Mon nom est Zéro

Mon nom est Zéro
Luigi Ballerini

Traduit de l’italien par Stella Di Folco
Amaterra, 2020

 

Le degré zéro de l’écriture ?

Par Matthieu Freyheit

L’éveil aux sensations et aux émotions fait partie des défis que se donne l’écriture de l’enfance et de la jeunesse. Romain Rolland en donnait un exemple dans son roman-fleuve Jean-Christophe ; plus récemment, dans le champ de la littérature de jeunesse, on se souvient bien sûr du Jonas de Lois Lowry qui, dans The Giver, découvre soudain les couleurs, la neige, le plaisir et la joie, l’amour et la transgression.
Il est devenu courant, par ailleurs, de trouver dans les technologies et biotechnologies l’occasion de rompre avec ces sensations et émotions, dans une opposition classique entre la technique et le « vivant ». Une opposition grossièrement reprise dans Mon nom est Zéro : le héros, un adolescent appelé Zéro (diminutif de Deuxpointzéro) grandit dans un appartement de haute technologie sans avoir jamais été mis en contact avec le « réel ». Toutes ses expériences, physiques et psychiques, sont vécues par le biais d’interfaces et de dispositifs (notamment des écrans tactiles). Un dysfonctionnement le conduit pourtant à quitter cet appartement et à vivre le choc d’une confrontation soudaine avec le monde du « dehors ».
Sur fond de tonalité dystopique opposant les promesses du virtuel au vécu du réel, le roman cherche alors à restituer ce choc, notamment celui de deux langages incapables de se comprendre : celui du jeune adolescent, tout entier constitué par son habitus numérique, et celui de deux médecins qui le recueillent et cherchent à le protéger (« […] c’est comme si nous parlions deux langues différentes »). Car c’est bien d’une cavale qu’il s’agit, Zéro n’étant rien d’autre que le fruit d’une expérience militaire destinée à produire les soldats du futur : ceux de la guerre des drones, de la « nécroéthique » et du « bien-tuer » que théorise Grégoire Chamayou (Théorie du drone, 2013), et bien sûr de la mise à distance des émotions.
Le projet pouvait être intéressant, n’était que le roman multiplie les poncifs (« Tu as eu raison, garçon. Des fois, ça soulage de pleurer »), les situations hautement caricaturales (l’adolescent ouvre pour la première fois un livre – un atlas de dermatologie – et, effrayé, cherche à l’éteindre : « Je voudrais bien, mais je ne trouve pas le bouton ! Les côtés sont épais et lisses, obliques, sans boutons, et il n’y a pas de clavier sur l’écran. Il ne me reste plus qu’à fermer très fort les yeux. Je n’ai pas l’intention de regarder ces choses horribles, ça me fait trop peur. Espérons que la batterie se décharge vite, comme ça le livre s’éteindra et je n’aurai plus de problème »), les simplifications (« Et pourtant je ne peux pas continuer à douter de chaque chose, j’ai besoin de me reposer sur des certitudes, sinon je m’écroule ») et les formules toutes faites (« […] les émotions font mal, elles sont plus épuisantes que cent kilomètres de course, elles rendent les idées floues et font aussi perdre des batailles »). Le tout mâtiné d’un care indigeste : « […] tout en moi se refuse à définir ce garçon comme un problème. »
Ecrit exclusivement au premier degré, le roman renonce à toute suggestion comme à toute complexité pour faire leçon, sans nuance : « J’ai tout appris avec les documentaires sauf ce qui compte le plus, que la réalité est puissante. Elle est infiniment plus forte que les images qui s’agitent sur les écrans. » L’ambition était pourtant présente, mais le défi n’est pas relevé et l’on se demande souvent si l’on n’a pas entre les mains un texte tiré d’une plateforme d’écriture en ligne de type WattPad. Le résultat, en tout cas, ne rend pas hommage au travail de l’éditeur, auquel on doit le plus souvent des livres fort réussis, albums et romans confondus.

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