Little Man

Little Man
Antoine Guilloppé

Gautier-Languereau, 2015

Le rêve de l’exilé

par François Quet

 thLe personnage s’appelle Cassius. On croit d’abord que ce sera une histoire de boxe. Mais non. C’est juste l’histoire d’un rêve d’enfant. Celui-ci rêve qu’il franchit un pont et part à la conquête de la Ville. À la fin de l’album, son père le réveille, c’est son anniversaire : le moment est venu de passer le pont. De Cassius, on sait juste qu’il a fui un pays en guerre, une guerre qui l’a forcé à franchir l’Océan et dont Guilloppé présente deux images terrifiantes sur un fond de végétation proliférante. Sur la ville de l’autre côté du pont, on ne sait rien non plus, sinon qu’une statue gigantesque y veille sur les réfugiés et que cette statue est celle de la Liberté.

Antoine Guilloppé utilise les papiers découpés avec une intelligence magique. De little man aux façades de Big Apple, tout n’est que jeux de proportions et de formes : la préciosité des dentelles de papier évoque ici une toile d’araignée, ailleurs les barreaux d’une prison ou les grilles limitant l’accès à un Eldorado, ailleurs encore une boule à facette réfléchissant une lumière fragmentée ou encore le filet protecteur d’un vitrail splendide. La silhouette de l’enfant noir s’inscrit toute petite sur la trame insensée de la ville géante ; d’autres fois c’est son visage devenu immense qui absorbe et reflète les lumières de la ville.

Le texte d’Antoine Guilloppé est résolument optimiste puisque tout semble devoir sauver l’enfant réfugié, déjà parvenu aux portes de la ville désirée, sous la protection de sa célèbre statue et bientôt admis à la visiter autrement qu’en rêve. Ses images sont cependant beaucoup plus ambiguës. L’enfant est si petit…, il n’arrête pas de courir, il ne rencontre personne (« il a rêvé qu’il jouait à cache-cache avec les adultes »). Sur l’écriteau accroché à une grille (« Please Keep Dogs Off »), c’est Keep off que je lis ou que j’entends ; la silhouette des policiers qui l’observent ne me rassure pas complètement et la beauté de la ville, redessinée par les ciseaux de Guilloppé m’effraie autant qu’elle m’éblouit.

La technique des papiers découpés, habituelle dans le travail de Guilloppé, prend ici une ampleur considérable en raison du thème abordé, mais aussi en raison des dimensions de l’ouvrage (un très grand format carré de 31 x 31) et surtout parce que les pages sont effectivement découpées, ce qui permet des jeux de superpositions saisissants. C’est un tour de force magistral sans doute, mais pas seulement. La magie de l’illustration permet en effet d’interroger la surnaturelle séduction de la métropole américaine.

Mon Beau Jardin

Mon Beau Jardin
Carol Ann Duffy et Rob Ryan

Gautier Languereau, 2010

Ces quelques fleurs

Par Anne-Marie Mercier

Mon Beau Jardin.gifUne vie de femme, tout simplement : elle est une enfant, une jeune femme, puis est de moins en moins jeune, ou de plus en plus âgée, et meurt.

Chaque étape est marquée par une visite à ce jardin qui est en fait une clairière, découverte par la protagoniste dans son enfance. Cet endroit était si séduisant qu’elle y a fait le vœu d’y être enterrée et y a rencontré une personne étrange, une vieille femme, qui a prétendu pouvoir réaliser son désir. Au moment où, bien plus tard et comblée par la vie, elle meurt, elle se retrouve dans le rôle de cette vieille qui promet la même chose à une enfant.

On peut prendre ce récit au pied de la lettre. On sera séduit (ou agacé?) par la sérénité du propos et la simplicité de cette vie remplie par les relations aux autres, la peinture et le jardinage…

On peut aussi y voir une métaphore de la vie : on construit soi-même sa vie et sa mort. Plus qu’un monument, ce jardin est un « tombeau » (au sens abstrait) qui résume cette vie, tracée pas à pas, accumulant les découvertes, grandes et petites, et faite de ce qu’on y a planté, apporté.  Apprécier les belles choses et les beaux moments, les faire partager, autant d’actes de « jardinage ». La composition circulaire de l’histoire dit que la mort n’est pas une fin, mais une transmission, à condition d’avoir « cultivé son jardin ».

Dans les deux cas, on sera conquis par les papiers découpés, d’une virtuosité étonnante, avec un effet de relief proche du trompe-l’œil. Chaque double page, d’une seule couleur sur fond blanc, reflétant la « couleur » du texte qui s’y inscrit. Les amateurs de cette technique découvriront ainsi l’univers de Rob Ryan (http://www.misterrob.co.uk/). Tandis que les amateurs de poésie auront découvert une petite partie de celui de Carol Ann Duffy, critique et poète lauréate au Royaume-Uni.