C’est mon corps

C’est mon corps
Mai Lan Chapiron

De la Martinière Jeunesse, 2025

Tu es le chef de ton corps

Par Lidia Filippini

Une première mouture de C’est mon corps, publiée en 2024 s’adressait aux tout-petits, à partir de trois ans. Mai Lan Chapiron propose ici une version enrichie destinée aux enfants de six ans et plus (qui pourra paraître un peu simpliste après huit ans selon nous). Elle y aborde avec une certaine dose d’humour les questions liées à l’intimité.
Le lecteur apprend à repérer ses parties intimes, à les nommer, mais aussi à les protéger. Une grande partie de l’album, en effet, est consacrée au consentement. À droite, une question se décline sur un fond coloré : « Est-ce que ta sœur, ton frère / tes parents / les adultes de l’école… ont le droit de toucher tes parties intimes ? », suivie de sa réponse, en lettres capitales blanches bordées de noir : « NON ! ». Tandis qu’à gauche, une illustration, colorée et légère, dédramatise quelque peu le propos de la page de texte. Cette formule, qui revient comme un leitmotiv, donne encore plus de force au message. L’autrice en profite pour glisser délicatement quelques précisions : personne ne peut toucher les parties intimes d’un enfant, pas même en échange d’un cadeau, pas même quand il lui fait des chatouilles, ni avec ses mains, ni avec aucun objet.
Une petite chouette ajoute, avec humour, son grain de sel. Ses remarques amusantes permettent, elles aussi, de mettre un peu de distance entre le jeune lecteur et les thèmes graves abordés.
Plus loin dans l’album, une double-page tranche par son « OUI ! ». Le lecteur y découvre qu’une seule personne a le droit de toucher ses parties intimes : lui-même, et que ce n’est pas interdit.
Enfin, dans cette version destinée aux plus grands, quatre pages permettent d’aller plus loin. L’autrice y détaille les quelques cas où un adulte a le droit de toucher les parties intimes d’un enfant (le bas-âge, le handicap, la maladie). Elle donne également des conseils aux victimes d’attouchements sexuels ou d’inceste : parler à un adulte de confiance, appeler le numéro d’Enfance en danger.
L’autrice, Mai Lan Chapiron est également chanteuse de rap, costumière et créatrice de mode. Victime d’inceste à l’âge de sept ans, elle collabore aujourd’hui avec plusieurs associations d’aide aux enfants. Son premier album jeunesse, Le Loup, a reçu le label « Pacte pour l’enfance« , décerné par le Ministère des Solidarité et de la Santé. Elle intervient dans des écoles, des colonies ou des centres aérés dans le cadre de la prévention contre les violences sexuelles. Avec, C’est mon corps, elle donne aux jeunes lecteurs un outil clair qui détaille précisément ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, encourageant les jeunes victimes à demander de l’aide. En famille, cet album pourra permettre d’engager une discussion avec son enfant. Il peut aussi être utilisé en classe (au CP ou au CE1) puisqu’il permet d’aborder les points mentionnés dans les nouveaux programmes d’éducation à la vie affective et relationnelle pour ces classes : « Nommer les parties intimes avec le vocabulaire scientifique précis » et « Savoir protéger son intimité ».

Chambres adolescentes, 20 portraits à lire et à écouter

Chambres adolescentes, 20 portraits à lire et à écouter
Jo Witek, Juliette Mas

La Martinière Jeunesse, septembre 2024

Donner la parole aux adolescents

Par Lidia Filippini

Chambres adolescentes regroupe vingt portraits littéraires et photographiques de jeunes, âgés de douze à dix-neuf ans, qui ont accepté de recevoir Jo Witek, autrice jeunesse quinquagénaire, et Juliette Mas, photographe trentenaire, dans leur chambre, pour évoquer leur vie quotidienne.
À l’origine de ce projet, un constat de Jo Witek : ces jeunes, qu’elle rencontre fréquemment dans le cadre scolaire, de par son métier d’autrice, sont des êtres curieux, intelligents qui portent un regard vif sur le monde. Pourtant, ils semblent souvent méprisés par les adultes qui les imaginent sans cesse collés à leurs écrans, incapables de vivre dans la vie réelle. Cette « génération Z » subit de plein fouet les erreurs de ses aînés : désastre écologique, social, migratoire qu’elle devra résoudre. Évoluant dans un monde ultra-connecté, elle est pourtant peu visible car personne ne lui donne la parole.
Les jeunes interviewés sont issus de milieux socio-culturels variés. Ils habitent en ville, en banlieue ou à la campagne. Certains vivent dans des familles nombreuses, d’autres dans des familles monoparentales ou encore dans des foyers d’accueil. Tous ont en commun l’envie de livrer leurs doutes, leurs inquiétudes mais aussi leurs espoirs et leurs coups de gueule, avec la plus grande franchise. Les sujets abordés sont variés : les inégalités sociales, la politique mais aussi les réseaux sociaux, les écrans, l’amitié ou la sexualité. Pour Jo Witek et Juliette Mas, les adolescents d’aujourd’hui ne sont pas si différents de ceux d’hier. Comme leurs aînés avant eux, ils désirent changer le monde, améliorer les conditions de vie de leurs contemporains. Ils ont des rêves à réaliser et des angoisses à apaiser.
On sent, dans chacun des portraits, le respect de Jo Witek, qui ne force pas à la confidence. Pour elle, entrer dans la chambre, et donc dans l’intimité des adolescents, est « l’inverse de l’intrusion ». C’est au contraire un levier qui permet aux jeunes de laisser libre cours à leurs pensées dans un univers familier et rassurant. L’autrice sait se mettre en retrait. On assiste alors à des discussions d’égale à égal.e qui mettent en lumière un monde adolescent riche et plein de subtilités.
Les photographies de Juliette Mas, qui a participé à tous les entretiens, saisissent Zoé, Emily, Fahad, Younig et les autres dans leur quotidien, sans mise en scène, tels qu’ils sont. On est loin des clichés publiés sur les réseaux sociaux où l’on cherche à paraître ce qu’on n’est pas.
En rendant visibles ceux qui ne le sont pas, Jo Witek et Juliette Mas posent la première pierre d’un projet en forme d’espoir : celui de développer l’écoute transgénérationnelle et, « pourquoi pas [de] rêver ensemble à un avenir commun ? »
Chambres adolescentes est un projet transmédiatique qui peut être écouté en version sonore via un QR code à flasher dans le livre (chaque podcast dure environ une heure). Les portraits donneront également lieu à plusieurs expositions de novembre 2024 à mai 2025 (au Centre Tignous d’Art Contemporain à Montreuil puis, dans diverses médiathèques).