Les Lettres du secret

Les Lettres du secret
Bae Yoo-an
traduit du coréen par Lim Yeong-hee et Fançoise Nagel 
Chan-Ok, (collection Matins calmes), 2010

L’alphabet en fleurs

Par François Quet

lettres secret.jpgLa route d’un enfant pauvre croise celle d’un gentilhomme. L’histoire de l’enfant est sans doute exemplaire de ce que vit le peuple coréen au milieu du 15ème siècle.  Son père est malade, sa sœur doit quitter le village pour travailler comme servante, le médecin-herboriste vend durement son savoir aux humbles pour lesquels il n’éprouve pas la moindre compassion. Le petit garçon ne manque pas de talents, il apprend le métier de son père auprès d’un maitre. Il sera tailleur de pierre, sculpteur. C’est la première histoire que raconte Bae Yoo-an dans ce très beau roman, une histoire à la Dickens, pétrie de réalité sociale, une histoire qui plonge le lecteur occidental dans un monde à la fois exotique et familier : les petites rivalités entre les apprentis d’un maitre artisan,  la difficulté de préserver des liens familiaux dans un monde sévère. Pourtant cette peinture là est sans excès, sans pathos ridicule, sans caricature grossière. Chaque personnage a plus ou moins ses raisons et personne n’est monstrueux. Les petits égoïsmes et les petites méchancetés font partie de l’apprentissage de la vie. La nature enveloppe les personnages. Elle bat au rythme des saisons et des récoltes, elle est la pierre qui résiste mais qui récompense à la fin les efforts et l’obstination de l’artisan courageux.

Mais il y a une autre histoire dans Les lettres du secret. Celle du gentilhomme ou plutôt celle du don que ce vieillard fait à l’enfant en récompense d’une gourde d’eau pour soigner sa vue.  Le vieil homme lui explique comment noter les sons de sa langue ; en un mot il lui fait cadeau d’un alphabet. En ce temps-là, c’est l’écriture chinoise qui est utilisée en Corée : obscure, exigeante, réservée à une élite lettrée qui peut ainsi sans dommage gouverner un peuple condamné à l’ignorance. Mais l’enfant apprend vite. Il comprend vite aussi l’usage qu’il peut faire de l’écriture : elle permettra de consigner tout ce qu’il apprend, elle sera ce lien qui permet de communiquer avec les absents,  à condition qu’à son tour il l’enseigne à ses proches. 

Un jour à la fin du récit, le vieux roi Sejong qui a inventé le hangeul, l’écriture coréenne, retrouve l’enfant  au cours d’une belle scène, très visuelle : un cortège traverse le chantier des tailleurs de pierre, s’arrête devant les lettres que l’enfant a tracées sur le sol pour les enseigner à ses camarades. L’enfant répond au vieil homme qui l’interroge, les yeux baissés. Il ne voit que les « magnifiques chaussures de soie noire » jusqu’à ce que le vieil homme aux yeux malades se fasse reconnaître par une formule que l’enfant lui avait déjà entendu dire : « Tu m’as libéré d’une de mes préoccupations ». L’enfant, qui n’arrive pas à l’appeler « Votre Majesté » montre au grand père son travail de sculpteur : « Quand je cisèle la pierre, les pétales prennent vie et s’épanouissent ».  Le vieil homme murmure alors : « Somme toute, moi aussi je suis en train de faire naitre une fleur ».

On est vraiment touché par la limpidité de ce roman, qui sans le moindre ornement gratuit, met en scène un personnage historique, le roi Sejong, et brode sur des thèmes essentiels comme la piété filiale, l’amour du travail bien fait, le souci de la démocratie, et la générosité, un bel hommage aux vertus de l’écriture.

 

 

 

Les Fleurs sauvages

Les Fleurs sauvages
Lim Gil-Taek, Kim Dong-seong,

traduit du coréen par Lim Yeong-hee et Fançoise Nagel
Chan-Ok, 2010

Leçon de fleurs

Par François Quet

 « Il y a exactement vingt ans,  monsieur  Kim, qui avait habité la ville toute sa vie, avait reçu sa première affectation comme instituteur dans l’école primaire d’un gros bourg de village ». Ainsi commence Les fleurs sauvages. L’incipit résume à lui seul l’histoire qui va suivre. D’abord, le point de vue, celui d’un homme transplanté dans un décor qui n’est pas le sien. Ensuite la nostalgie : tout cela c’est passé, « il y a exactement vingt ans ». Enfin, c’est l’histoire d’une rencontre, celle de la campagne et de la vie villageoise.

Le récit est très simple : une petite fille apporte souvent des fleurs au maitre, mais il lui arrive d’être en retard et de se faire réprimander par l’enseignant. Un jour celui-ci décide de rendre visite aux parents de la fillette, mais la promenade est plus longue que prévue, l’adulte se perd : « J’étais loin de me douter que Bo-sun avait un chemin si long à parcourir chaque jour », se dit-il. Finalement, c’est la petite fille qui le retrouve et le conduit à son hameau. Tout le monde l’attend : jamais aucun maitre d’école n’était venu si loin.

On aime la lente retenue de ce récit, à la fois tendre et mélancolique, triste et émerveillé. La petite fille et sa famille incarnent un monde sans doute disparu, généreux mais secret et inaccessible.  Le jeune enseignant se laisse peu envahir par la vie des fleurs, de toutes les fleurs que lui apporte la fillette et dont il veut connaître les noms, « modestes fleurs coréennes » beaucoup plus belles que celles des contrées lointaines. Les accidents du récit sont très limités : le jeune maitre se réjouit d’avoir trouvé une encyclopédie botanique, la fillette arrive en retard parce qu’elle doit acheter des piles pour sa lampe de poche. Plus tard, l’instituteur comprend pourquoi elle a besoin d’une lampe de poche.  Il ne se passe presque rien au rythme de cette chronique, pourtant le visage de la fillette se confond bientôt avec les fleurs de cet endroit où l’on se dit qu’on aimerait vivre. La tranquillité des paysages prolonge la douceur des gestes, et le jeune homme apprend à percevoir la respiration du monde.

L’illustration (encre et aquarelle) fait partager au lecteur l’émerveillement du personnage principal. Dans la première partie,  des planches un peu sombres, structurées de lignes perpendiculaires, s’éclairent peu à peu avec les fleurs que Bo-sun apporte dans la classe, jusqu’à l’explosion de jaunes iris qui occupent presque une pleine page. Mais c’est dans la deuxième partie de l’album que l’illustrateur traduit avec beaucoup de virtuosité l’ivresse du jeune homme plongé dans la nature : tantôt minuscule dans une double page verte, sous-bois tâché de minuscules fleurs minutieusement dessinées, tantôt au contraire, très grand, en légère contre-plongée, bras nus et ballants,  comme offert et désemparé devant le spectacle du monde. Les pages nocturnes, troublantes, ne provoquent pas un moindre émerveillement : le petit groupe d’humains réuni sous une faible lampe pour accueillir son maitre d’école n’est pas écrasé par le flanc sombre des montagnes et la multitude des étoiles. Ici encore c’est la sérénité qui domine dans un récit aux résonnances cosmiques.

On aura compris à quel point cet album suscite l’enthousiasme. Sans doute la perspective contemplative adoptée par Lim Gil-Taek et son illustrateur est-elle très éloignée de la vitesse et de la nervosité de la narration la plus contemporaine. On ose espérer que le format de l’album, la séduction de l’image aideront les lecteurs à découvrir une autre façon de raconter et à accepter des valeurs aujourd’hui bien discrètes, « la beauté des jardins fleuris ».

Jinju ma super copine

Jinju ma super copine
Lim Yeong-Hee, Amélie Graux

Chan Ok, 2011

Bonnes intentions pour découvrir l’Autre dans sa différence

par Sophie Genin

9782916899510.gifAprès J’aime pas la cantine, Ma Nouvelle école et Ma Soirée pyjama, Jinju, petite héroïne coréenne, revient dans un nouvel épisode permettant de découvrir la réalité de la vie d’une famille différente de celle de Noémi, invitée à dormir chez sa « super copine ». Si l’idée de départ est attirante, la volonté didactique (l’auteur est détentrice d’un doctorat en Sciences de l’Education) de montrer que la différence est une richesse ôte tout intérêt à une histoire somme toute banale, malgré des illustrations gaies et colorées  (aux crayons de couleurs semble-t-il) donnant un ton original à l’ensemble.
On a l’impression de regarder une série télé américaine politiquement correcte, surtout avec la fin sur un fou-rire de la famille quand Noémi essaie de prononcer le nom d’un plat qu’elle vient de goûter, après s’être battue avec des baguettes récalcitrantes. Dommage que les bonnes intentions initiales ne donnent pas de la littérature mais une histoire miroir un peu plate.

L’Etoile de Man-Su

L’Etoile de man-Su
Sophie Guiberteau, Véronique Joffre
Chan-Ok, Flammarion, 2011

Beau conte coréen

par Sophie Genin

conte, Corée, Chan-OkCe joli conte en randonnée de facture classique est d’inspiration coréenne. Cette appartenance se note surtout aux illustrations (peinture aux traits apparents, découpages) : les personnages et les paysages sont asiatiques. Mais l’histoire a une portée universelle : en effet, tout lecteur prend plaisir à suivre une bande surprenante, composée, au fil de la narration, d’un orphelin en quête d’une maison rejoint par un chien, un coq et son amoureuse, une chèvre éprise de liberté rappelant celle de M. Seguin, un étourneau étourdi, un chaton esseulé mais aussi un petit olivier qui cherche une terre accueillante, un essaim d’abeilles chassé de son paradis vallonné et fleuri  par la culture du maïs et même un ruisseau qui leur indiquera le chemin de leur nouvelle demeure ! La fin idéale d’une famille choisie laisse rêveur comme tout bon conte.