La littérature de jeunesse migrante

La littérature  de jeunesse migrante
Anne Schneider
L’Harmattan  2013

   Une belle synthèse

Par Maryse Vuillermet

 la litt de jeunesse migranteAnne Schneider nous livre sa thèse sur la littérature jeunesse migrante, son corpus compte 116 titres parus sur cinquante ans et fait la part belle à Azzouz Begag, Leila Seibar, Nozière. Il comporte des albums, des romans courts pour enfants, des romans 8/ 12 ans et des romans pour ados. Elle montre,  par une démonstration convaincante que c’est une littérature de voyage, d’exil, de migration donc une littérature en mouvement.

C’est aussi une littérature de résilience qui tente de guérir des traumatismes,  ceux de la guerre d’Algérie vue des deux côtés par les appelés du contingent, par les Algériens et même par les fils de Arkis, ceux de l’exil des pieds noirs et des émigrés. C’est aussi une littérature de reliance qui relie les mondes sans gommer les imaginaires nationaux. Elle relie les deux rives de la Méditerranée,  les espaces géographiques et culturels, mais aussi les littératures francophones et algériennes, beurs et françaises.

Elle n’est pas une survivance, elle est au contraire pleine de promesses, le nombre d’ouvrages a d’ailleurs doublé en dix ans et ne cesse de gagner en créativité. Elle apporte dans les classes ou elle est étudiée un regard neuf.

Kabylie Twist

Kabylie Twist
Lilian Bathelot
Gulf Stream Editeur
Collection Courants noirs,  2012

 

Polyphonie, des voix jeunes dans l’horreur de la guerre

                                                                                                             par Maryse Vuillermet

 

 Différents narrateurs, jeunes, pleins d’espoir de part et d’autre de la Méditerranée s’expriment à tour de rôle.

 Eté 1960, Ricky Drums à Saint-Tropez rencontre le succès avec ses twiste endiablés et est sur le point de signer le contrat de rêve pour un disque. Son  amie Sylvie gère les affaires de son père mais veille aussi sur le contrat et les intérêts du groupe. Elle essaye aussi d’écrire mais s’arrête toujours aux débuts des romans. A Djijelli, jolie ville de la côte  algérienne, Najib, enfant trouvé,  resquille des places de cinéma  au Glacier, pour assouvir sa passion, il est surdoué,  a une mémoire vertigineuse et connait tous les films. Son amie Claveline aide sa mère au bureau de tabac et rêve de vivre un jour avec lui en France. A Oran, le jeune Lopez décroche son bac et un emploi d’inspecteur de police, on l’envoie  en poste à Djijelli.

La guerre d’Algérie vient frapper de plein fouet tous ces destins, va les faire dévier,  tanguer et parfois s’arrêter.

Ricky n’enregistrera jamais de disque il devient  Richard, soldat deuxième classe en bataillon disciplinaire, puis sergent d’une harka, une unité de supplétifs, les Algériens collaborateurs de l’armée française. Il n’arrive plus à écrire à Sylvie qui a pourtant traversé la mer et vit à Djijelli pour être près de lui. Malgré tout, il reste droit, au milieu des horreurs.

Sylvie a une relation  avec Lopez et réussit grâce à Claveline à enfin terminer un texte qui sera publié en feuilleton dans Elle.

Une bombe éclate au cinéma Le Glacier, Najib,  soupçonné, est torturé par l’armée française, écœuré et blessé il s’engage dans le FLN Il y rencontre son demi-frère qui lui révèle le secret de son origine et de son abandon.  Mais il comprend que tout français tué l’éloigne  de Claveline. Il s’enfuit alors du maquis  malgré les menaces de son demi-frère et s’engage au côté de l’armée française, il rencontre donc Ricky et Michel, un français pas très malin mais entièrement dévoué à Ricky.

 Ce roman court jusqu’à la fin de la guerre en 62, et montre qu’il n’y a pas de solutions, chacun de ces jeunes est piégé par cette guerre, la fait malgré lui et parfois, perd ses repères, devient haineux,  prend gout à l’horreur, aux massacres.  Il ne cache rien, les tortures, le sadisme, les viols, le  déshonneur de l’armée française qui a abandonné ses harkis.

La guerre et son cortège d’horreurs civiles aussi. Le terrorisme, et ceux qui profitent du terrorisme. Lopez découvre des meurtres crapuleux, des tueurs profitent de la guerre pour piller les fermes des riches colons. Ils sont couverts par la hiérarchie.

De nombreux coups de théâtre, une intrigue policière, une tragédie familiale redécouverte,  une leçon d’histoire en direct,  d’autres personnages très attachants, comme l’instituteur communiste Germain, le sergent blessé de la harka sauvé par un soldat Algérien, font de ce roman une fresque violente, mais  infiniment complexe et humaine de cette guerre sans nom qu’on connait encore très mal.

 Les annexes à la fin torpillent quelques idées reçues,  et montrent le vrai visage de cette colonisation atroce dont les violences ont duré plus de cent ans.

A faire lire à tous les jeunes d’aujourd’hui.