Les Fleurs sauvages

Les Fleurs sauvages
Lim Gil-Taek, Kim Dong-seong,

traduit du coréen par Lim Yeong-hee et Fançoise Nagel
Chan-Ok, 2010

Leçon de fleurs

Par François Quet

 « Il y a exactement vingt ans,  monsieur  Kim, qui avait habité la ville toute sa vie, avait reçu sa première affectation comme instituteur dans l’école primaire d’un gros bourg de village ». Ainsi commence Les fleurs sauvages. L’incipit résume à lui seul l’histoire qui va suivre. D’abord, le point de vue, celui d’un homme transplanté dans un décor qui n’est pas le sien. Ensuite la nostalgie : tout cela c’est passé, « il y a exactement vingt ans ». Enfin, c’est l’histoire d’une rencontre, celle de la campagne et de la vie villageoise.

Le récit est très simple : une petite fille apporte souvent des fleurs au maitre, mais il lui arrive d’être en retard et de se faire réprimander par l’enseignant. Un jour celui-ci décide de rendre visite aux parents de la fillette, mais la promenade est plus longue que prévue, l’adulte se perd : « J’étais loin de me douter que Bo-sun avait un chemin si long à parcourir chaque jour », se dit-il. Finalement, c’est la petite fille qui le retrouve et le conduit à son hameau. Tout le monde l’attend : jamais aucun maitre d’école n’était venu si loin.

On aime la lente retenue de ce récit, à la fois tendre et mélancolique, triste et émerveillé. La petite fille et sa famille incarnent un monde sans doute disparu, généreux mais secret et inaccessible.  Le jeune enseignant se laisse peu envahir par la vie des fleurs, de toutes les fleurs que lui apporte la fillette et dont il veut connaître les noms, « modestes fleurs coréennes » beaucoup plus belles que celles des contrées lointaines. Les accidents du récit sont très limités : le jeune maitre se réjouit d’avoir trouvé une encyclopédie botanique, la fillette arrive en retard parce qu’elle doit acheter des piles pour sa lampe de poche. Plus tard, l’instituteur comprend pourquoi elle a besoin d’une lampe de poche.  Il ne se passe presque rien au rythme de cette chronique, pourtant le visage de la fillette se confond bientôt avec les fleurs de cet endroit où l’on se dit qu’on aimerait vivre. La tranquillité des paysages prolonge la douceur des gestes, et le jeune homme apprend à percevoir la respiration du monde.

L’illustration (encre et aquarelle) fait partager au lecteur l’émerveillement du personnage principal. Dans la première partie,  des planches un peu sombres, structurées de lignes perpendiculaires, s’éclairent peu à peu avec les fleurs que Bo-sun apporte dans la classe, jusqu’à l’explosion de jaunes iris qui occupent presque une pleine page. Mais c’est dans la deuxième partie de l’album que l’illustrateur traduit avec beaucoup de virtuosité l’ivresse du jeune homme plongé dans la nature : tantôt minuscule dans une double page verte, sous-bois tâché de minuscules fleurs minutieusement dessinées, tantôt au contraire, très grand, en légère contre-plongée, bras nus et ballants,  comme offert et désemparé devant le spectacle du monde. Les pages nocturnes, troublantes, ne provoquent pas un moindre émerveillement : le petit groupe d’humains réuni sous une faible lampe pour accueillir son maitre d’école n’est pas écrasé par le flanc sombre des montagnes et la multitude des étoiles. Ici encore c’est la sérénité qui domine dans un récit aux résonnances cosmiques.

On aura compris à quel point cet album suscite l’enthousiasme. Sans doute la perspective contemplative adoptée par Lim Gil-Taek et son illustrateur est-elle très éloignée de la vitesse et de la nervosité de la narration la plus contemporaine. On ose espérer que le format de l’album, la séduction de l’image aideront les lecteurs à découvrir une autre façon de raconter et à accepter des valeurs aujourd’hui bien discrètes, « la beauté des jardins fleuris ».

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