La Chasse

La Chasse
Maureen Desmailles
Thierry Magnier  – Collection l’ardeur – 2023

Une éducation sentimentale

Par Michel Driol

Max a 17 ans. Garçon ? Fille ? La prouesse de ce roman est de ne jamais montrer son genre, on le nommera donc toujours Max dans cette chronique, jamais il ou elle. Invisible, discret, Max tombe amoureux d’Andrea, que Pierre convoite. Suite à des « embrouilles », Max ne peut partir en vacances avec sa bande habituelle d’ami.e.s, et doit rester seul à la maison, en Picardie, tandis que ses parents passent 15 jours à Paris avec son frère ainé à la recherche d’un studio pour ce dernier. C’est là que Max fait la connaissance d’Ellie et Cosme, la fille de ses voisins et son copain, couple ouvert, lumineux, solaire. Et max tombe amoureux et d’Ellie, et de Cosme, et entretient une relation avec chacun des deux.

Ce roman, dont la narration est prise en charge par Max, aborde de façon très contemporaine la question du désir, de l’amour, de la sexualité, du couple. Qu’on me permette ici d’en citer un passage central, qui en reflète bien la problématique : On ne pense jamais rencontrer un truc pareil. Personne n’est prêt quand ça arrive, surtout pas là d’où je viens, où le désir ne compte pas, c’est autre chose qui guide, un carcan, une série de conventions. Les gens vont par paire, homme/femme, ils se rencontrent au lycée, en boite, au boulot, ils se marient, les femmes accouchent et voilà. Tous ceux qui échappent à cette règle sont suspects. (page150). Ce que désire confusément Max, c’est échapper au couple prison, dans lequel l’un possède l’autre. Avec Ellie et Cosme, Max découvre un autre type de relations, fondé sur la liberté, fondé aussi sur la confiance et la parole. Comment acquérir ces codes amoureux différents de ceux que l’on connait ?

Le roman vaut par la peinture des milieux sociaux, cette ruralité picarde où la chasse et le tir à l’arc ont toute leur importance. Max chasse avec son père, participe aux banquets de chasseurs, marqués par une lourde et vulgaire grivoiserie. Son père, bien que prof de maths, n’est guère ouvert, en particulier lorsqu’il juge son fils ainé qui annonce qu’il est homosexuel, ou surveille les fréquentations féminines de Max. Ellie, Cosme et leurs ami.e.s semblent sortir d’un autre monde, un monde de liberté, de plaisirs, de désirs, de drogue aussi. Car l’autrice ne cache rien des excès de cette jeunesse. Un soir, Max boit trop. Elle ne cache rien non plus de l’importance des réseaux sociaux, de la communication par messagerie. En ce sens, c’est bien aussi un portrait de la jeunesse contemporaine, qui cherche peut-être à inventer à son tour l’amour loin des conventions des générations précédentes. Max, Ellie et Cosme dessinent la figure d’un triangle amoureux bien loin du classique trio bourgeois du théâtre de boulevard. Tout en cherchant leur bonheur et celui de l’autre, ils iront jusqu’à des ruptures, des déchirures qui feront grandir Max.

Certaines scènes explicites, dit la 4ème de couv’, peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes. Ou pas. Mais qu’est-ce que cela fait au lecteur, à la lectrice, quand on ignore le genre du personnage principal, et qu’on lit des scènes qui relatent des rapports sexuels ? Il y a là aussi matière à trouble, à frustration peut-être, à ouverture et à questionnement sans doute. C’est une manière de conduire le lecteur à s’interroger  sur les identités de genre, sur les liens entre la sexualité masculine et la sexualité féminine, sur le désir.  Au-delà du tour de force lié au respect d’une consigne d’écriture perécienne, la contrainte liée au genre de Max (Maxime ? Maxine ?) constitue sans doute une première dans l’histoire littéraire. Combien de lecteurs verront dans Max un garçon ? une fille ?

Un roman qui nous sort de notre confort habituel de lecture, nous montre une entrée  dans l’âge adulte, dans une sexualité sans tabous, à la fois épanouissante et source de souffrance, bien loin des codes du porno, dans une sexualité qui vise à redéfinir les relations entre les femmes et les hommes pour les transformer. On est bien sérieux, quand on a 17 ans…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *