Je m’appelle Forêt

Je m’appelle Forêt
Anne Maussion – Alain Simon
Editions du Pourquoi Pas ?? 2024

Symphonie sylvestre

Par Michel Driol

En un long poème symphonique en trois mouvements, la forêt s’adresse au lecteur. Dans un premier mouvement, allegro, elle donne à entendre tous les sons qui la caractérisent, des plus éclatants aux plus secrets. Dans un deuxième mouvement, largo, elle déplore son espace de plus en plus restreint, sa force perdue, et ses tentatives pour se défendre. Dans un dernier mouvement, vivace, elle appelle à s’unir pour la préserver. Les illustrations accompagnent les trois mouvements dans des tonalités différentes. Un jaune éclatant pour le premier, le sombre de la nuit et le rouge de l’incendie pour le deuxième, et un blanc porteur de paix et d’espoir pour le troisième.

A la richesse écologique de la forêt correspond la richesse du lexique déployé par l’autrice. Carcophores, mycélium, nématodes, autant de mots rares, scientifiques, qui valent ici autant pour leurs sonorités que pour leur façon de nommer, de façon précise, tout le vivant qui trouve refuge dans la forêt. Mots dont on ne connait peut-être pas la signification, mais qu’importe ? Ils sont là pour dire la diversité du monde menacé. L’originalité de ce texte est de faire la part belle au registre musical, comme une façon de faire prêter l’oreille aux multiples sons de la forêt. Dès lors se multiplie le vocabulaire de la musique, notes, partition, pulsation…, comme une façon de faire de la forêt, du nom de la forêt, un chef d’œuvre aux multiples solistes qui s’accordent.  Mais cette poésie contemplative, laisse place à un chant de révolte dans lequel le lexique charge de tonalité. Il est question de cacophonie, de cris, de produits phytosanitaires.  La poésie s’engage aux côtés de la forêt face des adversaires dépeints sans ménagement, aveuglés du profit, grands humains en uniformes de politiciens. Le ton se fait amer face à l’impuissance de la forêt à se défendre, à se faire entendre, ce qu’une strophe dénonce avec vigueur :

Mais il est difficile de faire
entendre le chant de la nature
face au brouhaha des intérêts personnels.

Comment rester insensible à ce cri de détresse d’une forêt menacée, sans appuis, isolée, malmenée, encerclée ?

La fin du texte, le troisième mouvement, ouvre le choix entre la disparition de la forêt, dont la voix ne serait pas plus forte que la stridulation d’un criquet et un final tonitruant, dans lequel s’uniraient toutes les voix afin que la chanson devienne un hymne à préserver.  Cette métaphore filée de la musique assure au texte une grande cohésion et lui permet de se terminer sur une note de paix, d’harmonie universelle scellant la réconciliation de l’homme et de la nature.

L’autrice, dans sa note d’intention, évoque une écriture à voix haute. Et c’est bien de cela qu’il est question dans ce texte fait pour l’oralisation, avec ses anaphores, ses reprises, ses rythmes particuliers, ses jeux sur les sonorités. Un texte qui s’adresse à toutes et à tous pour que résonne encore longtemps le nom de la forêt vivante.

M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle

M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle
Joséphine Serre

Théâtrales, juillet 2024

« La forêt se déchaîne, les vivants se soulèvent, la beauté mène l’insurrection, et à l’intérieur ça vit, ça chante, cherche, explose, ça s’étreint et se déchire, cela vit, vit, vit. »

par Lidia Filippini

M.A.D, Je te promets la forêt rebelle est une pièce engagée en faveur de la protection de la Terre.
Une jeune femme apprend à l’aéroport la mort de son frère dans une ZAD. Elle renonce alors au voyage d’affaire qui devait lui permettre de vendre un projet d’ingénierie à des start-ups pour se rendre sur les lieux où le jeune étudiant en botanique a disparu. Pacifiste et mu par le désir de vivre autrement son rapport à la terre, Frère était parti, son carnet en poche, pour recenser les espèces végétales présentes dans la ZAD. Il a été victime d’une grenade offensive, lancée par un gendarme lors d’affrontements opposant les zadistes aux forces de l’ordre.

 La ZAD est située dans une forêt qui, comme toutes les forêts, regorge de mystères. Entre les arbres, Sœur croit apercevoir Walden, le chien de son enfance. Lancée à sa poursuite, elle va rencontrer toute une galerie de personnages plus ou moins oniriques : un jardinier nommé Neil Armstrong qui, s’il avait eu un fils, aurait aimé l’appeler Judas, une fille-jaguar, une sorcière, mais aussi le fonctionnaire auteur de la bavure. Les zadistes, quant à eux, lui font entrevoir cette manière de vivre différente où chacun s’efforce de construire ensemble un « autre futur » qui avait tellement séduit son frère.

 L’enquête que mène Sœur pour comprendre ce qui est arrivé à Frère prend peu à peu la forme d’une quête identitaire. Au fil de des rencontres, la jeune femme qui, jusqu’alors ne comprenait pas l’engagement écologique et social de son frère, va voir ses certitudes vaciller.

Le texte est traversé de bout en bout par des références à Macbeth, et plus précisément à l’acte V de la pièce de Shakespeare, « La forêt qui marche » dans lequel une armée de soldats, portant chacun une branche d’arbre avance vers le château de Macbeth. Une des sorcières rencontrées pendant sa jeunesse avait bien prédit au roi : « Rien ne pourra t’arriver tant que la grande forêt ne se sera pas mise en marche contre toi. » Mais, Macbeth, qui était encore un jeune général à l’époque, avait pris cette prophétie à la légère : « Cela n’arrivera jamais ! Qui peut de force enrôler la forêt et ordonner à l’arbre d’ébranler sa racine enchaînée dans la terre ? […] notre grand Macbeth vivra jusqu’au terme normal de toute vie et rendra le dernier soupir à l’heure où tout homme doit le rendre. », s’était-il écrié, sûr de son pouvoir et de sa puissance. Dans M.A.D, la forêt rebelle, c’est celle des zadistes et des défenseurs de la nature qui, seuls, ont compris l’importance de changer notre modèle de société. M.A.D, acronyme de « monde à défendre », c’est la folie des hommes qui ne respectent plus leur planète.

Joséphine Serres s’est librement inspirée, pour écrire la pièce, de l’histoire de Rémi Fraisse, étudiant en botanique mort en 2014 lors de l’assaut d’un groupe de gendarmes. Le jeune militant écologiste occupait avec d’autres zadistes le site de Sivens, dans le Tarn, pour protester contre la construction d’un barrage. Pour Joséphine Serres, cet évènement tragique n’est pas « un fait divers mais vraiment un fait politique ». Elle considère Rémi Fraisse comme « un des premiers morts de ce qu’on pourrait appeler la guerre de l’eau en Europe ».  Très juste dans son ton, l’autrice ne verse à aucun moment dans une vision idéaliste de la ZAD. Le microcosme qu’elle dépeint (surtout d’ailleurs dans Nous habitons vos ruines, une des trois courtes pièces qui accompagnent M.A.D et qui peut être présentée « en parallèle des représentations » ou « en guise de prologue ou d’épilogue ») est loin d’être un monde parfait. On y trouve toutes sortes de gens – et même des « cons » – « [e]t ça discute tout le temps et ça s’embrouille, mais ça échange ». Car au fond, ce qui lie ce groupe hétérogène c’est bien cette idée d’échange, de partage de connaissance, la « liberté inconditionnelle de la conscience ».

Le texte est percutant et néanmoins poétique. Extrêmement bien documenté, il fait le lien, par le jeu de l’intertextualité, avec l’œuvre de Shakespeare, mais aussi avec des ouvrages plus récents, fictions, poésies ou essais (Yourcenar, Whitman, Jünger). Joséphine Serres cite également de nombreux articles donnant envie au lecteur de les lire à son tour. On plonge dans le texte en commençant par la fin, la mort de Frère, dans un troisième chapitre intitulé « Anekdiegesis » (un monde privé de récit). Une voix s’est éteinte, celle du jeune homme d’où tout est parti. On découvre ce qu’était cette voix en remontant le cours du récit grâce à l’enquête de Sœur qui se termine au chapitre un « Homo Sapiens. Humilis. ». Devenir des « humain[s], humble[s], sage[s] de la terre », tel est le message de M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle qui nous engage à faire entendre, à notre tour, notre voix.
La pièce a été jouée en juin 2024 au Théâtre de la Tempête à Paris, mise en scène par Joséphine Serres qui interprétait plusieurs personnages.

 

Manqué !

Manqué !
Antonin Faure
Les Editions des éléphants 2024

Proies de tous les pays, unissez-vous !

Par Michel Driol

Un album en randonnée reprenant le principe des chaines alimentaires. Ainsi le ver veut manger la pomme, mais elle tombe, manqué ! La mésange veut manger le ver, mais échoue ! La belette veut manger la mésange, mais échoue… jusqu’à la fin, où l’ours veut manger le loup… et échoue, bien sûr ! Voilà pour le scénario, porté par un texte court, répétitif comme le sont tous les textes en randonnée, un distique rimé reprenant les paroles de l’animal prédateur et exprimant son désir de manger.

L’album fait surtout la part belle aux illustrations, en double page, très fouillées, qui prennent en charge la narration pour peu qu’on s’y attache aux détails, et qu’on les lise attentivement. Au-delà du mangeur et de la proie évoqués par le texte, c’est une foule d’animaux en activité que montre l’image.  Suivons ainsi la pomme, transportée par une colonie de fourmis, qui vont même utiliser une planche-radeau pour traverser la rivière. Explorons ce qui se passe sous la terre, avec la taupe, qui creuse. Quoi de plus normal dans ces comportements animaux… Sauf que petit à petit la fantaisie s’invite. Ainsi ces deux lapins  endormis dans leur terrier, sous une couverture rouge, ces castors bâtisseurs, avec leur treuil, ces chauvesouris jouant aux cartes… Ce petit monde animal s’humanise ainsi, comme invitant à une autre lecture.

Se joue aussi dans les illustrations une opposition entre la surface et le souterrain. La surface, c’est le lieu des conflits, des désirs, de la violence de l’un contre l’autre. Le souterrain, c’est le lieu de l’entraide, où toutes les victimes vont se retrouver, scellant ainsi l’union ceux qui ont été ennemis. C’est ainsi que tous entrainent l’ours dans une caverne, pour lui tendre un piège… qu’on ne révélera pas, bien sûr, mais qui montre que l’union des petits, leur astuce, leur imagination, fait la force… Quant à la dernière illustration, elle scelle l’union de tous – ours y compris, bien sûr –  autour de nourritures consensuelles, marshmallows et pâtisserie !

La raison du plus fort est toujours la meilleure… sauf pour cet album, qui prône union et solidarité pour venir à bout de toutes les difficultés, de tous les conflits.  Un album qui le suggère plus qu’il ne le dit, un album plein de rythme, de rebondissements et surtout un album plein d’humour et de joie, libératrice, salvatrice !

La Forêt pour te dire

La Forêt pour te dire
Martine Pouchain
Sarbacane 2024

Robinsonnade contemporaine

Par Michel Driol

Louise, 17 ans, dont le père est mort avant sa naissance, vit avec sa mère qui enchaine les hommes. Lorsque le dernier se livre à des attouchements sur elle, elle fuit dans la forêt, où elle mène une vie de survivaliste, faite de cueillette et de petite chasse, à l’aide de sa fronde. C’est là qu’elle fait la connaissance de Paul, un peu plus âgé qu’elle, qui va de petit boulot en petit boulot, traumatisé par la mort de ses parents dans un accident de voiture, et un abattoir où il a travaillé. Paul sauve Louise, victime d’un empoisonnement, et lui propose de l’héberger à La Faye, la vieille maison familiale, désormais vide. Comment ces deux-là vont s’apprivoiser, se découvrir, et se reconstruire, et établir entre eux et les autres une relation complexe…

Martine Pouchain propose ici un récit qui tient du conte et du roman d’apprentissage. Conte par le personnage principal (non plus une petite fille, mais une adolescente, victime d’un adulte), par les lieux,  la forêt emblématique – et symbolique – de ce genre où l’héroïne trouve refuge, mais aussi la vieille maison qui semble pleine de secret, enfin par la punition du méchant et la découverte de l’amour – sauf que la fin n’est pas celle du conte traditionnelle, avec le mariage et les nombreux enfants. Roman d’apprentissage par la découverte d’elle-même qu’y effectue l’héroïne, par les choix qu’elle effectue, sa fuite, son apprentissage de la psychologie à distance, et son éducation sentimentale et sexuelle. A la croisée de ces deux genres, on est vraiment dans une grande tradition de la littérature pour la jeunesse. Une littérature pour la jeunesse qui s’adresse aussi, ici, à un lectorat adulte.

Le roman propose un double portrait, celui de Louise, et celui de Paul. Si l’on découvre assez vite le passé de Louise, ses relations avec sa mère – femme enfant avec son « beau-père » du moment, en particulier parce que le texte nous livre son journal intime, il n’en va pas de même pour  Paul, dont le roman révèle, bribe après bribe, ses secrets, son passé qu’il a du mal à affronter. Il y a là à la fois respect de la psychologie du p