Barbe Belle et autres contes pour toutes et tous
Hélène Combis – Adley
Hélium 2024
Sept contes inclusifs pour notre temps
Par Michel Driol
Ce n’est pas la première fois qu’on adapte les contes connus de tous aux problématiques contemporaines. On se souvient du travail de Michel Tournier, avec Pierrot ou les Secrets de la nuit, ou encore la Mère Noël ou la Fugue du Petit Poucet, façon de faire entrer les préoccupations actuelles dans des contes connus de tous, d’en briser les stéréotypes. C’est la réécriture proposée ici par Hélène Combis. On reconnaitra aisément les contes sources, mais lis sont détournés pour aborder des problématiques féministes et inclusives. Ainsi dans la Princesse au gros potiron se pose la question de la féminité. Ce sont les questions de la masculinité et du changement de genre qui sont abordées dans le Petit Triton. Le Petit Chaperon mauve est un garçon qui, à l’aide du loup et de sa grand-mère, échappe à un homme, prédateur sexuel. Ti Grillon, malgré son handicap – elle n’a qu’une jambe – parvient à se faire reconnaitre par le champion borgne Hermès Fringant. Dans Matilda – réécriture de Blanche Neige – le savoir et les connaissances prennent la place de la beauté comme valeur suprême. Barbe Belle cache précieusement comme un secret le portrait des hommes qu’il a aimés. Quant à la Belle au consentement (au bois dormant), elle se libère seule d’un sort qui a conduit ses parents à l’emprisonner, et elle refuse le baiser non consenti du prince pour vivre avec celui qu’elle aime.
On est bien loin des stéréotypes des contes de fée traditionnels, qui véhiculent une certaine image de la femme : belle, douce, naïve, rêvant d’être mariée au prince charmant pour avoir beaucoup d’enfants, gages de bonheur et de prospérité. Les femmes ici ne regardent pas leur destin se décider sans elles, et les garçons n’y sont pas condamnés à être des héros qui sauvent des princesses. Les filles sont ici aventurières, instruites, malignes, déterminées. Pour autant, elles peuvent être victimes de parents trop protecteurs ou d’une famille toxique, mais elles parviennent à s’en sortir, parfois toutes seules, parfois avec un brin de magie (les fées rôdent encore entre les pages !). Quant aux garçons, ils tentent d’incarner de nouvelles formes de masculinité, plus ouverte, faisant la cuisine, par exemple. Ils peuvent être aussi victimes de prédateurs, et cherchent leur identité tout autant que les filles, pour échapper, comme elles, aux emprises familiales qui veulent les enfermer dans des rôles prédéfinis.
Tout ceci fonctionne grâce à un procédé d’écriture qui est l’inversion. Ainsi un personnage féminin dans le conte source devient un personnage masculin, et inversement. Ainsi les nains deviennent des géants, non plus travailleurs manuels, mais intellectuels. Ainsi la faible grand-mère du petit chaperon rouge devient ancienne championne de jujitsu. Ainsi encore les douze coups de minuit deviennent les douze coups de midi… On pourrait en multiplier les exemples, d’autant que cette figure s’accompagne de beaucoup d’humour et de cocasserie. Voyez, par exemple, comment le petit pois devient, petit à petit, un gros potiron qui ne dérange pas le sommeil de la princesse, habituée à dormir à la dure ! Ainsi encore quelques petites piques parlent de notre monde. Retenons la comparaison « borné comme un ministre des finances », que les parents plus que les enfants apprécieront ! On n’est donc pas dans le texte militant, ne présentant qu’un niveau de lecture pour imposer une vision du monde, mais, au contraire, dans des récits qui savent continuer à ménager plusieurs niveaux de lecture, de compréhension, le symbolisme des contes étant toujours préservé pour laisser la part belle à l’imaginaire autant qu’à la réflexion. Ce symbolisme, ces images, permettent aussi d’aborder, sans choquer les lectrices et lecteurs, des thèmes que certains conservateurs d’aujourd’hui refusent de voir abordés dans l’éducation des enfants.
Adley illustre avec beaucoup de grâce ces histoires, en reprenant avec intelligence un style proche des enluminures médiévales, belle façon de montrer aussi graphiquement le palimpseste que représentent ces contes. Chaque récit est illustré avec des couleurs différentes, en bichromie, donnant ainsi plus d’unité à chaque histoire. Frises, encadrés, jouent aussi sur ce côté féérique et hors du temps.
Loin d’enfermer chacun dans son destin, ces textes proposent une réécriture des contes qui libère, qui aborde gaiement des thèmes très contemporains, féministes, inclusifs, et qui incite à plus d’humanité et de tolérance envers les autres.