Les Petits Robinsons

Les Petits Robinsons
Romain Taszek
éditions Møtus, 2023&

Ile déserte, mode d’emploi

Par Anne-Marie Mercier

Six personnages arrivent dans une clairière. On ne sait pas quels liens les unissent, comment ils sont arrivés là. Ils disent qu’ils ne savent pas combien de temps ils vont devoir y rester. Enfants et ados échappés d’une catastrophe ? ou perdus dans les bois ? Défi de survie ? Certains sont frère et sœur, d’autres cousins, d’autres encore, on le suppose, amis. Certains ont encore un doudou, un autre lit l’Odyssée. Ces personnages (en quête d’auteur ?) élaborent pas à pas leur silhouette, leur caractère, leurs relations aux autres et évoluent, certains plus que d’autres, au fil des pages de cette jolie BD.
Histoire d’une survie, ou d’une robinsonnade choisie, on ne le saura qu’à la toute fin. Le camp s’organise, et très vite arrivent quelques leçons : où planter la tente, comment protéger ses provisions (ça arrive un peu trop tard, un écureuil se joue d’eux), et comment se nourrir de cueillette quand on n’en a plus, comment construire une cabane quand la toile de tente a été emportée par la tempête, comment laver son linge sans effort… mais surtout comment vivre en harmonie sans disputes et arriver à tout partager pour survivre.
Entre conseils sérieux, dignes du manuel des scouts ou des Castors juniors, et fantaisies loufoques, la vie y est jubilatoire. Une décharge trouvée près des lieux leur permet mille inventions. Les vignettes, qui alternent avec quelques doubles pages à l’allure documentaire, sont schématiques, souvent drôles, avec une belle palette restreinte de couleurs, en cohérence avec le reste de l’œuvre de Romain Taszek.
Si le collectif est sans cesse mis en avant, cela n’empêche pas que chacun puisse se construire la cabane  de ses rêves : tipi, arbre creux, vaisseau spatial… chacun tisse son imaginaire. La nuit est tantôt un émerveillement, tantôt un moment où toutes les peurs se ravivent. Si on joue à se faire peur, on a parfois peur sans l’avoir cherché. L’accident guette et finit par arriver…
C’est une jolie promenade en compagnie de ces personnages qui finissent par prendre forme et nous embarquent dans leur aventure.

Feuilleter sur le site de l’éditeur

 

Akané, la fille écarlate

Akané, la fille écarlate
Marie Sellier – Minna Yu
HongFei 2023

Pour sauver un arbre…

Par Michel Driol

Aîko accompagne souvent son père, gardien de la forêt sur le mont Takara. Un matin, d’énormes machines déracinent des arbres, creusent un trou pour y déverser on ne sait quoi. La forêt dépérit lorsqu’Aïko entend le gémissement d’une fillette allongée près d’un petit érable. Conduite chez les parents d’Aïko, la fillette ne cesse de dépérir, tout en murmurant « Erable, ô mon érable ». Aîko et son père vont alors transplanter l’érable dans leur jardin, et lorsque l’arbre et la fillette vont mieux, elle révèle son secret. Elle ne fait qu’un avec l’arbre.

Deux portes d’entrée pour cet album : l’illustration de la couverture d’abord, avec son côté naïf, enfantin qu’on peut percevoir dans la représentation des deux animaux souriants qui se courent après, mais aussi avec la façon dont des éléments naturels  se terminent en mains. Au milieu de ce monde féérique, où le merveilleux côtoie le réel, deux enfants, en tenue japonaise assez traditionnelle, une fille et un garçon. Puis une adresse au lecteur, comme une ouverture de conte, dans laquelle ce sont les grands pins chevelus qui murmurent la légende de la fille écarlate. Ces deux portes font accéder le lecteur à ce qui apparait comme un univers merveilleux, porté à la fois par la nature et par des enfants.

Le texte fait alterner deux discours, l’un en capitales, imprimé en bleu, sorte de poème en quatre strophes adressé au petit érable, l’autre le récit du sauvetage de l’érable et de la fillette. Il faut bien sûr lire ce texte comme un conte, dont il reprend les éléments traditionnels et merveilleux. La fillette, sorte de double humaine de l’arbre, la mission, sauver le petit érable du péril qui le menace. Du conte, le texte reprend aussi les aspects oraux : reprises, inversions verbe sujet. Mais, on l’aura bien compris, c’est aussi un texte qui fait appel à l’imaginaire pour dénoncer les dangers que les hommes font courir à la nature (enfouissement de déchets qui empoisonnent la terre), mais aussi pour dire à quel point nous sommes liés à la nature. C’est cet aspect que renforcent les illustrations où se multiplient les mains, à la fois tendues, protectrices, mais aussi parfois blessées.  Au final, l’album nous invite à vivre plus en harmonie avec la nature, en se gardant bien de donner des leçons ou de faire la morale. A chaque lecteur de comprendre le sens de cette allégorie.

Un album qui associe un texte où le merveilleux côtoie la poésie à des illustrations faussement naïves, pleines de détails à la fois enfantins et symboliques, pour évoquer le lien que les humains entretiennent avec tout ce qui est vivant dans la nature.

Le Doudou des bois

Le Doudou des bois
Angélique Villeneuve – Amélie Vidélo
Sarbacane – 1ère édition 2016

Le doudou perdu

Par Michel Driol

Une forêt, dans les somptueuses couleurs de l’automne, où Georgette se promène avec son doudou lapin gris… doudou qu’elle installe au milieu des feuilles et qu’elle oublie. Le lendemain, elle repart chercher son doudou. Ne le retrouvant pas, elle décide de la remplacer…par quoi ? une feuille ? une châtaigne ?une flaque ? non, par un petit loup gris.

On est d’abord frappé par le chatoiement des couleurs de l’album : c’est un automne lumineux, où la nature explose dans des teintes chaudes, dans une profusion de feuillages, de plantes, mais aussi d’animaux plus ou moins cachés. Gouaches, papiers découpés occupent la totalité de l’espace de la page : on est vraiment au cœur de la nature, de la forêt, au point que la chambre elle-même de Georgette est comme située à l’intérieur d’un terrier, ou d’un tronc d’arbre.

Ces illustrations accompagnent un texte qui fait appel aux différents sens : la vue, avec l’évocation des couleurs, les odeurs si particulières de l’automne et de l’enfance, le toucher, avec ce qui est doux, piquant…  Revient de façon régulière le « ça », un pronom pour désigner la nature, mais aussi les choses et les animaux. Ça sentait, ça n’était pas assez doux… et à la fin, au lecteur de deviner quel est ce « ça » que Georgette a ramené chez elle… avant qu’il ne soit nommé. Ce jeu des pronoms, entre le « elle » de Georgette et le « ça » de la nature met en texte la confrontation  / fusion entre le personnage et son environnement,  au point d’oublier le « il » du doudou lapin.

Mais cela parle aussi, avec émotion, de perte, perte d’un doudou et de résilience. Georgette ne pleure pas sans fin son doudou, elle cherche assez vite à le remplacer. C’est bien de séparation et de réparation qu’il est question ici, dans cette quête d’une odeur complexe, odeur de dodo, mais aussi odeur de dehors. Il est important que tout soit ici senti au travers d’une odeur qui importe plus que l’objet recherché. Le loup gris représente à lui seul la synthèse de deux aspirations, celle du dedans, de la maison, du lit, et celle du dehors, de la nature. Comme l’union entre microcosme et macrocosme, intérieur et extérieur.  Un mot enfin sur Georgette, petite fille si indépendante et décidée qu’on la voit toujours seule, sans ses parents, en toutes circonstances.

Une histoire à laquelle de nombreux enfants s’identifieront – qui n’a jamais perdu son doudou ? qui refuse qu’on le lave pour qu’il ne perde pas son odeur ? et qui fera rêver, sourire, imaginer en nous faisant passer du doudou au loulou…

Les Moufles rouges

Les Moufles rouges
Illustrations de Chioki Okada – texte de Kirin Hayashi
Seuil Jeunesse 2013

Une séparation

Par Michel Driol

Les deux moufles d’une petite fille – Petite Puce – lui tiennent chaud lorsqu’elle fait un bonhomme de neige, et, pendant la nuit, elles sèchent devant le poêle. Mais lorsque Petite Puce perd Moufle Droite, un renard la trouve, et l’accroche à une branche. La tempête la fait tomber, et c’est un lapin qui la ramasse : elle devient couvre-théière, puis bonnet pour les lapereaux. Les cousins mulots sont envieux, et la récupèrent pour en faire un sac de couchage. Volée par une chouette, bien détricotée, elle devient le pull d’un écureuil qui la met à sécher sur un arbre. C’est là que les deux moufles se reconnaissent.

Cette histoire en randonnée est illustrée par Chioki Okada qui entraine le lecteur au cœur d’une lumineuse forêt enneigée, où le blanc bleuté de la neige contraste avec le gris marron des branches, et les taches rouges des moufles ou des baies. Forêt merveilleuse qu’on dirait de légende où vivent des animaux adorables.  Animaux anthropomorphisés, vivant dans une maison confortable comme les Lapins (on se croirait chez Beatrix Potter), un peu plus rustique chez les mulots. Animaux qui se dressent sur leurs pattes arrières comme le renard ou l’écureuil pour attraper la moufle. Des images pleines de vie, dans lesquelles les cadrages mettent en valeur la moufle rouge dans son périple.

Ces images accompagnent un texte dans lequel les deux moufles sont nommées, personnalisées et dotées de pensées et de sentiments. Elles s’unissent, prennent soin des mains de Petite Puce, Moufle Gauche se sent triste d’être séparée de l’autre moufle à laquelle elle pense. En revanche, on suit les tribulations picaresques de Moufle Droite, mais on ne sait rien de ses pensées et sentiments.  De sujet (comme Moufle Gauche), elle est devenue objet dans des phrases où agissent comme sujets les différents animaux. Ces non-dits laissent au lecteur le soin de les remplir, de s’interroger. Victime du sort, subit-elle sans se plaindre ? Ou se sent-elle utile dans une nouvelle vie qui la meurtrit, l’use petit à petit, mais où elle remplit un nouvel office au service des autres ? La fin affirme qu’elles sont aussi heureuses l’une que l’autre… C’est bien la question du bonheur et de l’acceptation du destin que pose cet album avec subtilité et délicatesse.

Un mot tout de même de la fillette, à qui sa maman tricote une nouvelle Moufle Droite, et qui semble avoir oublié la première. Elle n’était qu’un objet, perdu, qu’on a cherché, qu’on n’a pas trouvé…  Ingratitude des enfants tout à leurs activités? A la fin, elle ne voit pas l’ancienne Moufle Droite…

C’est bien d’une double séparation que parle l’album. Au niveau des Moufles, une vraie séparation, mais qui entraine l’acceptation du sort de chacun, et le plaisir de la rencontre éphémère. Au niveau de la fillette, oubli d’un objet vite remplacé. Double niveau de lecture donc dans ce bel album plein de douceur poétique.

Le Chant du séquoia

Le Chant du séquoia
Nathalie et Yves-Marie Clément – illustrations d’Emma Guinot
Editions du Pourquoi pas ?? 2023

Leurs chants sont plus beaux que les hommes

Par Michel Driol

Deux récits se succèdent, autour de deux personnages, de deux lieux. Dans le premier, Parker, un jeune Cherokee californien, trouve auprès de son grand père, en pleine nature, la force de surmonter la blessure que lui a causé son échec cuisant au concours de chant de son école, au cours duquel on l’a insulté, et de se remettre à chanter dans la plus pure tradition indienne. Dans le second, Maria Rosa, reçoit dans sa maison de retraite brésilienne un jeune journaliste qui lui demande de raconter comment, dans les années 70, elle est devenue une célèbre défenseuse des droits des peuples d’Amazonie. L’épilogue réunit ces deux personnages au Rassemblement des Gardiens de la Mère Nature, laissant entendre le discours de Maria Rosa et le chant de Parker.

Deux histoires qui ont en commun d’être des récits initiatiques, deux voyages effectués par un grand père et son petit fils ou sa petite fille. Deux récits dans lesquels l’un transmet à l’autre ce qu’est vraiment le chant pour les Cherokees, une communion-fusion avec la nature tout entière. L’autre, c’est le dernier voyage effectué par une petite fille qui remonte le fleuve avec son grand père. Deux récits qui racontent des moments de bascule, dans lesquels deux enfants découvrent le monde, l’un dans sa poésie et son harmonie profonde, l’autre dans la sauvagerie et la brutalité des hommes.

Ce que ces deux textes racontent et décrivent, c’est bien sûr la façon dont les peuples autochtones d’Amérique du Sud ou du Nord ont été réduits à néant par les Blancs. Le grand-père de Parker a été arrêté pour avoir voulu défendre son village contre la volonté d’une compagnie minière de le détruire pour exploiter de nouveaux filons. Le grand père de Maria Rosa est assassiné sous ses yeux pour simplement demander qu’on ne détruise pas leur tribu afin de faire passer une route servant à desservir une exploitation aurifère. Mais c’est aussi le lien fort que ces peuples entretiennent avec la nature, avec la forêt en particulier, avec le travail et avec le temps. Chez les Palikur, le peuple de Maria Rosa, on ne chasse que ce dont on a besoin, on a le temps de se transmettre les secrets des plantes, de discuter, de chanter… Le grand père de Parker vit dans un mobil-home loin de tout, à proximité du Parc National de Sequoia.

Mais ce sont aussi, et peut-être avant tout, deux récits qui mettent en avant la parole et la poésie face à la barbarie, aux humiliations. C’est dans l’épilogue que ces deux dimensions se rejoignent. On y assiste d’une part au discours de Maria Rosa, plaidoyer pour la mère Nature, pour une sobriété écologique, mais aussi invitation à se réveiller, à ne pas baisser les bras, quel que soit son âge. Puis c’est le chant traditionnel cherokee, un chant de bienvenue, interprété par Parker. Le chant, la poésie, sont une façon d’entrer en communion avec la nature, de se faire arbre, oiseau… On ne peut s’empêcher de penser alors au poème de Nazim Hikmet les Chants des hommes… pour les opposer aux mines des hommes, aux destructions des hommes, à la cupidité des hommes.

Les illustrations d’Emma Guinot jouent sur les couleurs : une dominante verte pour Parker, une dominante orange pour Maria Rosa, et une façon d’unir ces deux couleurs dans l’épilogue.

S’ouvrant par une citation de Cacique Raoni Metuktire, fondateur de l’Alliance des Gardiens de Mère Nature, cet ouvrage est à la fois une belle façon de faire connaitre les valeurs des peuples autochtones d’Amérique et de nous sensibiliser à d’autres valeurs que celle de l’argent et de la consommation ou du show business…

Mon beau sapin

Mon beau sapin
Pauline Kalioujny
Seuil jeunesse 2022

Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras…

Par Michel Driol

Ce beau sapin est un objet livre original à plus d’un titre. Un premier texte nous raconte l’origine celte du sapin de l’arbre décoré fin décembre, au plus froid de l’année. Pus on suit les paroles de la chanson, Mon beau sapin… Au milieu de l’ouvrage, un sapin en relief à déployer, tandis que la chanson s’accompagne d’un récit.  Celui d’une tribu celte à la recherche d’un arbre à décorer de pommes de couleurs et de marrons, un arbre qu’on n’aura pas l’idée de couper. Puis c’est la chanson qui continue. Avant de retrouver le récit. L’arbre a grandi, est devenu majestueux, refuge pour les animaux, et source de sagesse. Et, avant de refermer l’ouvrage, un calendrier de l’avent pour évoquer, dans 24 fenêtres à ouvrir, les animaux et les créatures mythologiques qui peuplent les arbres.

Un mot d’abord des splendides illustrations de l’autrice, des illustrations pleine plage, fouillées, précises, pleines d’une verdure foisonnante pour rendre hommage à ce sapin toujours vert. Mais aussi pleines d’éclats jaunes pour célébrer la lumière dont on attend le retour. Images pleines de sens aussi surement, avec ces feuilles étincelantes jaune-orange au sol, qui contrastent avec le noir profond du ciel. Alternent ainsi les pages vertes et les pages jaunes, le jaune  des enfants et des animaux qui dansent, le jaune des étoiles. Cette symphonie en vert et jaune dit bien, à sa façon, la symbolique de Noël et l’attente d’un renouveau de la nature.

En rattachant la coutume du sapin de Noël à ses origines celtes, à cette façon de célébrer le solstice d’hiver en décorant  un arbre symbole de vie, en l’apparentant avec la tradition chamanique sibérienne d’attacher des tissus colorés à un arbre, Pauline Kalioujny fait pénétrer le lecteur dans une autre façon d’envisager le lien que nous avons avec les arbres et la forêt. Le sapin n’est pas qu’un objet décoratif : il est capable de faire retrouver de paix et d’harmonie (voir en particulier l’image très parlante qui superpose la silhouette d’une posture zen avec celle d’un sapin). C’est ce que dit le calendrier de l’avent qui à la fois donne à découvrir les animaux abrités par le sapin, qui recherchent leurs petits, ou se préparent à jouer des tours, mais aussi les créatures fantastiques (Sirine, la sirène russe, les nymphes de la mythologie gréco-romaine, voire la figure de la sorcière-guérisseuse connaissant le pouvoir des plantes…). C’est bien là une plongée vivifiante dans l’imaginaire humain associé aux arbres, à la forêt, un imaginaire dont la civilisation actuelle nous éloigne de plus en plus et que cet album permet d’approcher de façon sensible.

Un album aux illustrations magnifiques, qui  inscrit Noël dans une histoire des rites humains de célébration du solstice d’hiver et des arbres. On rapprochera cet album de Promenons-nous les bois, de la même autrice, qui évoque la destruction de la forêt au détriment de ceux qui y vivent. Après cela, qui aura envie d’un sapin de Noël coupé chez lui ?

Quenotte, la souris qui voulait savoir lire

Quenotte, la souris qui voulait savoir lire
Catherine Metzmeyer & Kiko
L’élan vert 2022

Du pouvoir des livres…

Quand elle trouve un livre dans la forêt, Quenotte prend d’abord plaisir à en regarder les images. Puis, comme elle aimerait tant savoir ce qui disent les mots, sur les conseils du coucou, elle va demander au hibou de lui apprendre à lire. Et chaque soir, avec assiduité, qu’il pleuve ou qu’il neige, Quenotte se rend chez le hibou en compagnie du coucou. Jusqu’à cette nuit de printemps où les deux amis trouvent sur leur chemin le renard. Le coucou chante pour alerter tous les animaux qui se regroupent pour découvrir un renard sous le charme de la lecture de la souris…

Voilà une petite souris bien sympathique, avec son désir d’apprendre à lire, sa persévérance, et sa bonne bouille, museau allongé,  sourire aux lèvres, dans une attitude de curiosité éveillée. Gageons que de nombreux enfants de 6 ans s’identifieront à elle ! Alors qu’elle a une vie ordinaire, qu’elle sait déjà beaucoup de choses (courir, nager, reconnaitre les bonnes graines), la voilà désireuse d’acquérir de nouveaux savoirs. Savoir lire demande un accompagnement, et c’est le coucou qui sera le compagnon qui se rend chez le hibou tous les soirs, même si lui ne cherche pas à apprendre – un peu à l’image des parents ? Savoir lire demande de la ténacité, de la persévérance. Quenotte en fait preuve, en affrontant les intempéries pour se rendre aux leçons du hibou, forcément la nuit. Kiko nous montre un hibou gigantesque et bienveillant, face à une souris minuscule, et compose des tableaux nocturnes de toute beauté, sombres à souhait, dans une atmosphère bleutée propice à l’imaginaire. Il montre Quenotte affrontant la neige, la pluie, toujours se dirigeant vers la droite de la double page, vers l’avenir, vers la connaissance, jusqu’au moment où, en ayant suffisamment appris, elle se retrouve opposée au renard, et c’est vers la gauche qu’elle l’affronte, en sachant désormais assez pour lui faire face, ayant confiance dans le pouvoir des mots. Il y a un peu de Shéhérazade dans Quenotte : c’est la nuit que tout se passe, certes si l’une conte, l’autre lit, mais toutes les deux, par leurs mots, font jaillir des dragons et ont le pouvoir d’endormir les méchants.

Un album doux et tendre qui parle du désir de savoir lire, de la difficulté de cet apprentissage, mais aussi de la magie des livres qui font briller les yeux de tous. Bel hommage au pouvoir de la littérature !

On joue à cache-cache ?

On joue à cache-cache ?
Léa Viana Ferreira
CotCotCot Editions 2022

Jeu d’extérieur, mode d’emploi

Dans un jardin florissant, près d’une forêt profonde, trois enfants jouent à cache-cache…

Les illustrations, en double page, montrent des paysages denses, aux couleurs éclatantes, presque saturées. On devine un jardin et une forêt animés dans lesquels se cachent non seulement les enfants, mais des animaux que l’on observe, que l’on découvre au fil des pages : oiseaux, insectes, lapin, renard. Ajoutons à cela la richesse et la luxuriance de la végétation ; baies, fleurs, feuillages, champignons…

Ces illustrations s’accompagnent d’un texte minimaliste, une série de verbes à l’infinitif en bas à gauche qui énumèrent les différentes actions liées au jeu, et qui n’est pas sans évoquer le célèbre Déménager, de Georges Perec (dans Espèces d’espaces).  A cela s’ajoutent, sur les premières et dernière page, les voix des enfants, voix qui se taisent ensuite comme pour laisser place aux bruits – ou au silence – de la nature.

L’album évoque d’abord le plaisir du jeu à plusieurs, dans lequel on assume des rôles, celui du loup bien identifié, les autres signalés par les masques et chapeaux animaliers, les relations qui se tissent : je me cache, je te cherche, je te donne un indice… Mais l’album dit aussi qu’à ce jeu, on ne trouve pas seulement les autres enfants, qui se sont affranchis rapidement des règles du jeu (forêt et maison interdites,  pourtant !), mais aussi toute la vie cachée de de la nature dans un terrain, le jardin, la forêt, qu’on croit connaitre, mais qu’on ne prend pas forcément le temps de regarder et d’explorer. Il évoque donc l’exploration et la découverte de la nature dont le jeu n’est que le prétexte. A ce jeu-là, le temps passe vite, et la dernière page invite à profiter des derniers rayons du soleil.

Un album aux couleurs vives, aux illustrations foisonnant de détail, pour évoquer le plaisir d’un jeu enfantin et la découverte de la nature et de sa diversité

Nino

Nino
Anne Brouillard
Edition des Eléphants 2021

Perdu au cœur de la forêt

Par Michel Driol

Personne n’a vu tomber Nino, le doudou de Simon, en pleine forêt, durant la promenade. Sauf Lapin, qui prend soin de Nino, et l’invite à prendre le thé. Puis c’est Ecureuil, puis les mésanges noires qui l’emmènent au sommet des arbres, d’où il peut voir son village. Et lorsque la nuit est venue, c’est Renard qui prend soin de lui, le présente à tous les animaux nocturnes, avant de le raccompagner chez Lapin, juste avant le passage de Simon et de ses parents, ravis de le retrouver et tout étonnés qu’il ne soit même pas mouillé…

Dans des images nimbées d’une douce lumière, tantôt froide et bleutée, tantôt chaude et orange, en une saison qu’on devine être à la limite entre l’automne et l’hiver, Anne Brouillard propose un récit qui flirte avec le merveilleux : des animaux aux coutumes très humanisées qui vivent dans de confortables maisons miniatures, pour tisser avec douceur et tendresse des thèmes et des valeurs qui lui sont chers. Le sens de l’accueil, de la solidarité et du soin qu’on accorde aux autres, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent. Souvent sans texte, les images permettent à chaque lecteur de parcourir toute la forêt, depuis les sous-sols du terrier de Lapin jusqu’au plus haut de la canopée. Elles inscrivent le récit dans une forêt pleine de mystères, sauvage et presque infinie. La taille des illustrations varie entre la double page à l’italienne, offrant de larges et magnifiques panoramas sur la forêt ou sur le village, et des vignettes mettant l’accent sur un intérieur de maison, ou constituant de petits scripts d’action à la façon de la bande dessinée, montrant la solitude et le désarroi du doudou perdu dans la nuit de la forêt. Ce qui renvoie à deux angoisses enfantines que l’album aborde : la peur de perdre son doudou, et la peur de la nuit et de ses mystères. Le récit dédramatise ces deux frayeurs enfantines, en faisant la part belle à l’imaginaire. Le doudou est fort bien accueilli par tous les animaux de la forêt qui vivent en bonne entente, et il trouve un passeur pour lui permettre de traverser la nuit, le renard qui le promène sur son dos avec une infinie tendresse. Au fond, c’est un double récit initiatique que propose cet album. D’abord celui d’une perte et d’une retrouvaille, rassurante pour Simon, qu’on découvre, à la fin de l’album, en compagnie de Nino, dans un surprenant face à face avec les animaux de la forêt, de part et d’autre de la vitre protectrice de la maison familiale. Mais c’est surtout le récit de l’initiation de Nino, dans la forêt d’une vie à laquelle rien ne l’a préparé, mais dans laquelle il trouve des appuis bienveillants, des aides inattendues pour l’aider à surmonter l’épreuve et à en sortir grandi. Reste enfin à dire comment la poésie du texte et des illustrations sait aussi se conjuguer avec des moments pleins d’humour, comme cette conversation sur les désirs des enfants tenue dans le terrier de Lapin… Lewis Carroll n’est certainement pas loin !

Un livre qui donne vie à un drôle de doudou, corps d’enfant et tête d’animal, aux sentiments et aux émotions si humaines, un album qui fait la part belle à l’imaginaire, un album pour nous rappeler enfin à quel point nous devons vivre en bonne entente avec  la nature.

Le Livre perdu

Le Livre perdu
Nathalie Wyss & Bernard Utz – illustré par Laurence Clément
Helvetiq 2021

De Charybde en Scylla ?

Par Michel Driol

Perdu dans la forêt, le livre rencontre un groupe d’enfants, ses lecteurs, tout aussi perdus que lui. Il leur propose de retrouver le chemin pour sortir du bois où les guettent nombre de dangers. Le froid, les loups, le labyrinthe des arbres, les bruits, les chauves-souris, la brume, les crapauds, les limaces… et enfin la sorcière. On ne révélera pas ici la chute, à la fois surprenante et attendue…

Les illustrations, conçues selon le principe d’une caméra subjective, nous donnent à voir le point de vue des enfants, des lecteurs, qui découvrent la forêt. Jamais on ne voit le livre-guide, mais partout on entend sa voix, ses conseils, façon d’immerger le lecteur dans l’univers forestier. Mais on passe petit à petit d’un univers familier à un univers de plus en plus inquiétant, celui des contes, dans lequel les perspectives changent : chauves-souris et champignons occupent une grande partie des pages, un bonnet oublié au sol semble indiquer une disparition récente, les couleurs s’assombrissent… Cette plongée dans l’univers fantastique et merveilleux s’accompagne d’une bonne dose d’humour. D’abord dans la situation, qui met en texte un livre qui parle, qui s’est perdu et qui veut collaborer avec ses lecteurs pour les guider, les amener à sortir de la forêt obscure pour retrouver leur chemin. Ensuite dans la façon de faire participer les lecteurs par des activités corporelles pour se réchauffer. Enfin dans les dangers rencontrés, qui n’ont rien d’insurmontables et relèvent plutôt des stéréotypes des contes se déroulant dans la forêt.

La chute conduit à s’interroger sur le rôle exact joué par ce drôle de livre auquel on a fait confiance avec trop d’aveuglement. Le danger devient réel, car le livre conduit au pire. Pour de rire, heureusement ! Ne faisons pas dire à cet ouvrage plus qu’en dit, ne lui cherchons pas un contenu philosophique sur les livres qu’il serait dangereux de suivre ou d’écouter : c’est avant tout une belle proposition formelle, drôle, pour amuser le lecteur, mais aussi le mystifier pour sa plus grande jubilation !

Un livre pour faire bouger, rire et trembler les enfants, annonce, avec justesse, la quatrième de couverture.