Boucle d’ours
Stéphane Servant – Laetitia Le Saux
Didier Jeunesse 2013-2018
Les jupes roses sont-elles pour les femmelettes et les hommelettes ?
Par Michel Driol
A l’occasion du grand carnaval de la forêt, toute la famille Ours se déguise. Maman en Belle au bois dormant, papa en Grand méchant loup, et petit ours… en Boucle d’Ours, avec une jupe rose et des couettes blondes. Fureur du père, qui voudrait que son fils ait un déguisement plus viril. Mais petit ours résiste à chacune des propositions de son père : il ne sera ni chevalier courageux, ni ogre féroce, ni petit cochon dégourdi. Jusqu’au moment où une grosse voix demande au père ce qu’il a contre les jupes et les couettes… C’est le loup, déguisé en chaperon rouge. Et, ce soir-là, papa Ours fait sensation dans son costume… de Cendrillours au bras de maman Ours en petit cochon dégourdi.
Les Editions Didier Jeunesse republient un album de 2013, album qui n’a rien perdu de son actualité ou de son mordant. Revisitant Boucle d’Or, l’album adopte un point de vue délibérément anti sexiste et féministe en mettant à mal les conventions sociales si ancrées, qui confortent tous les stéréotypes genrés. Papa Ours est un bel exemple de ce discours figé, qui propose et valorise certains modèles au petit garçon : la vaillance, la férocité, l’intelligence. Tandis que maman ours est toujours présentée près de sa machine à coudre, du linge à étendre ou des bols pour le repas, lui lit Système D, la revue des ours bricoleurs… Rôle plus nuancé, discret mais fondamental en fait pour maman ours, qui s’interroge : pourquoi son fils ne pourrait-il pas se déguiser en fille ? C’est elle qui va déguiser papa Ours en Cendrillours… Pas de discours moralisateur, mais un album carnavalesque qui se situe justement en période de carnaval et propose un renversement des valeurs, des clichés, une libération et l’affranchissement des normes sociales qui enferment dans un rôle.
Le texte, très drôle, fait la part belle à des dialogues vivants – ah ! le discret zézaiement de petit Ours ! – et laisse entrevoir que le plaisir du déguisement n’a pas à obéir à des règles figées. Chacun peut jouer le rôle qu’il veut. Les illustrations très colorées de Laetitia Le Saux et ses papiers découpés introduisent dans un univers à la fois familier (un intérieur de maison très humanisé) et merveilleux – la forêt du conte, emplie de personnages secondaires.
A une époque où les stéréotypes genrés semblent avoir la vie dure, saluons la réédition de cet album dédié à tous les oursons qui aiment les jupes et à toutes les oursonnes qui aiment les salopettes….