La Passe-miroir, 1 : Les fiancés de l’hiver

La Passe-miroir, livre 1: Les fiancés de l’hiver
Christelle Dabos
Gallimard jeunesse, 2013

Ebouriffant !

Par Anne-marie Mercier

la-passe-miroir,-livre-1Avec du retard, j’ai découvert la nouvelle série française, La Passe-miroir, qui a obtenu le prix du premier roman jeunesse en 2013 (prix organisé par Gallimard Télérama et RTL, ne pas confondre avec celui des incorruptibles qui récompense lui-aussi une première œuvre)., prix Elbakin, prix de l’Hérault, et j’en oublie sans doute. Ajoutons lui une sélection pour le prix lietje si on se décide à l’organiser cette année ! Et mon prix personnel du meilleur roman de fantasy de l’année.

Il est bien écrit, avec des personnages originaux et attachants, une intrigue complexe que l’on découvre progressivement, un zeste d’humour, beaucoup de suspens et de noirceur, et est surtout marqué par une Inventivité ébouriffante. Tout cela étant impossible à résumer, je renvoie au site de l’auteur qui propose une galerie des ses personnages, des résumés et surtout un blog avec lequel elle communique avec ses lecteurs.

Qu’est ce qui est le plus attachant dans ce premier volume ? Peut-être l’héroïne, Ophélie, maladroite, au physique ingrat, aux lunettes qui changent de couleur selon son humeur et se cassent facilement, la laissant dans le brouillard. Elle porte une écharpe vivante et encombrante, son « premier golem » : ainsi apprend-on que les personnes de son monde donnent vie à des objets comme on tricote chez nous – des écharpes informes pour commencer. Totalement dépassée par les événements, elle est détentrice d’un don rare, ou plutôt de deux : l’un fait d’elle une « liseuse » capable de solliciter la mémoire des objets qui lui révèlent l’état d’esprit de ceux qui les ont manipulés, l’autre lui permet de se déplacer d’un miroir à un autre, comme dans le film de Cocteau, Orphée.

Ou bien l’attrait du livre tient-t-il à l’univers dans lequel elle évolue ? Le monde terrestre a été fragmenté après un conflit apocalyptique, en « arches ». On se déplace de l’une à l’autre en dirigeable (curieux, cette mode du dirigeable en littérature pour la jeunesse : Vango, Le Château des étoiles…). Celle à laquelle Ophélie appartient, Anima, est une structure matriarcade et familiale – tous ses habitants sont apparentés –, assez débonnaire et futile (je pense au début à une parenté avec la très belle série La Maison sans-pareil d’Eliot Skell que j’avais élu aussi « meilleur roman de fantasy). Seul un grand-oncle archiviste et Ophélie, qui travaillent ensemble au musée, semblent avoir un peu de sérieux. Sur Anima, chacun a un don en rapport avec l’âme des objets. On se marie entre soi (Ophélie a déjà refusé deux proposition de mariage avec des cousins). Une ancêtre et un conseil des doyennes règnent sur ce monde.

Pour des raisons mystérieuses, alors que l’endogamie est la règle, on a décidé de la fiancer à un étranger, un homme du pôle, austère et froid, qui l’emmène dans son monde sans rien lui dire de ce qu’on attend d’elle et du monde qu’elle va découvrir. Avec une vieille tante pour chaperon, elle découvre au Pôle une citadelle glacée habillée d’illusions trompeuses, un labyrinthe où l’espace de distend ou se raccourcit sans cesse, où d’étranges ascenseurs vous emmènent dans des lieux réservés. Ce labyrinthe n’est pas plus complexe que celui de la cour où elle évolue, pleine de faux semblants, de menaces bien réelles, où il ne faut faire confiance à personne, surtout pas à sa famille.

J’ai retrouvé le charme de La Maison sans-pareil, autant dans la vaste cousinade d’Anima où chacun cultive son petit talent sans trop de poser de questions que dans la ville labyrinthique du pôle. Elle évoque aussi la maison infinie de L’autre de Pierre Botero, mais tout cela de manière très originale. Comme dans L’autre d’ailleurs, on trouve des familles humaines dotées de pouvoirs particuliers. S’il n’y en a qu’une sur Anima (les Animistes), au pôle plusieurs se déchirent pour avoir la faveur de l’ancêtre : « Dragon » agressif (le fiancé en fait partie, et l’on retrouve des éléments de La Belle et la Bête), « Mirage » capable de créer des illusions, « Trame », dont les membres sont reliés psychiquement entre eux et incapables de dissimulation… Le contexte social est celui d’une cour qui semble en fête perpétuelle et qui se jalouse et se déchire, y compris au sein d’une même famille : assassinats et tromperies sont le quotidien des nantis, tandis que tout un peuple de valets et femmes de chambre trime jusqu’à l’épuisement, contrôlé par une police redoutable. Ophélie, issue d’un monde relativement égalitaire sinon démocratique, découvre ces mondes, tantôt en tant que fiancée cachée, tantôt sous le déguisement d’un valet.

Quant à l’intrigue amoureuse qui devrait être centrale, puisque l’héroïne est fiancée et que le titre du volume porte ce nom, mais elle est à la fois centrale et marginale. Elle se rapproche d’une trame bien connue du roman sentimental : la jeune fille, terne et sans intérêt, rencontre un homme puissant – pas forcément beau, et c’est même tout le contraire ici. Cet homme impressionnant s’avère fragile et incompris, sa dureté est un masque, l’héroïne arrive à le percer à jour. Elle lui devient indispensable car elle est la seule à savoir qui il est vraiment… Mais ce modèle très courant dans les collection Harlequin etc., est subverti dans de nombreux points : l’intrigue principale tient à la question de savoir pourquoi on cherche à marier Ophélie avec Thorn, et qui manipule qui. Elle le découvre peu à peu et passe vis-à-vis de son fiancé de l’indifférence à la confiance, puis à l’hostilité – le sentiment de n’être qu’une chose dans ce jeu dont elle ignore les règles et dans lequel elle n’a aucun choix demeurant permanent. La place marginale de la question sentimentale nous épargne les atermoiements et dialogues exploratoires de la planète sentimentale qui bien souvent plombent le roman pour adolescents (et en font un roman pour adolescentes).

Enfin, une cruauté rampante et constante en font aussi un roman noir : les séductions des mondes imaginaires sont un masque séduisant qui couvre les pires crimes. A la fin du roman, beaucoup sont morts, y compris des innocents, et la gueule d’ange d’un enfant est celle du pire monstre de cet univers… Tout un programme !

La suite bientôt ! je vais lire d’urgence le tome 2 et le 3 est en préparation…

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