Demain n’aura pas lieu

Demain n’aura pas lieu
Iuna Allioux
Sarbacane 2024

Apocalypse now

Par Michel Driol

D’un coup, la Terre s’est réchauffée, et le soleil la brule. Dans trois jours, elle sera invivable. Nous suivons durant ces quelques jours la narratrice, Asumi, qui, bien que d’origine japonaise, vit à Paris avec sa mère, repartie au Japon pour y conclure un contrat.  Trois jours où la jeune fille est seule, accompagnée de Maxence et de sa famille, de son ryukin, d’un traiteur Bo Wang, et à la recherche de son auteur coréen préféré Ji Eunji de passage à Paris, trois jours pour lire un carnet qui lui révèle un terrible souvenir lié à son enfance, qu’elle avait enfoui au fond de sa mémoire.

Ce roman est le premier d’une toute jeune autrice, Iuna Allioux, un texte prometteur et mutliforme. D’abord par la forme, puisqu’il mêle le récit à la première personne d’Asumi, mais aussi des fragments brefs de pièce de théâtre aux multiples personnages, comme un contrepoint imaginaire offrant d’autres points de vue. Ensuite par le mélange des cultures qu’il propose : culture japonaise, culture coréenne, culture française. C’est un roman sur le mal-être d’une adolescente, qui s’évanouit souvent sans savoir pourquoi, et dont les relations avec sa mère sont compliquées. Cette dernière est souvent absente, plus préoccupée par son travail et la signature de contrats que par sa fille. Toutes deux vivent dans un superbe hôtel particulier, une grande demeure symboliquement vide.

C’est aussi un roman sur l’urgence du temps qui reste à vivre : que faire en trois jours, avec qui passer ces trois jours, qu’y apprendre quand on est seule ? Là où le temps s’accélère, là où la chaleur monte, rendant tout irrespirable, Asumi, dont le nom en kanji signifie belle lumière du soleil ou lumière qui brille dans le futur, a la rétine brulée. Ce fil narratif de la lumière en croise deux autres. Celui de l’eau, des lacs, des piscines, comme un contrepoint apaisant, dont on découvrira à la fin la signification profonde pour l’héroïne. Et surtout celui de la littérature, de la poésie en particulier, avec le personnage de l’écrivain coréen qu’Asumi adore, qui révélera que la littérature n’est pas toujours l’expression du vécu personnel, et la poésie qui traverse le roman, souvent sous forme de petites notations.

Ce roman dystopique explore avec finesse la tragédie intime, intimiste d’une héroïne attachante, seule dans un monde qui finit, avec tous ses rêves impossibles de futurs. Emouvant et réussi !

L’apprenti

L’apprenti
Linda Sue Park
Flammarion (castor poche), 2012 (2003)

 Terre de connaissance

Par Jérôme Bezault, master MEFSC Saint-Etienne

lapprentiDans la Corée du XIIème siècle, un jeune orphelin de douze ans aspire à une autre vie que celle qu’il a menée jusqu’à présent. Lichen a une vie compliquée : il vit sous un pont en compagnie du vieil homme qui l’a recueilli alors qu’il n’avait que deux ans, et qui répond au surnom cocasse de « La Grue ». L’animal, symbole de longévité et de fidélité au Japon, en Chine et en Corée, est en effet un reflet fidèle de l’ami du garçon. La première de couverture, par les couleurs, le dessin de la grue et la typographie, invite immédiatement le lecteur à un voyage en Asie.

Pour se nourrir, les deux protagonistes sont obligés de trier des ordures. Au cours de l’une de ces excursions, Lichen se prend d’admiration pour le travail de maître Min, un potier. La passion et la curiosité l’emportant sur la raison, Lichen s’approche trop près et casse un vase par accident : il propose alors de racheter sa faute en travaillant pour le potier, ce qui va changer sa vie. Linda Sue Park nous parle, sans jamais moraliser, de la responsabilité, de la valeur du travail, de la patienceet de la persévérance, tout en initiant le jeune lecteur à la culture coréenne. Les personnages principaux sont attachants et il est facile de s’identifier à eux, qu’il s’agisse de Lichen et de sa droiture, de La Grue qui philosophe ou du potier Min qui semble toujours cacher quelque chose sous ses airs bourrus.

C’est à travers la poterie que l’on découvre la Corée, le roman permettant une véritable initiation à ce monde, avec des notes en fin d’ouvrage. Ce conte est une belle  histoire d’orient, accessible, au vocabulaire simple, porteur de vraies valeurs.

Les Lettres du secret

Les Lettres du secret
Bae Yoo-an
traduit du coréen par Lim Yeong-hee et Fançoise Nagel 
Chan-Ok, (collection Matins calmes), 2010

L’alphabet en fleurs

Par François Quet

lettres secret.jpgLa route d’un enfant pauvre croise celle d’un gentilhomme. L’histoire de l’enfant est sans doute exemplaire de ce que vit le peuple coréen au milieu du 15ème siècle.  Son père est malade, sa sœur doit quitter le village pour travailler comme servante, le médecin-herboriste vend durement son savoir aux humbles pour lesquels il n’éprouve pas la moindre compassion. Le petit garçon ne manque pas de talents, il apprend le métier de son père auprès d’un maitre. Il sera tailleur de pierre, sculpteur. C’est la première histoire que raconte Bae Yoo-an dans ce très beau roman, une histoire à la Dickens, pétrie de réalité sociale, une histoire qui plonge le lecteur occidental dans un monde à la fois exotique et familier : les petites rivalités entre les apprentis d’un maitre artisan,  la difficulté de préserver des liens familiaux dans un monde sévère. Pourtant cette peinture là est sans excès, sans pathos ridicule, sans caricature grossière. Chaque personnage a plus ou moins ses raisons et personne n’est monstrueux. Les petits égoïsmes et les petites méchancetés font partie de l’apprentissage de la vie. La nature enveloppe les personnages. Elle bat au rythme des saisons et des récoltes, elle est la pierre qui résiste mais qui récompense à la fin les efforts et l’obstination de l’artisan courageux.

Mais il y a une autre histoire dans Les lettres du secret. Celle du gentilhomme ou plutôt celle du don que ce vieillard fait à l’enfant en récompense d’une gourde d’eau pour soigner sa vue.  Le vieil homme lui explique comment noter les sons de sa langue ; en un mot il lui fait cadeau d’un alphabet. En ce temps-là, c’est l’écriture chinoise qui est utilisée en Corée : obscure, exigeante, réservée à une élite lettrée qui peut ainsi sans dommage gouverner un peuple condamné à l’ignorance. Mais l’enfant apprend vite. Il comprend vite aussi l’usage qu’il peut faire de l’écriture : elle permettra de consigner tout ce qu’il apprend, elle sera ce lien qui permet de communiquer avec les absents,  à condition qu’à son tour il l’enseigne à ses proches. 

Un jour à la fin du récit, le vieux roi Sejong qui a inventé le hangeul, l’écriture coréenne, retrouve l’enfant  au cours d’une belle scène, très visuelle : un cortège traverse le chantier des tailleurs de pierre, s’arrête devant les lettres que l’enfant a tracées sur le sol pour les enseigner à ses camarades. L’enfant répond au vieil homme qui l’interroge, les yeux baissés. Il ne voit que les « magnifiques chaussures de soie noire » jusqu’à ce que le vieil homme aux yeux malades se fasse reconnaître par une formule que l’enfant lui avait déjà entendu dire : « Tu m’as libéré d’une de mes préoccupations ». L’enfant, qui n’arrive pas à l’appeler « Votre Majesté » montre au grand père son travail de sculpteur : « Quand je cisèle la pierre, les pétales prennent vie et s’épanouissent ».  Le vieil homme murmure alors : « Somme toute, moi aussi je suis en train de faire naitre une fleur ».

On est vraiment touché par la limpidité de ce roman, qui sans le moindre ornement gratuit, met en scène un personnage historique, le roi Sejong, et brode sur des thèmes essentiels comme la piété filiale, l’amour du travail bien fait, le souci de la démocratie, et la générosité, un bel hommage aux vertus de l’écriture.

 

 

 

Un jour je suis mort

Un jour je suis mort
Kyunghye Lee
Traduit du coréen par Catherine Baudry et Sohee Kim
L’école des loisirs (Médium), 2011

L’amour, est-ce que ça se mérite?….

Par Chantal Magne-Ville

un jour je suis mort.gif« Un jour je suis mort » : un titre accrocheur que cette phrase découverte par Youmi sur la page de garde du journal intime de son copain Jaijoun, mort deux mois auparavant dans un accident de moto. La maman de ce dernier n’a pas eu la force de lire le cahier bleu et le lui a confié. L’intérêt du roman tient surtout dans la découverte, au fil des semaines, des réactions de Youmi, une adolescente écorchée vive, pétrie de culture coréenne mais aux préoccupations finalement très semblables à celles des adolescentes européennes.

La lecture fragmentée du journal intime de Jaijoun fait naître de nombreuses réflexions sur le sens de la vie et des amours rêvées ou inatteignables. Le point de vue interne rend l’émotion poignante, tout en laissant transparaître la complexité d’une amitié amoureuse qui ne dit jamais son nom. A part quelques longueurs, la tension psychologique ne retombe jamais car Youmi découvre peu à peu qui était véritablement son ami et pourquoi il est mort. Le ton n’est cependant pas pathétique malgré la gravité du sujet qui évite toujours le larmoiement et sait toucher son public.

Les Fleurs sauvages

Les Fleurs sauvages
Lim Gil-Taek, Kim Dong-seong,

traduit du coréen par Lim Yeong-hee et Fançoise Nagel
Chan-Ok, 2010

Leçon de fleurs

Par François Quet

 « Il y a exactement vingt ans,  monsieur  Kim, qui avait habité la ville toute sa vie, avait reçu sa première affectation comme instituteur dans l’école primaire d’un gros bourg de village ». Ainsi commence Les fleurs sauvages. L’incipit résume à lui seul l’histoire qui va suivre. D’abord, le point de vue, celui d’un homme transplanté dans un décor qui n’est pas le sien. Ensuite la nostalgie : tout cela c’est passé, « il y a exactement vingt ans ». Enfin, c’est l’histoire d’une rencontre, celle de la campagne et de la vie villageoise.

Le récit est très simple : une petite fille apporte souvent des fleurs au maitre, mais il lui arrive d’être en retard et de se faire réprimander par l’enseignant. Un jour celui-ci décide de rendre visite aux parents de la fillette, mais la promenade est plus longue que prévue, l’adulte se perd : « J’étais loin de me douter que Bo-sun avait un chemin si long à parcourir chaque jour », se dit-il. Finalement, c’est la petite fille qui le retrouve et le conduit à son hameau. Tout le monde l’attend : jamais aucun maitre d’école n’était venu si loin.

On aime la lente retenue de ce récit, à la fois tendre et mélancolique, triste et émerveillé. La petite fille et sa famille incarnent un monde sans doute disparu, généreux mais secret et inaccessible.  Le jeune enseignant se laisse peu envahir par la vie des fleurs, de toutes les fleurs que lui apporte la fillette et dont il veut connaître les noms, « modestes fleurs coréennes » beaucoup plus belles que celles des contrées lointaines. Les accidents du récit sont très limités : le jeune maitre se réjouit d’avoir trouvé une encyclopédie botanique, la fillette arrive en retard parce qu’elle doit acheter des piles pour sa lampe de poche. Plus tard, l’instituteur comprend pourquoi elle a besoin d’une lampe de poche.  Il ne se passe presque rien au rythme de cette chronique, pourtant le visage de la fillette se confond bientôt avec les fleurs de cet endroit où l’on se dit qu’on aimerait vivre. La tranquillité des paysages prolonge la douceur des gestes, et le jeune homme apprend à percevoir la respiration du monde.

L’illustration (encre et aquarelle) fait partager au lecteur l’émerveillement du personnage principal. Dans la première partie,  des planches un peu sombres, structurées de lignes perpendiculaires, s’éclairent peu à peu avec les fleurs que Bo-sun apporte dans la classe, jusqu’à l’explosion de jaunes iris qui occupent presque une pleine page. Mais c’est dans la deuxième partie de l’album que l’illustrateur traduit avec beaucoup de virtuosité l’ivresse du jeune homme plongé dans la nature : tantôt minuscule dans une double page verte, sous-bois tâché de minuscules fleurs minutieusement dessinées, tantôt au contraire, très grand, en légère contre-plongée, bras nus et ballants,  comme offert et désemparé devant le spectacle du monde. Les pages nocturnes, troublantes, ne provoquent pas un moindre émerveillement : le petit groupe d’humains réuni sous une faible lampe pour accueillir son maitre d’école n’est pas écrasé par le flanc sombre des montagnes et la multitude des étoiles. Ici encore c’est la sérénité qui domine dans un récit aux résonnances cosmiques.

On aura compris à quel point cet album suscite l’enthousiasme. Sans doute la perspective contemplative adoptée par Lim Gil-Taek et son illustrateur est-elle très éloignée de la vitesse et de la nervosité de la narration la plus contemporaine. On ose espérer que le format de l’album, la séduction de l’image aideront les lecteurs à découvrir une autre façon de raconter et à accepter des valeurs aujourd’hui bien discrètes, « la beauté des jardins fleuris ».

L’Etoile de Man-Su

L’Etoile de man-Su
Sophie Guiberteau, Véronique Joffre
Chan-Ok, Flammarion, 2011

Beau conte coréen

par Sophie Genin

conte, Corée, Chan-OkCe joli conte en randonnée de facture classique est d’inspiration coréenne. Cette appartenance se note surtout aux illustrations (peinture aux traits apparents, découpages) : les personnages et les paysages sont asiatiques. Mais l’histoire a une portée universelle : en effet, tout lecteur prend plaisir à suivre une bande surprenante, composée, au fil de la narration, d’un orphelin en quête d’une maison rejoint par un chien, un coq et son amoureuse, une chèvre éprise de liberté rappelant celle de M. Seguin, un étourneau étourdi, un chaton esseulé mais aussi un petit olivier qui cherche une terre accueillante, un essaim d’abeilles chassé de son paradis vallonné et fleuri  par la culture du maïs et même un ruisseau qui leur indiquera le chemin de leur nouvelle demeure ! La fin idéale d’une famille choisie laisse rêveur comme tout bon conte.