La Vraie Couleur de la vanille

La Vraie Couleur de la vanille
Sophie Chérer
L’école des loisirs (médium), 2012

 Noire vanille

Par Anne-Marie Mercier

VraievanilleSi tout le monde connaît à La Réunion le nom d’Edmond Albius, ce n’est pas le cas en France métropolitaine et le livre de Sophie Chérer a le mérite de faire connaître cette histoire étonnante : Edmond, fils d’esclave élevé par un propriétaire terrien amateur de botanique, est celui qui a découvert le procédé de fécondation des vanilliers et fait ainsi la fortune de l’île. Mais ceci n’est pas un conte de fées et la fin de l’enfant choyé et génial est aussi triste qu’inévitable.

Sophie Chérer centre son récit sur les belles années d’enfance. Avec la découverte des plantes, des formes et des odeurs par Edmond, elle mène le lecteur dans de merveilleux jardins et son écriture fait lever les images et les odeurs. Le personnage fantaisiste de son tuteur, Ferréol, est complexe et marquant. Enfin, le portrait de la « bonne » société des planteurs est cruel à souhait, sans que le trait soit forcé. C’est un beau récit, sensible, parfumé et poignant, autant qu’un réquisitoire contre l’esclavage.

 

Ma Dolto

Ma Dolto
Sophie Chérer
Ecole des loisirs, 2009 (Stock, 2008)

De Françoise Dolto à Sophie Chérer,
de Sophie Chérer à Françoise Dolto

par Dominique Perrin

« Dolto » est un nom qui peut évoquer à la fois la platitude du déjà-connu, et l’extrémisme de mauvais aloi d’une intellectuelle et praticienne aux positions rigides (c’est, par le plus grand des hasards et par une sorte de malheur des séries, une femme).
Il ne peut cependant échapper à aucun de ses détracteurs, plus ou moins conscients, plus ou moins occasionnels, qu’ils manipulent un nom dont l’aura a marqué une époque. Pourquoi ? Comment ? Sophie Chérer publie un Ma Dolto apte à restituer les proportions et la silhouette d’une psychanalyste des plus stimulantes, au long d’une époque lointaine et familière de la pensée (1908-1988) : le 20e siècle.
Dans le titre retenu pour ce livre, de l’aveu de l’auteure aussi difficile que passionnant à écrire, en tous cas passionnant à découvrir, c’est un « Ma Dalton » que le lecteur est invité à entendre : c’est à l’évocation d’une vie placée sous les auspices de la résistance et de la marginalité, et du coup nécessairement de l’invention et de l’affirmation, qu’est consacré cet ouvrage substantiel de trois cents pages et d’une soixantaine de « chapitres » aériens. Un tel projet passe par l’évocation précise non seulement des commencements et des grandes étapes d’une carrière remarquable, mais aussi d’une constellation familiale, amicale et professionnelle, du contexte et des événements marquants d’une enfance, d’une adolescence et d’une vie d’adulte. Il ne s’agit en effet pas seulement de faire mieux connaître les pratiques et travaux attachés au nom de Dolto, mais aussi de permettre au lecteur de faire la rencontre sensible et intellectuelle d’une personnalité, donnée à connaître dans sa genèse, ses désirs et ses impatiences – ses travers possibles également –, sa manière de parler, grâce en particulier à un système souple de citations aux statuts variés (de la lettre d’enfant à la parole enregistrée de la praticienne). A cette matière très documentée s’entrelace l’évocation par l’auteure du retentissement de la rencontre avec Dolto dans sa propre biographie. De fait, si le livre est aussi tonifiant qu’enlevé, c’est certainement parce qu’il participe de l’entreprise qu’il décrit : d’un être, d’une génération à d’autres, le chemin de foudre d’une pensée émancipante, conquise sur fond de bienséance et de résignation face aux ordres et désordres les plus mortifères de la vie sociale.
Ce livre qui assume de façon singulière le mode du discours apparaît comme un livre pour tous, adolescent(e)s, « jeunes adultes », adultes de tous âges. Son projet principal, qui est de rappeler et de soupeser l’apport de Dolto non seulement à la psychanalyse mais à l’ensemble de son temps, c’est-à-dire au nôtre, est de portée précisément intergénérationnelle : chez Dolto, on s’en trouve après lecture savoureusement convaincu, instituer l’enfant comme sujet à part entière est bien toucher à tout l’édifice social.