Ribambelle

Ribambelle
Mathilde Brosset
Versant sud 2023

Sur les tréteaux l’arlequin blême…

Par Michel Driol

Aujourd’hui, c’est Carnaval. Mais Nils, tout de blanc vêtu, n’a pas de costume et pleure dans son coin. Alors tous ses amis lui donnent qui des plumes d’oiseau, qui des bouts de tissus de couleurs différentes. Et voilà Nils revêtu de tous ces morceaux dans un magnifique manteau d’Arlequin.

Arlequin, on le sait, est un des personnages de la commedia dell’arte, au costume aisément reconnaissable, qui représente les différentes facettes du personnage ainsi que sa pauvreté. Page après page, on retrouve différents enfants costumés, les uns dans des personnages de commedia dell’arte, Pierrot et Colombine, les autres en animaux (oiseau, dragon, lapin…). Ce joyeux défilé carnavalesque de personnages déguisés sur fond noir évoque différentes cultures. Le texte, souvent rimé, prend des aspects de ritournelle, avec deux « refrains » qui se répètent en alternant et qui rythment ainsi les différentes pages. Joie du déguisement, joie du partage, plaisir de retrouver du même et du différent à chaque page, tout ceci pour constituer le personnage d’Arlequin, comme un personnage dans lequel tous peuvent se retrouver, synthèse de toutes et tous. Ce défilé de personnages est illustré par des collages – ce qui évoque le patchwork de tissus du manteau d’Arlequin, tandis que sur la page de gauche, en plus du texte, se regroupent petit à petit les morceaux découpés. Répétition, accumulation : on retrouve là les techniques fondamentales des albums en randonnée, randonnée très graphique cette fois.

Un texte simple, une joyeuse ribambelle d’enfants aux prénoms de toutes les origines, tous déguisés, tous prêts à aider celui qui n’a rien, dans la gaité et la bonne humeur, pour faire la fête tous ensemble !

Boucle d’ours

Boucle d’ours
Stéphane Servant – Laetitia Le Saux
Didier Jeunesse 2013-2018

Les jupes roses sont-elles  pour les femmelettes et les hommelettes ?

Par Michel Driol

A l’occasion du grand carnaval de la forêt, toute la famille Ours se déguise. Maman en Belle au bois dormant, papa en Grand méchant loup, et petit ours… en Boucle d’Ours, avec une jupe rose et des couettes blondes. Fureur du père, qui voudrait que son fils ait un déguisement plus viril. Mais petit ours résiste à chacune des propositions de son père : il ne sera ni chevalier courageux, ni ogre féroce, ni petit cochon dégourdi. Jusqu’au moment où une grosse voix demande au père ce qu’il a contre les jupes et les couettes… C’est le loup, déguisé en chaperon rouge. Et, ce soir-là, papa Ours fait sensation dans son costume… de Cendrillours au bras de maman Ours en petit cochon dégourdi.

Les Editions Didier Jeunesse republient un album de 2013, album qui n’a rien perdu de son actualité ou de son mordant. Revisitant Boucle d’Or, l’album adopte un point de vue délibérément anti sexiste et féministe en mettant  à mal les conventions sociales si ancrées, qui confortent tous les stéréotypes genrés. Papa Ours est un bel exemple de ce discours figé, qui propose et valorise certains modèles au petit garçon : la vaillance, la férocité, l’intelligence. Tandis que maman ours est toujours présentée près de sa machine à coudre, du linge à étendre ou des bols pour le repas, lui lit Système D, la revue des ours bricoleurs…  Rôle plus nuancé, discret mais fondamental  en fait pour maman ours, qui s’interroge : pourquoi son fils ne pourrait-il pas se déguiser en fille ? C’est elle qui va déguiser papa Ours en Cendrillours… Pas de discours moralisateur, mais un album carnavalesque qui se situe justement en période de carnaval et propose un renversement des valeurs, des clichés, une libération et l’affranchissement des normes sociales qui enferment dans un rôle.

Le texte, très drôle, fait la part belle à des dialogues vivants – ah ! le discret zézaiement de petit Ours ! – et laisse entrevoir que le plaisir du déguisement  n’a pas à obéir à des règles figées. Chacun peut jouer le rôle qu’il veut. Les illustrations très colorées de Laetitia Le Saux et ses papiers découpés introduisent dans un univers à la fois familier (un intérieur de maison très humanisé) et merveilleux – la forêt du conte, emplie de personnages secondaires.

A une époque où les stéréotypes genrés semblent avoir la vie dure, saluons la réédition de cet album dédié à tous les oursons qui aiment les jupes et à toutes les oursonnes qui aiment les salopettes….

Les Palsou

Les Palsou, un conte de Noël
André Bouchard
Seuil Jeunesse

Le Père Noël n’est pas une ordure

Par Michel Driol

La famille Palsou vit dans un bidonville, mais cela n’empêche pas les enfants de s’amuser. Les parents ne savent plus rire, et tous les cours de rire donnés par les enfants, promus professeurs, ne servent à rien. Seul Monsieur Nicolas, le prof à l’école du quartier, avec sa grande barbe blanche, reste jovial. A l’approche de Noël, les adultes font les faux pères Noël, mines déconfites et regards tristes. Monsieur Nicolas offre alors une cocote toute neuve, qui a le pouvoir de réaliser tous les souhaits alimentaires. Tajine de gazelle aux olives, rougets sans arêtes, le repas de Noël devient une orgie et même le vieux La Guenille accepte de se laver. Et pendant que les adultes pleurent de joie, le père Nicolas, la nuit de Noël, part travailler… bien sûr sur son traineau.

Conte de Noël dédié à Charles Dickens, Karl Marx et François Ruffin, les Palsou est un album qui pourra surprendre, voire déranger par la plongée qu’il effectue au sein du Quart-Monde, montré avec réalisme par les illustrations. Si le texte, pris en charge par Charles Palsou, a le pouvoir de tout optimiser, l’illustration, dessin en noir et blanc, révèle une autre réalité, plus sordide. Ainsi « on va au marché » – mais on les montre en effet, à la fin du marché, fouillant les cageots abandonnés. Les enfants sourient toujours, ont les yeux grands ouverts devant le monde qui s’offre à eux, jouent, s’amusent, vont à l’école. Ils sont toujours représentés en couleurs, même si leurs vêtements sont déchirés. Ils sont porteurs des valeurs de fraternité (dans le quartier, on parle couramment chinois, espagnol, arabe…) et d’optimisme, tandis que les adultes ont démissionné. Regard vide, les plus souvent représentés en noir et blanc, ces derniers sont dans la survie et ne peuvent apprendre à rire, en dépit des efforts des enfants, qui renoncent à leur tour.  La Cocote Magique va redonner à tous le gout de rire. « On peut rire de n’importe quoi avec n’importe qui à condition d’avoir le ventre plein ». C’est cette dimension carnavalesque qui séduit dans cet album : plaisir de la nourriture, qui, comme au pays de Cocagne, vient en abondance, rire libérateur et salutaire, sens de la fête populaire qui rapproche les exclus malgré les différences – on est très proche de l’univers d’Ungerer dans Allumette. La violence sociale est présente, dans l’indifférence du marchand qui tourne le dos, dans la bourgeoise en manteau de fourrure et à la bouche carnassière qui donne des croissants aux pigeons, dans les conditions de vie dans le bidonville qu’on sent abandonné de tous, sauf du père Nicolas qui, clin d’œil au lecteur adulte, lit Le Capital tout en maniant le fer à souder…

A la fois drôle et triste, tendre et ironique, cette histoire est un vrai conte de Noël d’aujourd’hui dans lequel le merveilleux permet d’échapper au sordide.

 

Dansez vieux géants !

Dansez vieux géants !
Gérard Moncomble, Sarah Mercier
Didier Jean et Olivier Payrat (musique)
Utopiques (une histoire en musique), 2015

Carnaval des géants

Par Anne-Marie Mercier

dansez-vieux-geants-9791091081160_0L’album présente la tradition des géants du nord à travers une fiction (pas très convaincante à mon avis) : ces géants se sentent fatigués, il sont vieux… mais les supplications de la foule leur donnent une énergie nouvelle. Les illustrations, assez spectaculaires, font l’intérêt de l’album.

Un CD est joint, qui propose la lecture du texte avec un fond musical intéressant, mêlant claviers et Oud.