Il y a

Il y a
Nicolas Pechmezac – Jennifer Yerkes
A2mimo 2023

Retour au bord de mer

Par Michel Driol

Tout commence par une journée au bord de la mer pour une famille, dont le narrateur (aux cheveux bleus) et son frère (aux cheveux jaunes). Jeux sur le sable, jeux imaginaires avec les sirènes et les poissons volants. Puis on revient, avec des coquillages qu’on garde et des photos. Quelques années plus tard, le frère ainé revient, accompagné d’un autre enfant, une guitare en bandoulière.

C’est un album qui laisse au lecteur de belles possibilités de rêve et d’interprétation. D’abord à cause de son texte, qui s’ouvre sur une phrase énigmatique, j’habite avec des mots dessinés sur le sable. Des mots comme il y a. Puis commence la première phrase, il y a des marins à terre, complétée par 3 propositions relatives qui ouvrent à l’imaginaire : qui ont vu des femmes poissons, des poissons volants, des oiseaux de mer. Le texte disparait alors pour laisser la place aux illustrations, jusqu’au retour du frère ainé, accompagné d’un autre enfant aux cheveux bleus. Revient le texte, avec un autre il y a, il y a des chansons, il y a des chansons à voir. Texte très court, donc, mais largement ouvert à l’interprétation. « Il y a »… la locution constitue comme un degré zéro de la langue, puisqu’elle se contente d’énumérer le réel. Bien sûr, des lecteurs adultes se souviendront peut-être de Rimbaud ou d’Apollinaire et de la dimension poétique qu’elle comporte. Ce dont il est question ici à travers le texte, c’est moins du monde réel de la plage que du monde des mots et de l’imaginaire. Ces marins à terre ne sont que des enfants, et leurs visions sont bien imaginaires. Ce qui viendra à la fin de l’album, c’est l’évocation d’une autre œuvre artistique, faite pour partie de mots, une chanson. Il faut donner tout son sens à la première phrase, j’habite le langage, les mots, autant que le monde sans doute, mais ces mots, dessinés sur le sable, sont destinés à être effacés. C’est toute la question du souvenir qui se pose alors, matérialisé au milieu de l’album par les photos et les coquillages conservés, comme preuve en quelque sorte tangible que cela a eu lieu. La seconde partie, quelques années plus tard, entrecroise les figures de la permanence et du changement. Permanence des paysages, où seules les plantes ont poussé, permanence du personnage aux cheveux bleus, mais changement du deuxième personnage. Petit frère du début qui aurait changé sa couleur de cheveux ? Ou enfant du frère ainé venu contempler la mer avec son père ? L’album ne donne pas la clef, laissant chacun libre d’interpréter comme il l’entend ce retour vers cette plage, vers cette mer, devenue peut-être chanson à voir.

Les illustrations de Jennifer Yerkes proposent des doubles pages aux couleurs pastel, avec un découpage de plans très cinématographique pour faire suivre au lecteur la progression des personnages. Elles assument parfaitement la fonction narrative qui leur est attribuée dans la plus grande partie de l’album.

Enigmatique, poétique, plein de douceur,  cet album illustre un rapport particulier aux souvenirs,  aux vacances. Il parle, comme en filigrane, de la magie de la mer, de son imaginaire, mais aussi de transmission familiale.

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