Réfugié n’est pas mon nom
Kate Milner traduit par Olivier Adam
La Martinière jeunesse 2023
Expliquer l’exil…
Par Michel Driol
Les premiers mots de l’album fixent un cadre tout en douceur et simplicité. « On va devoir partir, m’a dit maman. C’est devenu trop dangereux ici. Tu veux que je t’explique comment ça va se passer ? » Puis c’est la voix de la maman que l’on entend, qui explique le départ, les conditions d’un voyage qui sera rude dans un confort sommaire, la longueur des marches qu’il faudra faire, l’ennui probable durant les longues attentes, la promiscuité… avant de pouvoir enfin défaire les bagages et commencer à comprendre les gens autour.
Voilà un album qui évoque la question des réfugiés à hauteur d’enfant, dans la relation émouvante entre une mère et son enfant. Le dispositif narratif, avec une grande efficacité, conduit le lecteur à s’identifier à l’enfant qui va partir, en l’invitant à répondre aussi à quelques questions. Quel est le truc le plus bizarre que tu aies mangé ? A quoi joueras-tu pour te distraire ? Questions qui prennent tout leur sens ici. Comment parler d’un voyage dangereux et long à un enfant ? Comment lui expliquer que, du jour au lendemain, il va devoir tout quitter pour un ailleurs incertain ? Se mêlent dans les propos de la mère les mises en garde, la volonté de s’assurer l’accord de son fils, et quelques petites choses positives à quoi se raccrocher… les découvertes qu’on fera, les nouveaux plats, le plaisir de voir de nombreuses voitures et camions. Ces petits riens dérisoires apparaissent comme une maigre consolation face aux pénibles épreuves évoquées par la mère. Si le texte au futur laisse à imaginer ce que sera le voyage, le parti pris de l’illustration est tout autre. Il s’agit de montrer la réalité de ce que vivent les migrants. De façon récurrente revient l’image de l’enfant, toujours en pied, passant par toutes sortes d’émotions et de sentiments, de la joie à la tristesse, de l’épuisement à l’étonnement, toujours accompagné de ses deux attributs : son sac à dos, pas trop lourd pour qu’il puisse le porter, et son doudou dont il ne se sépare pas. C’est aussi la réalité des autres, une possible grand-mère à qui on dit adieu, d’autres migrants, autres toujours montrés en grisé, jusqu’à l’arrivée, où les couleurs reviennent, symbolisant l’espoir d’une nouvelle vie. Ainsi au chat en grisé des premières pages succède un chat marron dans les dernières pages. C’est enfin un album qui évoque, par son titre qui est aussi sa dernière phrase, la question de l’identité et de la nomination. Réfugié n’est pas ton nom, belle façon de dire à cet enfant, et à tous les lecteurs, que derrière ce mot commode de « réfugié » se cachent des vies, des identités, des parcours, et ce qu’il a fallu de courage pour fuir un danger et en affronter d’autres.
Au travers de ce qu’on sent d’amour de cette mère pour son fils, c’est un album qui aborde sans faux-semblants la question de l’exil des enfants, avec une grande sensibilité et de façon très émouvante. Comment ne pas s’identifier à cet enfant ? Comment ne pas s’identifier aussi à cette mère qui doit préparer son enfant à vivre des choses qu’on ne souhaite à personne ?