La Passe-miroir, vol. 4 : La Tempête des échos

La Passe-miroir, vol. 4 : La Tempête des échos
Christelle Dabos
Gallimard jeunesse (grands formats), 2019

Vertiges baroques

Le quatrième et dernier volume de la superbe saga des aventures d’Ophélie, la jeune la passe-miroir, et de son sinistre fiancé puis époux, Thorn, est le plus long (565 pages, donc pas de beaucoup), le plus complexe, le plus sombre aussi.
On y retrouve la richesse d’invention des précédents, le foisonnement et l’ambiguïté des personnages et des sentiments. L’étrangeté de l’espace, liée à la nature des «arches», fragments d’un univers éclaté, est multipliée ici par la superposition de mondes et de réalités différentes et par le caractère mouvant des lieux, parfois même par leur effondrement. Les acteurs principaux y sont des ombres ou des échos, quand ils ne sont pas des répliques d’êtres disparus depuis longtemps ou des masques qui ont fait oublier à ceux qui les portent jusqu’à leur nom. Enfin, les différentes « familles » avec leurs différents pouvoirs sont ici rassemblées, ce qui n’est pas sans ajouter à la profusion des informations et à la nécessité de bien se souvenir des volumes précédents.
Au milieu de ce trouble généralisé, Ophélie et Thorn font figure de points fixes et restent fermes dans leur détermination : leur but est de démasquer « Dieu », qui n’a de dieu que le nom (à la suite d’une déformation linguistique intéressante), une créature éternelle qui semble devenu folle, pour l’arrêter dans son entreprise de destruction des mondes qu’elle a créés, et rendre leur mémoire aux autres dieux, esprits tutélaires et protecteurs des arches, qui sont devenus des enfants sans mémoire. Ophélie et Thorn restent fermes également dans leurs sentiments, malgré la rugosité de Thorn et la maladresse d’Ophélie, et surtout malgré la difficulté qu’ils ont à se retrouver, difficulté toujours renouvelée qui donne à ce roman une allure de roman baroque.
Mais Ophélie change ; elle murit ; elle souffre à de multiples reprises, physiquement et moralement, elle perd ses pouvoirs et perd jusqu’au langage et même l’usage de ses mains, elle subit enfin des pertes cruelles : sauver le monde a un prix et Christelle Dabos n’épargne pas ses héros, ni ses lecteurs sensibles (mais on suppose qu’ils auront grandi d’un volume à l’autre, comme les lecteurs de Harry Potter).
Il y aurait une étude à enrichir sur les réactions de lecteurs à la fin de la publication d’une série. Ceux de Christelle Dabos ont exprimé parfois leur mécontentement, sans doute pour certains  à cause de l’absence de fin heureuse et définitive. L’auteure répond sur le site consacré à son œuvre :
 » Il n’était ni possible, ni même souhaitable, d’essayer de satisfaire tout le monde. Cela aurait été renier l’histoire qui m’habite depuis douze ans. Je comprends parfaitement qu’on puisse ne pas aimer la fin d’une histoire telle qu’elle est proposée par un auteur, mais j’ai été vraiment étonnée par l’état dans lequel ça a mis nombreux d’entre vous. A aucun moment, quand j’ai écrit ce tome, je n’ai imaginé qu’il puisse être vécu d’une façon aussi éloignée de mon propre ressenti.  »
Oui, le créateur d’un monde et d’un livre a des droits sur celui-ci, comme l’illustre l’histoire d’Eulalie Dilleux, même si ses lecteurs comme les esprits de famille sans mémoire en souffrent…
On a du mal à se persuader que l’aventure est finie ;  les dernières lignes semblent d’ailleurs appeler une suite, ce qui n’est pas surprenant : l’univers créé par La Passe-miroir est si riche qu’il est susceptible d’ouvrir encore bien des portes – À suivre ?

PS:
– la couverture est aussi belle que les précédentes.
– le premier tome de La Passe-miroir vient de sortir dans la collection Écoutez lire de Gallimard Jeunesse.
– Sur le site du Petit monde de La Passe-miroir, on trouve à la rubrique FAQ des conseils sur l’écriture ou des témoignages sur son propre processus de création.
– Il y a aussi un fan-dom
– Le fan-art lié au livre montre aussi l’enthousiasme des lecteurs.

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