Les Moufles rouges
Illustrations de Chioki Okada – texte de Kirin Hayashi
Seuil Jeunesse 2013
Une séparation
Par Michel Driol
Les deux moufles d’une petite fille – Petite Puce – lui tiennent chaud lorsqu’elle fait un bonhomme de neige, et, pendant la nuit, elles sèchent devant le poêle. Mais lorsque Petite Puce perd Moufle Droite, un renard la trouve, et l’accroche à une branche. La tempête la fait tomber, et c’est un lapin qui la ramasse : elle devient couvre-théière, puis bonnet pour les lapereaux. Les cousins mulots sont envieux, et la récupèrent pour en faire un sac de couchage. Volée par une chouette, bien détricotée, elle devient le pull d’un écureuil qui la met à sécher sur un arbre. C’est là que les deux moufles se reconnaissent.
Cette histoire en randonnée est illustrée par Chioki Okada qui entraine le lecteur au cœur d’une lumineuse forêt enneigée, où le blanc bleuté de la neige contraste avec le gris marron des branches, et les taches rouges des moufles ou des baies. Forêt merveilleuse qu’on dirait de légende où vivent des animaux adorables. Animaux anthropomorphisés, vivant dans une maison confortable comme les Lapins (on se croirait chez Beatrix Potter), un peu plus rustique chez les mulots. Animaux qui se dressent sur leurs pattes arrières comme le renard ou l’écureuil pour attraper la moufle. Des images pleines de vie, dans lesquelles les cadrages mettent en valeur la moufle rouge dans son périple.
Ces images accompagnent un texte dans lequel les deux moufles sont nommées, personnalisées et dotées de pensées et de sentiments. Elles s’unissent, prennent soin des mains de Petite Puce, Moufle Gauche se sent triste d’être séparée de l’autre moufle à laquelle elle pense. En revanche, on suit les tribulations picaresques de Moufle Droite, mais on ne sait rien de ses pensées et sentiments. De sujet (comme Moufle Gauche), elle est devenue objet dans des phrases où agissent comme sujets les différents animaux. Ces non-dits laissent au lecteur le soin de les remplir, de s’interroger. Victime du sort, subit-elle sans se plaindre ? Ou se sent-elle utile dans une nouvelle vie qui la meurtrit, l’use petit à petit, mais où elle remplit un nouvel office au service des autres ? La fin affirme qu’elles sont aussi heureuses l’une que l’autre… C’est bien la question du bonheur et de l’acceptation du destin que pose cet album avec subtilité et délicatesse.
Un mot tout de même de la fillette, à qui sa maman tricote une nouvelle Moufle Droite, et qui semble avoir oublié la première. Elle n’était qu’un objet, perdu, qu’on a cherché, qu’on n’a pas trouvé… Ingratitude des enfants tout à leurs activités? A la fin, elle ne voit pas l’ancienne Moufle Droite…
C’est bien d’une double séparation que parle l’album. Au niveau des Moufles, une vraie séparation, mais qui entraine l’acceptation du sort de chacun, et le plaisir de la rencontre éphémère. Au niveau de la fillette, oubli d’un objet vite remplacé. Double niveau de lecture donc dans ce bel album plein de douceur poétique.