Nuage

 

Nuage
Alice Brière-Haquet, Monica Barrengo (ill.)
Passe Partout

Nuage et Spleen…

Par Christine Moulin

Curieusement, depuis quelque temps, le nuage a le vent en poupe en littérature de jeunesse: c’est le cas dans le dernier album d’Anthony Browne, Marcel et le nuageet dans La Bulle de Thimothée de Fombelle. C’est aussi le cas dans l’album d’Alice Brière-Haquet. Dans les trois ouvrages, même si aucun n’appelle une lecture univoque, le nuage (ou l’ombre menaçante) peut être assimilé à une représentation symbolique des émotions négatives et intrusives, ou même de la dépression, thème relativement peu traité mais  susceptible, surtout si l’auteur adopte la stratégie du détour, d’aider des enfants qui seraient confrontés à cette maladie dans leur entourage ou qui auraient à l’affronter eux-mêmes. Il y faut de la délicatesse…

Nuage n’en manque pas. Le texte, peu bavard, analyse, sans pathos, l’impression de pesanteur, de découragement absolu attaché à cet état: « un nuage dans la tête nous cache le soleil », « son ombre se pose sur les plus jolies choses » (ces choses, en l’espèce, sont les chats et la musique). Il finit sur une note d’espoir tout en soulignant la fragilité qui perdure.

Les illustrations sépia sont à l’unisson. Elles construisent leur propre discours, en écho avec celui du texte : des horloges, des montres, décalées, suggèrent que le temps a perdu sa fluidité pour le personnage principal, une femme, apparemment seule, voire solitaire. Trois chats, par leurs attitudes, réagissent à la détresse de leur maîtresse: souvent paisibles et rassurants, ils laissent parfois sourdre leur inquiétude en se frottant contre les jambes de leur « humaine » ou en attendant, figés, devant la porte de la chambre, qui reste fermée. Ils saluent finalement la sérénité retrouvée.

On voit combien tout est mesuré, feutré, sans pour autant éluder l’essentiel.

Le chat d’Elsa

Le chat d’Elsa
Alice Brière-Haquet, Magali Le Huche

Père Castor, 2011

  Le chat invisible

 par Christine Moulin

 
Les enfants, on le sait, se créent souvent des amis imaginaires et la littérature aime à traiter ce thème spéculaire comme dans Le chien invisible (Claude Ponti), Léon et Bob (James Simon), Moi et rien (Kitty Crowther), Petits sauvages (David Almond), Je voulais te dire (Jennifer Dalrymple), Bernard et le monstre (David Mc Kee), etc. Le chat d’Elsa fait partie du lot et, comme souvent, c’est la solitude qui explique la genèse du chat (vert, comme il se doit) : « Elsa est une toute petite fille, seule dans une grande maison vide ».

Mais ce qui est amusant, c’est qu’ensuite, tout est raconté du point de vue de l’héroïne. Les parents ont très bien admis que leur fille se soit inventé un compagnon, même s’ils rouspètent quand il devient l’alibi rêvé pour toutes ses bêtises et même si leur exaspération les amène parfois à rompre le pacte qui entérine l’existence d’Armand ‑ puisque tel est le nom du félin.

Mais nous, lecteurs, nous voyons la vie des deux amis et elle est attestée par les illustrations dont la force, en l’occurrence, est de ne pas savoir mentir. L’album s’ouvre alors sur un retournement poétique, qui n’est pas sans rappeler deux autres albums jouant habilement sur le point de vue, Bébé monstre (Jeanne Willis et Susan Varley) et Papa de Corentin. Le chat d’Elsa pose finalement la question de la fiabilité du narrateur et s’adresse à ceux qui ne sont pas (trop) devenus « des grandes personnes ». Les illustrations sont à l’unisson de cet univers délicat : elles évoqueraient presque (excusez du peu…) la finesse de Sempé et savent provoquer l’émotion (le chat contrit est tellement attendrissant…)