Dans les airs

Dans les airs
Jan Von Holleden
(Les Grandes Personnes) 2024

Album photos

Par Michel Driol

Jan Von Holleben est un photographe allemand qui, depuis 2002, poursuit un projet, donner corps aux rêves d’enfants. Ce sont ici 22 portraits de héros ou d’enfants ordinaires que l’on retrouve, avec toujours la même technique. Les enfants posent, au sol, couchés, et le photographe dans les airs les photographie. Tout est affaire de mise en scène et d’illusion car on a l’impression que le superman vole réellement, et que le cavalier, qui chevauche un chien va partir au galop, tandis que Tarzan et Jan volent vraiment d’une liane à l’autre.

Les titres renvoient aux héros (Superman, Peter Pan, Dracula, Spiderman, King Kong), aux activités (le cavalier, les cascadeurs, la jardinière), aux romans (le voyageur en ballons, les pirates), aux animaux (les papillons), au rêves (les chasseurs de fantômes, les enfants-fusées)… On retrouve là une grande part de l’imaginaire enfantin, mêlant réel et fantastique, présent et futur. Les décors sont reconstitués avec soin, au ras du sol, tantôt sur fond de béton, ou d’herbe, ou de sable,  ou sur une bâche bleue, la mer… Les accessoires ne manquent pas d’humour : des chaussures en couronnes, et voilà des fleurs, des palmes, et voilà des ailes de papillon. Deux valises et un balai, et voilà le gratte-ciel de King Kong. Des poubelles, et voilà les immeubles que survole Superman.  Les références se dédoublent parfois : si la fillette avec un plumeau multicolore est bien la fée Clochette, le garçon en position de faune avec sa flute évoque un autre Pan que Peter… Les visages sont plein d’expressivité : peur de la fillette en rouge devant Dracula, marques d’effort sur le visage des grimpeurs, volonté de vaincre des coureurs sur leurs vélos… Tout cela est drôle, mais aussi poétique, dans la façon de représenter ces rêves d’enfants comme des jeux. On serait des pirates, on serait des coureurs, et trois bouts de ficelle, des éléments de costume, faits de bric et de broc, font le reste, et tout devient possible. Les photographies donnent à voir ces instants de jeux, de magie, de bonheur à être quelqu’un d’autre que soi.

Un album photo rempli d’univers enfantins, parfaitement mis en scène, gais et très colorés, à l’image d’un âge où tout est encore possible.

Et pendant ce temps paissent les bisons

Et pendant ce temps paissent les bisons
Mickaël El Fathi
Editions courtes et longues 2023

Poétique de l’art pariétal

Par Michel Driol

Au moment où une jeune fille, Sahâna, dessine sur les parois d’une grotte les contours de son rêve, elle entend le retour du troupeau de bisons. Les autres animaux sauvages le guettent aussi. C’est alors qu’un immense bison protège le troupeau, conduisant les prédateurs à fuir. Mais lorsque le bison géant s’endort, les fauves se réveillent. Sahâna conduit les bisons près du protecteur, bientôt rejointe par son clan. Les bisons repartent et Sahâna termine son dessin, celui d’un bison.

De magnifiques illustrations en pleine page, dans des dominantes de rouge et de jaune (couleurs du jour qui se lève), ne cherchent pas à copier l’art pariétal. Elles en donnent plutôt une interprétation pleine de sensibilité, donnant à voir l’immensité d’une steppe rouge dans laquelle on perçoit des silhouettes noires, hommes, animaux. Elle nous font assister au spectacle de la nature de façon extraordinaire et grandiose. En jouant à la fois sur le concret et l’abstrait, le réel et le fabuleux, ces illustrations suggèrent plus qu’elles ne montrent un univers éloigné dans le temps, et ont la volonté de faire pénétrer le lecteur dans l’imaginaire des hommes préhistoriques. Le texte y parvient aussi, jouant lui sur la poésie, avec ce qui revient comme un refrain régulier, Et pendant ce temps paissent (ou dorment…) les bisons, comme une façon de montrer ces animaux paisibles et sûrs d’eux-mêmes, semblant ignorer le danger qui les menace. Par le travail sur le rythme, le texte se prête bien à l’oralisation expressive.

L’histoire, elle, nous maintient dans un entredeux, entre réel et rêve, sans jamais trancher entre les deux. Entre récit d’aventure et conte onirique, l’histoire parle du rapport des hommes et des animaux, des dangers qui menacent les uns et les autres, de la façon dont les hommes sauvent les bisons. Elle met aussi en scène une créature fabuleuse, sorte de puissance protectrice des bisons, à la fois fascinante et fragile. Elle pose la question de la fonction de l’art dans les sociétés primitives dépeintes ici, du lien entre art et rêves, art et réalité, utilisant toutes les ressources de la fiction pour laisser au lecteur le soin de tenter d’y répondre. Que dessine Sahâna ? un rêve ? un souvenir ? Au-delà de la fonction de l’art pariétal, c’est toute la question de l’inspiration qui est ici abordée.

Un bel album, qui à la fois parvient à évoquer la violence de la vie sauvage et la bravoure des hommes à travers la représentation d’une tête de bison sur les murs d’une grotte peinte par une jeune fille.

Pablo et Floyd. Sur le bord de l’invisible

Pablo et Floyd. Sur le bord de l’invisible
Michel Galvin
Rouergue, 2018

Par Marion Mas

Floyd, l’ami invisible de Pablo (certes visible, mais dont on ne voit jamais le visage), raconte comment son célèbre ami rend visible le monde en le peignant. Pour éviter à Floyd de se cogner contre les arbres et les rochers encore invisibles, Pablo « marque le contour des choses qu’il na pas encore eu le temps de peindre… ».
Côté illustrations, les contours au trait noir ne s’ajustent pas parfaitement aux aplats de couleurs auxquels ils donnent forme, donnant à voir le monde en train d’advenir. Le désert dans lequel évoluent les personnages se peuple de montagnes colorées et d’arbres, de matière, de texture, et de grain, mais toujours dans une forme d’épure. Les rayures, les trous et les passages, comme la mise en abyme de l’acte de dessiner rappellent l’univers de Fred, maître du méta, dans une fable méta au carré sur la fonction de l’art et le caractère visionnaire de l’artiste.