pour vous en rendre compte. C’est que ce n’est pas désagréable, d’être un héros.