Zapland

Zapland
Marie-Aude Murail, Frédéric Joos (ill.)

L’école des loisirs (Mouche), 2016

De l’apprentissage de la lecture,
ou Naissance d’une écrivatrice

Par Anne-Marie Mercier

 

Tanee vit dans un monde futuriste, en 2054, avec des télé-transports, du télé-travail, des professeurs de plus de 80 ans, des voitures volantes, de la nourriture synthétique… Comme elle a huit ans, elle doit apprendre à lire mais ne sait pas bien à quoi cela peut servir : elle dicte tout ce qu’elle veut à un phonoscript, et toutes les informations nécessaires sont données vocalement ou à l’aide d’images. Elle fréquente donc, en s’ennuyant beaucoup, le cours de madame Poincom. Elle travaille sur écran avec le jeu (« débile ») de la forêt enchantée de Zapland dans lequel elle doit trouver et exterminer des A, des O…, enfin toutes les lettres de l’alphabet : enseignement « ludique » qui l’ennuie profondément car il est dénué de sens.

On comprend vite que ce qui est visé là c’est l’enseignement de la lecture par le « code » (le B. A., BA ou méthode syllabique, qui fait son grand retour depuis quelques temps via les nostalgiques de l’école à l’ancienne). Lorsque cet apprentissage n’est pas couplé avec celui du sens et ne correspond pas à un désir, même a minima celui de faire plaisir à son entourage, ou du moins à une curiosité de l’enfant, il est voué à l’échec : lire ce n’est pas décoder, mais c’est comprendre, pour reprendre les termes d’E. Charmeux. On comprend aussi pourquoi ce texte est dédié à Jean Delas, fondateur de l’Ecole des loisirs : cette maison d’édition s’est définie par la volonté de proposer de vrais textes, bien écrits, inventifs, touchants, des textes qui donnent envie de lire et qui donnent du sens à cet apprentissage difficile et laborieux pour la plupart des enfants.

Mais ce petit roman drôle et prenant n’est pas un manifeste : on suit les aventures de Tanee qui, avec son amie C@ro, s’aventure dans Lequartier, une zone en ruine, interdite. Elle y découvre un livre illustré, sans bien savoir ce qu’elle a dans les mains (cela donne un très joli passage) et, avec l’aide de sa grand-mère, entre dans la magie de l’histoire que celle-ci lui lit, et comprend qu’autrefois il y avait des écrivains (« écrivatrice » au féminin ? la grand-mère ne sait plus). Cela lui donne envie de la lire elle-même, puis d’en écrire d’autres, et enfin de les illustrer… à la main, avec d’autres antiquités rarissimes : des crayons de couleur.

C’est un autre mérite de ce petit roman : il évoque la perte que constitue l’abandon de l’écriture manuscrite et plus généralement de l’habileté graphique au profit de réalisations faites par des machines. Ce n’est pas uniquement un problème pour l’enseignement primaire (dans certaines écoles d’Amérique du Nord on n’enseigne plus l’écriture des lettres, tout écrit se faisant en lettres bâtons ou en traitement de texte), mais il concerne toute la société : être capable de faire un croquis et d’écrire rapidement et lisiblement à la main sont des talents qui deviennent rares.

Ces idées fortes ne sont pas assénées, elles restent en arrière-plan, dans une vraie histoire, de vrais personnages, et une vraie aventure : du beau travail d’écrivatrice !

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