Si tu regardes longtemps la terre

Si tu regardes longtemps la terre
Jean-Pierre Siméon – Laurent Corvaisier
Rue du Monde 2024

Contemplations…

Par Michel Driol

Une cinquantaine de phrases poèmes de Jean-Pierre Siméon, qu’on n’a plus besoin de présenter, qui viennent dialoguer avec les paysages peints par Laurent Corvaisier.

C’est d’abord un album à regarder, comme on peut regarder les catalogues d’exposition, ou les ouvrages consacrés à un peintre. On va de page en page, de la mer à la montagne, de l’été à l’hiver, des grands formats à l’italienne aux petits formats verticaux, qui se juxtaposent sur la page. On parcourt des paysages aux couleurs fauves éclatantes, des paysages pleins de ciel, d’eau, d’arbres, de mer, mais aussi parfois de maisons, de villes aussi. Avec quelque chose d’intemporel, qui fait que, parfois, on se croirait dans les tableaux de Matisse. Des pins parasols, des iris, le mouvement de l’eau qui coule, la verticalité des ifs, des tons, et l’horizontalité des champs, des plaines composent un univers où règnent le calme et l’harmonie. Un mot pour la qualité des photographies, signées Françoise Stijepovic, hélas décédée avant d’avoir pu voir l’ouvrage achevé. Des photographies qui laissent percevoir la matérialité et la fabrique du tableau, certains coups de pinceau ou encore les veines du bois.

Sur ces toiles, les mots de Jean-Pierre Siméon apportent un éclairage, un prolongement, comme un commentaire, tantôt inclus dans les tableaux, tantôt isolés sur une page, ou entre deux tableaux, ou dans les  marges, de côté, en haut, en bas… Il poursuit son exploration des formes brèves, comme dans Le Livre des  petits étonnements du sage Tao Li Fu, formes brèves ciselées, concises, dans lesquelles chaque mot pèse de tout son poids au service d’une phrase unique, d’une idée singulière. Dans ces textes, le je s’efface au profit d’un « on » ou un « tu », comme une manière de toucher à l’universalité et de s’adresser à un lecteur à qui on donne le conseil d’être là, présent au monde, comme dans le poème ultime qui donne son titre à l’ouvrage :

Si tu regardes longtemps la terre, arbres, vents, soleils et rivières couleront dans tes veines.

On est parfois proche de la maxime :

Il n’est de bonheur
que s’il fait le bonheur de l’autre

du conseil, du mode de vie

Plus tu donnes
de sourires,
plus tu t’enrichis

de l’interrogation sur le sens des choses

On ne sait jamais si on choisit son chemin
ou si c’est lui qui nous choisit

Se dit aussi le lien secret entre poésie et peinture

Fais comme le peintre :
cherche en tout la couleur cachée

Un bel album dans lequel on retrouve toute l’atmosphère, les valeurs, et l’esthétique de Jean-Pierre Siméon, qui fait dialoguer des poèmes qui parlent de poésie, de nature, comme autant de leçons de sagesse à destination des jeunes et des moins jeunes, et les tableaux qui montrent une terre à contempler, une terre donnée à voir à travers le regard d’un peintre.

Ton cœur bat au rythme de la terre

Ton cœur bat au rythme de la terre
Claire Cantais
Editions Courtes et Longues 2024

Si par un jour d’été une voyageuse

Par Michel Driol

Quand la batterie de la tablette de la voyageuse de cet album est vide, elle s’endort. C’est alors qu’une créature bleue, aux longs cheveux rouges, l’entraine dans la nature, celle qu’on aperçoit de l’autre côté de la vitre du train. Cette créature féérique la conduit dans une rêverie où elle l’incite à écouter les  bruits de la terre, à regarder ses merveilles et sa fragilité. Suivant la rivière, elles arrivent à la mer. Arrivée en gare, la jeune femme sort du TGV, et court dans la nature, sous la lune.

Peu de texte dans cet album très poétique, mais d’abord de superbes images, souvent en double page à contempler, d’une facture à la fois simple (des aplats de couleurs et des papiers découpés) et élaborée. Des cadrages audacieux (la forêt vue en contre plongée, les arbres devenant comme les rayons d’un cercle céleste), les petites bêtes vues en plongée, aux pieds de l’héroïne, la vague si proche de celle d’Hokusai. Des couleurs  qui se complètent et s’opposent : corps bleu et cheveux rouges des personnages, verts variés de la nature, bleu profond de la mer, marron – couleur peau – du sable. Le tout prend parfois des aspects hypnotiques ou psychédéliques. Le personnage est tantôt vu en mouvement, et c’est comme une danse qui parcourt tout l’album – tantôt au repos, rêvant, pensant, contemplant. Deux attitudes qui contrastent et disent la jubilation d’être dans cette nature vivante, à écouter, à protéger.

Quant au texte, il est exclusivement consacré aux propos de la créature magique, qui se présente comme une initiatrice qui entraine, dès les premiers mots, la voyageuse dans un autre monde, de l’autre côté de la fenêtre du train. Ce passage dans un univers fantastique marque aussi le passage vers la réalité naturelle, celle qu’on peut percevoir, d’abord par l’oreille (et le texte multiplie les notations sonores), puis par la vue. Très court, le texte peut alors résonner avec les illustrations qui le portent, laissant le temps d’apprécier ses verbes (palpite, battre), ses adjectifs (merveilleux, fragile), ses noms (grondement, daim, coucou), sa comparaison (le sable tiède comme une peau) – tout ceci prépare la chute : le cœur de la terre bat au même rythme que le tien, façon d’assimiler la Terre à un être vivant avec lequel la voyageuse est en harmonie, en synchronie, loin de sa tablette et de sa batterie !

Un ouvrage proposant une expérience sensorielle qui nous entraine dans un voyage initiatique loin des chemins balisés des rails de chemin de fer, au sein d’un univers onirique, pour nous inciter à penser notre relation à la nature, à la terre, pour nous suggérer que nous ne faisons qu’un avec elle.

Indrazaal et la quête de l’océan

Indrazaal et la quête de l’océan
Kama La Mackerel – illustrations de Nátali de Melli
Kata 2024

Un récit initiatique pour prendre soin de la nature

Par Michel Driol

Indrizaal vit au sommet d’une montagne, au centre d’une ile. Une nuit, iel rêve d’une vieille dame, la mère de l’océan, signe  qu’il est temps de prendre la route vers l’océan. La montagne d’abord lui indique le chemin, lui révélant la création du monde, et l’initiant aux semences des plantes. Plus loin, les flamboyants racontent leur odyssée depuis une autre ile. Les roussettes volantes, à leur tour,  lui indiquent leur rôle dans la dispersion des pépins des fruits. Après avoir salué animaux et insectes divers, iel rencontre les mangroves, qui le renseignent sur leur origine et leur rôle écologique. Enfin c’est l’océan, et les retrouvailles avec la vieille dame, qui affirme être là pour protéger ses enfants.

L’album se situe entre le conte merveilleux, où les plantes et les animaux parlent, et le documentaire écologique où sont expliquées les origines de la vie et de la végétation sur une ile, et ce qui y maintient un équilibre en permettant la symbiose des plantes et des animaux. Du conte, on retrouve la quête initiatique d’un personnage touchant, désireux de découvrir, d’apprendre, et les répétitions de situations, de formules de salutation ou de départ, et le fait que toute la nature parle.  Du documentaire scientifique, géologique et botanique, on conserve les noms des plantes ou des animaux, leurs caractéristiques biologiques, des précisions relatives à leur rôle dans la nature. Avec douceur et poésie, l’album aborde avec bienveillance la relation entre l’humain et la nature, et laisse entrevoir, sans le nommer, le respect qui doit exister au sein du vivant, dans une perspective presque animiste. Un mot sur le personnage principal, Indrazaal, non binaire, désigné par le pronom iel, représenté comme un enfant au genre indifférencié, peut-être à l’image de Kama La Mackerel, artiste multidisciplinaire, educateur·ice,  auteur·ice, médiateur·ice culturelle,  traducteur·ice littéraire mauricienne-canadienne. Quant aux illustrations, elles laissent exploser les couleurs vives pour sublimer une nature luxuriante et variée. Dans les pages de garde, Kama explique le point de départ de cette histoire, la catastrophe écologique causée par le naufrage d’un vraquier japonais en juillet 2020, au sud-est de Maurice.

Une conte écologique, inspiré de l’île natale de l’autrice, pour parler de la découverte de la beauté d’un lieu précieux mais menacé, et inviter à en prendre soin..

A tire-d’aile

A tire-d’aile
Pierre Coran & Dina Melnikova
Cotcotcot éditions 2024

L’effet libellule

Par Michel Driol

Une libellule posée sur la vitre du salon, qu’on recueille dans un chiffon, qu’on libère près de l’étang, et qui revient se poser sur l’épaule, comme pour remercier. Tel est l’argument de ce court poème – album de Pierre Coran, illustré par Dina Melnikova.

Ecrit dans une langue très simple, le texte joue sur les deux désignations de l’insecte : d’abord demoiselle – avec toutes les connotations possibles -, puis libellule. Le texte se veut essentiellement relation des faits, sans pathos, sans sentiments, sans émotions. Il s’agit avant tout de raconter, de décrire ce qui se passe, sans donner la moindre interprétation, sauf à la fin, où apparaissent les phrases exclamatives, les interjections, les questions marquant l’étonnement ou la surprise lors de ce mouvement de retour de la libellule vers l’homme. Pour autant le texte assume son côté « poétique » par ses jeux avec de discrètes rimes, rimes féminines en elle, rimes plus masculines en on, mais aussi par sa disposition sur la page : tantôt des distiques, tantôt des mots épars, comme pour mimer, graphiquement, le vol de l’insecte.

Les illustrations ne cherchent pas tant à montrer la libellule qu’à la suggérer, dans sa fragilité, à travers la transparence de tous les éléments représentés dans lesquels joue la lumière. C’est le rideau blanc, qu’on devine au crochet, sur fond de feuillages. Ce sont les fragments de ciel, d’eau, de feuilles. Ce sont les nervures, aussi bien celles de la libellule que celles des feuilles. Tout ceci dans des couleurs vertes et bleues, à l’image de l’insecte, à l’image aussi de la nature qui est ici magnifiée dans sa fragilité. Une seule exception : le rose du chiffon libérateur.

Texte et illustrations évoquent bien ce besoin de liberté, en particulier dans la figure en déconstruction des nénuphars, chaque élément prenant son autonomie. Ils évoquent aussi, à travers la figure de l’insecte, la fragilité de la nature et le rôle de l’homme de protéger les plus faibles. Ils disent enfin la nature dans tout son éclat, celle d’un été où il fait beau. C’est bien la communion avec la nature – animale, végétale – qu’illustre ce texte qui évoque aussi bien le Rousseau  des Rêveries que les philosophies orientales promouvant une vie en accord avec la nature.

Ce troisième opus de la collection Matière vivante, chez Cotcotcot (voir De la terre dans mes poches et Larmes de rosée, chroniqués ici) séduit par ce qu’il dit de la fragilité de la nature et par l’attitude poétique qu’il montre dans une façon singulière d’être présent au monde.

Nuit de chance

Nuit de chance
Sarah Cheveau
La Partie, 2023

Cent nuances de beige

Par Anne-Marie Mercier

Dès la couverture, la « couleur » est annoncée : fusain noir sur brouillards bistres, dégradés de bruns… et la première page nous fait entrer dans ce monde : « Un soir à la nuit tombée, je suis entrée dans la forêt. Et j’ai vu… »
Pages sans texte, présentant un décor de bois dans des tons de beige ou de fusain noir d’encre sur fond blanc, branches, futs… ou pages montrant un animal qui fuit, en plein mouvement, saisi sur fond blanc : un écureuil, un renard plus loin, une horde de cerfs, et enfin une rencontre, avec un sanglier. Attente, approche, magie pour finir avec le retour du texte : la chance d’un miracle.
La beauté de l’album n’est pas seulement dans son histoire, son rythme, ses traits épurés et ses couleurs aux cent nuances de beige, gris, noir mais aussi dans la révélation du secret de sa fabrication à la fin : la couleur a été posée avec des bâtons écorcés et brulés. Différentes essences ont donné différentes couleurs, presque cent, dont on a le nuancier à la fin avec les noms des arbres qui les ont fournis. Deux autres doubles pages sont consacrées aux feuilles des arbres, cette fois dessinées avec des fusains achetés, chacune avec son nom.

Ce bel album est une école de l’attention, attention à ce qu’il nous montre, à son rythme, à sa retenue, à l’émerveillement de la découverte, à la suspension du temps de la rencontre animale – un peu effrayante mais heureuse finalement. C’est aussi un éveil de l’attention à la diversité des arbres et à l’infinie variété des couleurs, des couleurs proches avec chacune leur vibration.

 

A pas de pluie

A pas de pluie
Justine Gautier – Illustrations de Laure Van Der Haeghen
Editions Thierry Magnier 2024

Bal(l)ade sous la pluie

Par Michel Driol

Un jour de pluie, une fillette  répond à l’appel muet de sa chienne pour sortir se promener avec elle. Elles écoutent les bruits, sentent, repèrent choses et animaux, des vaches aux escargots, avant une halte sous l’abribus…

Ce que raconte l’album, c’est une simple promenade, mais une promenade à deux voix à travers les cinq sens. Sur une double page, en caractères romains, on a le récit de la fillette. Sur la page suivante, en italique, c’est le point de vue de la chienne. Et le procédé se répète ainsi, jusqu’à la page finale où, dans le texte, alternent caractères romains et italiques, comme pour montrer la fusion entre les deux personnages. Promenade à travers les cinq sens – surtout portée par le discours de la chienne – avec une précision du vocabulaire qui rend compte de la diversité des choses qui nous entourent. Ça tambourine, tapote, pianote, ça bêle, ça coasse… ça sent la terre et l’humus, la pierre humide, les fleurs écloses… Sens du toucher aussi avec cet escargot qui frôle la truffe de la chienne, avec l’étrange sensation de marcher sur l’eau. Sens de l’odorat avec l’odeur du gâteau au beurre. Sens de la vue enfin bien sûr, avec la description des choses vues, depuis les animaux, jusqu’aux feuillages mouillés… Ce que décrit l’album, c’est ce spectacle de la nature, ces petits riens transformés par la pluie, que les deux personnages explorent avec curiosité et émerveillement.  Ces petits riens, ces paysages, montrés dans les aquarelles aux couleurs  pastel de Laure Van Der Haeghen.  Le vert tendre des prés, des feuillages, le rose et le jaune des fleurs jouent avec les couleurs plus froides de la pluie, dans une grande diversité de bleus. Et, contrastant avec tout cela, le rouge du ciré de l’héroïne. Sur un fond de paysage en double page se découpent, comme incrustées, des petites scènes, des zooms sur le jeunes pousses ou le saut d’une grenouille, façon de montrer qu’il ya toujours quelque chose à voir.

Se promener sous la pluie, sauter dans les flaques d’eau, faire tomber l’eau des feuillages, c’est le rêve et le plaisir de tout enfant que ce bel album magnifie pour montrer toute la poésie de ces moments, pour montrer aussi la complicité et l’amitié entre une fillette et sa chienne.

La petite Glaneuse de sons

La petite Glaneuse de sons
Benoît Bories – voix : Elodie Vincent – Illustrations Iris Durand
Trois Petits Points 2024

Sounds or Silence ?

Par Michel Driol

Irma habite à la montagne avec son grand père Nonno. Sa passion : collecter et enregistrer de nouveaux sons, oiseaux, torrent, pas dans la neige… Avec ces sons, Nonno fabrique des automassons. Derrière ce mot valise se cachent d’ingénieux dispositifs capables de reproduire les sons de la nature. L’arrivée de Monsieur Industrior et de ses machines destinées à creuser des trous dans la montagne fait taire tous ces sons, pour laisser la place à un bruit blanc que rien ne peut vaincre. C’est compter sans l’ingéniosité de Nonno qui fait fabriquer par les habitants du village une trompe géante capable d’amplifier les automassons et d’entrer en résonnance avec les machines de Monsieur Industrior pour les détruire.

Une fable écologique et politique pour les petites oreilles, annonce le sous-titre de ce nouvel opus sonore des Editions Trois Petits Points. C’est bien de cela qu’i s’agit, on l’aura compris en lisant le résumé, mais avec un angle original qui est bien lié à la spécificité de cette maison d’édition lyonnaise. La diversité dont il est question ici est celle des sons de la nature, que cette histoire invite à écouter avec attention, qu’elle donne à entendre en particulier dans les premiers chapitres. Quant au monde industriel, destructeur de l’environnement, il est incarné aussi bien par les bruits des engins de chantier que par le bruit blanc – négation de la diversité, de la variété. C’est une belle partition musicale à trois éléments que cet opus donne à entendre : les sons et bruits divers, la voix calme et douce de la narratrice, et la musique concrète très contemporaine, expressive, qui lie le tout. Par là il s’agit autant de s’adresser à la sensibilité de l’auditeur qu’à son imaginaire en lui proposant des sons – et non des images – avec une grande force d’évocation. Cette proposition poétique dessine un  paysage sonore dont les éléments sont l’écologie sonore et la musique acousmatique. Faut-il voir dans le nom du grand père, Nonno, une allusion à Luigi Nono, et à une musique au service d’un engagement politique ?

La défense de la nature, la résistance à sa destruction ont de nombreux visages. Ce récit sonore nous invite à écouter, tant qu’il en est encore temps, les sons de la nature, apaisants, et montre avec originalité comment ils peuvent donner lieu à une (re)création artistique. A auditionner les yeux fermés certes, mais pour garder les yeux ouverts sur le monde qui nous entoure…

Collections

Collections
Victoire de Changy & Fanny Dreyer
La Partie 2023

Pierres, feuilles, coquillages…

Par Michel Driol

Ce sont sept enfants, un par jour de la semaine, qui présentent leurs collections. Des choses d’automne, pour Omar, des mains pour Cléo, des chevaux pour Lise, des pierres pour Suzanne, un herbier pour Pio, des coquillages pour Louise, des galets pour Lucien… et des battements de cœur pour le seul à avoir un nom de famille, Christian Boltanski.

Cet album tient à la fois de l’imagier, par la précision des planches illustrées qui montrent les items des différentes collections, et d’une approche plus poétique autour de l’idée de collection. Poétique d’abord par la langue, la précision du vocabulaire, tantôt relativement courant – marrons, châtaignes – tantôt plus rare – aigue marine, ou cheval de Dalécarlie. Poétique aussi par la syntaxe, les anaphores, les listes qui rendent bien compte de ce que c’est que la répétition dans l’acte de collectionner, et la volonté de trouver du nouveau. Pourquoi collectionne-t-on ? L’album apporte différentes réponses à cette question : pour poursuivre une tradition familiale pour Cléo, pour combler le manque pour Pio, pour conserver la trace d’un moment pour Omar… Autant d’enfants, autant de réponses différentes, mais toujours le même plaisir de la collection, signalé par cette phrase qui revient, dans chaque histoire, inscrite en italique, son cœur bat si fort qu’il fait trembloter tout son corps, phrase qui annonce le dernier chapitre consacré à l’œuvre de Christian Boltanski, les Archives du cœur. Et qu’apporte cette passion des collections aux enfants ? Apaisement, sans doute, mais aussi façon de garder la trace d’une histoire, personnelle, collective, dans la mesure où chaque collection est en écho avec le vécu de chacun. Ce geste de conservation des traces va de pair avec la construction de soi, de son identité. Le dernier chapitre donne une autre clé de lecture à ces collections, en les rapprochant de l’œuvre de Christian Boltanski, façon de questionner le lien entre le passé et le présent, entre l’absence et la présence, à partir d’inventaires. La collection d’objets, de plantes, de galets fait de chaque enfant un plasticien en puissance.

Usant de différentes techniques, les illustrations montrent tantôt des scènes de la vie quotidienne des enfants, tantôt des paysages, tantôt les objets collectionnés. C’est un patchwork  coloré qui donne à voir l’hétérogénéité des personnes, des lieux, des collections, en les magnifiant, comme une façon de célébrer la vie.

Un bel ouvrage, qui prend comme point de départ le gout des enfants pour les collections de petits riens, et montre avec poésie et finesse toute la richesse et l’intérêt artistique de cette pratique.

Henri l’escargot

Henri l’escargot
Katarina Macurová
Albatros 2023

Etre ou ne pas être comme les autres

Par Michel Driol

Il est né sans bave, Henri, le petit escargot, et, de ce fait, il ne peut pas grimper sur les plantes comme les autres. Il tente de pallier son handicap, à l’aide de ses antennes, de miel, de résine… Peine perdue ! Mais, en s’entrainant à porter de lourdes charges en équilibre pour se muscler, il parvient à faire l’acrobate sur les tiges. Et lorsqu’un beau jour une limace qui voulait une coquille comme la sienne l’emmène au sommet d’une fleur, c’est la découverte d’un nouveau monde : les autres apportent leur aide à Henri pour grimper, et en échange, il leur ouvre le monde du cirque et de l’acrobatie.

L’escargot est un des animaux récurrents en littérature pour la jeunesse. Lent, petit, fragile, il permet assez facilement que les enfants s’identifient à lui. Henri ne fait pas exception, lui qui est dessiné très peu anthropomorphisé (avec une bouche et des antennes expressives, et des yeux grand ouverts sur le monde). Mais surtout avec ses qualités : sa détermination, sa volonté sans faille, son désir de faire comme les autres, de vaincre le handicap avec lequel il est né. Il donne une belle leçon d’humanité ! La dynamique du récit fait passer, de façon intéressante et pertinente, d’une problématique individuelle à une problématique sociale. Seul, Henri ne peut réaliser ses rêves. Il a besoin des autres, mais, en échange, il a quelque chose à leur apporter. C’est cette solidarité, qui les conduit tous à ses dépasser dans une dimension joyeuse, ludique, artistique, circassienne, que l’album met en évidence avec beaucoup de douceur et de délicatesse. L’acceptation de la différence ouvra ainsi de nouveaux horizons.

Le texte, avec sobriété, épouse le point de vue d’Henri, lui donne la parole, et commente ses actions sans devenir envahissant, histoire de donner la part belle à de splendides illustrations qui rythment le récit. Tantôt en double page (avec des vues d’un grand réalisme poétique sur le jardin, la nature luxuriante), tantôt en strips animés montrant les efforts d’Henri, elles savent aussi faire un écho à la fantaisie du texte lorsque l’on voit les escargots devenus personnages de cirque (clowns, acrobates, équilibristes…). Et que dire de la dernière illustration où un pot de fleurs renversé, ébréché, devient un chapiteau de cirque vers lequel convergent tous les insectes ! C’est plein de couleurs et de vie…

Une douce histoire pour aborder des thèmes sérieux comme celui du handicap, de l’entraide, avec une grande simplicité et comme une espèce d’évidence dans la façon d’accepter la différence de la part des différents personnages… Un album pour développer naturellement des compétences sociales de ses lectrices et de ses lecteurs.

Les Petits Robinsons

Les Petits Robinsons
Romain Taszek
éditions Møtus, 2023&

Ile déserte, mode d’emploi

Par Anne-Marie Mercier

Six personnages arrivent dans une clairière. On ne sait pas quels liens les unissent, comment ils sont arrivés là. Ils disent qu’ils ne savent pas combien de temps ils vont devoir y rester. Enfants et ados échappés d’une catastrophe ? ou perdus dans les bois ? Défi de survie ? Certains sont frère et sœur, d’autres cousins, d’autres encore, on le suppose, amis. Certains ont encore un doudou, un autre lit l’Odyssée. Ces personnages (en quête d’auteur ?) élaborent pas à pas leur silhouette, leur caractère, leurs relations aux autres et évoluent, certains plus que d’autres, au fil des pages de cette jolie BD.
Histoire d’une survie, ou d’une robinsonnade choisie, on ne le saura qu’à la toute fin. Le camp s’organise, et très vite arrivent quelques leçons : où planter la tente, comment protéger ses provisions (ça arrive un peu trop tard, un écureuil se joue d’eux), et comment se nourrir de cueillette quand on n’en a plus, comment construire une cabane quand la toile de tente a été emportée par la tempête, comment laver son linge sans effort… mais surtout comment vivre en harmonie sans disputes et arriver à tout partager pour survivre.
Entre conseils sérieux, dignes du manuel des scouts ou des Castors juniors, et fantaisies loufoques, la vie y est jubilatoire. Une décharge trouvée près des lieux leur permet mille inventions. Les vignettes, qui alternent avec quelques doubles pages à l’allure documentaire, sont schématiques, souvent drôles, avec une belle palette restreinte de couleurs, en cohérence avec le reste de l’œuvre de Romain Taszek.
Si le collectif est sans cesse mis en avant, cela n’empêche pas que chacun puisse se construire la cabane  de ses rêves : tipi, arbre creux, vaisseau spatial… chacun tisse son imaginaire. La nuit est tantôt un émerveillement, tantôt un moment où toutes les peurs se ravivent. Si on joue à se faire peur, on a parfois peur sans l’avoir cherché. L’accident guette et finit par arriver…
C’est une jolie promenade en compagnie de ces personnages qui finissent par prendre forme et nous embarquent dans leur aventure.

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