Dulcinée

Dulcinée
Ole Könnecke
L’école des loisirs, 2021

 Promenons-nous dans les bois…

Par Anne-Marie Mercier

Dulcinée (rien à voir avec don Quichotte) est une petite fille qui vit seule avec son père, près d’une forêt. Comme bien des contes, cela commence par une interdiction : ne pas aller dans la forêt car, dit-on, celle-ci est hantée par une sorcière. Mais cela dérape vite car Ole Könnecke ne se contente pas des vieilles recettes : c’est le père qui enfreint l’interdit ; il est transformé en arbre par la sorcière et la fillette doit le sauver avant qu’un bucheron ne fasse une terrible erreur… Elle y court, accompagnée par son canard…
Dessins simples et charmants, humour léger à toutes les pages, c’est un petit régal, avec tous les ingrédients du conte mais un peu bousculés : une sorcière qui transforme les gens à son gré (la fillette est menacée de devenir une flûte à bec), différents monstres, un grimoire magique, et au bout du conte une flopée de myrtilles.

 

L’Amour, c’est quoi ?

L’Amour, c’est quoi ?
Mac Barnett, Carson Ellis (ill.)
Traduit (anglais/USA) par Aimée Lombard
Hélium, 2022

L’autre grande question

Par Anne-Marie Mercier

Dans La Grande Question de Wolf Erlbruch, publié par les éditions Être (prix Sorcières 2005) puis repris en 2012 chez Thierry Magnier, la question n’était pas explicitée, mais on voyait de nombreux personnages répondre à un enfant, chacun avec son point de vue. Ici, c’est à une autre question existentielle qu’on répond de différentes façons, question explicitée dans le titre et répétée par le questionneur que l’on suivra dans ses pérégrinations.
Chaque rencontre est présentée de la même façon : une première double page montre l’échange, la question, le sourire de l’interlocuteur (un pêcheur, un comédien, un chat,, une charpentière, d’autres, puis finalement un poète), sa réponse en un mot (« L’amour c’est comme un poisson », « l’amour c’est comme la nuit », « l’amour c’est comme une maison »…), réponse reprise sur le mode interrogatif par le jeune homme, la double page suivante développant cette réponse sous un mode philosophico poétique, existentiel, mystérieux… provoquant l’incompréhension du jeune homme.
Chacun voit la question avec son expérience et utilise des métaphores issues de son univers, donne une image changeante de l’amour : partagé ou non, stable ou non, rare ou facile… Le texte de Mac Barnet (médaille Caldecottt en 2015) est tantôt drôle, tantôt poétique, et questionne tout en répondant… c’est une randonnée à tous les sens du terme.
Les belles aquarelles de la canadienne Carson Ellis (médaille Caldecott pour Koi que bzzz ?, 2016 publié en France chez Helium également), tantôt à fond perdu, tantôt détachées sur fond blanc donnent à cette méditation une allure de conte. On ne dira pas la fin, très belle également, montrant que la philosophie est autant une affaire d’expérience que de mots : elle est un chemin – comme l’amour?

La Princesse Ortie

La Princesse Ortie
Frédéric Maupomé et Marianne Barcilon
Kaléidoscope, 2021

 

La Princesse pas coquette

Par Anne-Marie Mercier

À première vue on pourrait croire que cet album appartient à la célèbre série de la Princesse coquette de Christine Naumann-Villemin et Marianne Barcilon, publié également chez Kaléidoscope, avec la même illustratrice, dans le même format et avec une couverture visuellement  proche, présentant un personnage de petite fille vêtu d’une robe, en pied, seule (voir ma chronique précédente, consacrée au nouveau volume de la série).
Mais  non : la princesse Ortie est une peste capable de proférer des grossièretés (heureusement elles ne sont pas précisées) alors qu’Éliette est juste une petite fille dotée d’un fort caractère ; Ortie est une vraie princesse et nous emmène dans un univers merveilleux (carrosse, trolls, château et dragon) alors qu »Éliette reste dans un décor réaliste enchanté par sa seule imagination. Autre différence : le point de vue légèrement féministe adopté par Christine Naumann-Villemin dans La Princesse coquette, ou politiquement conscient que l’on retrouve dans La Princesse réclame est ici ambigu. Il y est dit qu’une princesse doit se marier, qu’elle doit aller au bal pour danser avec les princes, etc. (ce sont les propos des parents qui désespèrent de trouver quelqu’un qui veuille bien de leur fille). Certes, ces stéréotypes sont battus en brèche par le personnage, certes, c’est elle qui sauve le prince enlevé par un dragon, il n’empêche que la doxa reste bien présente, tout en étant confrontée à des contre-stéréotypes forts dont on sait qu’ils sont rejetés par les plus jeunes. Ces deux albums ne s’adressent donc pas à la même tranche d’âge.

Pour apprécier pleinement La Princesse Ortie, qui a bien des qualités au demeurant, il faut connaitre l’univers des contes pour comprendre au moins une partie des multiples allusions (manger des pommes, filer la laine, embrasser une grenouille, etc.) qui renvoient à des contes bien connus. Cela permet aussi de rire de l’inversion de la situation (la princesse sauve le prince) et de prendre des distances avec les affirmations sur la nécessité de se marier. Ces bases étant posées, on ne peut que se réjouir des dessins extrêmement drôles de Marianne Barcilon et de l’humour des situations développées par Frédéric Maupomé.

Ce que disent les rêves

Ce que disent les rêves
Contes choisis et racontés par Muriel Bloch – Illustrations de Fanny Michaëlis
Gallimard Jeunesse 2022

Rêves contés…

Par Michel Driol

Voici une anthologie originale qui réunit 24 contes de tous les pays autour d’une thématique particulière, celle du rêve. Le recueil fait ainsi voyager d’Amazonie au Japon, de la Chine au Grand Nord. Il fait se croiser la tradition juive et la philosophie zen. Avec une constante : celle de parler du rêve, qu’il s’agisse du rêve d’un personnage, ou de la création rêvée du monde. Ces contes sont précédés d’une préface de l’autrice qui, sans théoriser, évoque les liens étroits entre les rêves et les contes.

La plupart de ces contes sont réécrits par Muriel Bloch, dans une langue à la fois écrite et proche de l’oralité, façon de conserver ce qui est la marque du conte : exister dans l’espace entre le conteur et le public. Si le propre du conte est de transmettre un enseignement – qu’il soit philosophique, existentiel, physique ou moral – , il en est de même du rêve. Tous deux ont en partage de dire une vérité, d’annoncer un futur meilleur ou de révéler un mystère caché, tous deux ont aussi en partage d’être imagés. Le conte comme le rêve ont besoin d’être interprétés pour être compris. Tout comme la poésie, ils disent le monde de façon oblique. Ce riche recueil a le mérite d’attirer l’attention sur ces choses que tous les hommes ont en commun, les contes et les rêves, et sur l’importance du rêve dans les contes traditionnels, qui l’évoquent au-delà des différences culturelles, des époques, de milieux sociaux. On découvrira ainsi des mythologies, des histoires de création du monde liées au rêve, mais aussi des rêves achetés, vendus, des mises en scènes de rêveurs, et toute une galerie de personnages, toute une comédie humaine où le pire côtoie le meilleur.

Une anthologie très éclectique accompagnée superbement par les dessins de Fanny Michaëlis, pour se demander, avec le dernier conte, si la vie n’est qu’un rêve…

La Boutique de Ya foufou

La Boutique de Ya foufou
Patrick Serge Boutsindi – Illustrations Sue Levy
L’Harmattan 2022

Grandeur et décadence du petit commerce de proximité

Par Michel Driol

Voici le 7ème opus des aventures de Ya foufou, le héros récurrent de Patrick Serge Boutsindi, un gros rat prédateur, une sorte de putois. Il s’est mis dans la tête d’ouvrir une boutique dans son village de Bikeri, au Congo. Dans un premier temps, il rencontre tous ses amis, qui sont des animaux vivant en Afrique, pour les informer de sa décision, et annoncer ce qu’on trouvera dans sa boutique. De rencontre en rencontre, la liste s’allonge… Le chef du village donne son accord. La boutique ouvre, et Ya foufou accepte aussi les commandes. Mais a-t-il vraiment vendu de la vraie vodka, et les layettes commandées en France viennent-elles vraiment de la Redoute ? A la suite de cela, la boutique fait faillite.

L’univers africain de Ya foufou tient du conte et de la fable. Les personnages sont en effet le Chimpanzé, l’Hippopotame, le Lion, et bien sûr le Lièvre, protagoniste traditionnellement  rusé et malin. Ils sont à la fois des animaux et des hommes : ils stockent de l’herbe à manger, mais boivent de la vodka, de la limonade et de la bière et mangent spaghettis, riz et confiture… La première partie se présente comme un conte en randonnée traité sous forme vivante de dialogue, avec la rencontre de chaque personnage qui accueille avec plaisir le projet de Ya foufou. On lui donne des conseils avec bienveillance (ne pas faire crédit, avoir des fétiches pour protéger sa caisse), et on assure de devenir client. On retrouve là toute l’oralité du conte. Et les affaires marchent bien sans que le héros ne prenne la grosse tête ou change de comportement. Quand le lièvre l’accuse d’avoir vendu de la fausse vodka, et de la layette fabriquée au Congo, a-t-il tort ou raison ? Le livre semble dire qu’il y a des preuves de la tromperie. Mais la Redoute peut bien vendre des vêtements fabriqués à bas cout dans les pays d’Afrique.  La chute est conforme à celle des autres aventures de Ya foufou, qui montrent l’échec du personnage, sans doute moins honnête qu’il n’y parait…

Un conte africain plaisant et plein de vie invitant à réfléchir sur la question de la confiance dans les affaires, illustré par de magnifiques portraits d’animaux hauts en couleurs, en pleine page.

Aponi et le peuple minuscule

Aponi et le peuple minuscule
Bernard Villiot – Illustrations de Mariona Cabassa
L’élan vert 2022

La petite fille dans la forêt amazonienne

Par Michel Driol

Chez les Wayanas, peuple installé sur les rives du fleuve Maroni, les enfants vivent libres jusqu’à un rite de passage, qui consiste à supporter la morsure de fourmis. Une fillette, Aponi, vit en contact avec les insectes qu’elle protège. Lorsqu’un groupe de chercheurs d’or vient s’installer, détourner la rivière, elle tente de sauver le plus d’insectes possibles, et, malgré elle, inonde les cultures du village. Lors de la cérémonie de son initiation, les fourmis la reconnaissent et l’épargnent, puis, avec l’aide des insectes, elle chasse les chercheurs d’or.

Dans la collection Pont des Arts, voici le premier volume consacré à un objet rituel d’Amazonie, sur lequel on trouvera, à la fin de l’album, une riche partie documentaire qui permet de mieux comprendre les peuples Wayana et Apalaï dont il est question dans l’histoire d’Aponi. Sans chercher à imiter la nature fidèlement, ou à s’inscrire dans une vision ethnographique, les illustrations, pleines de vie et de couleur, donnent à voir une espèce de paradis où hommes, plantes et animaux vivent en harmonie au sein d’une nature luxuriante. Quelque part, on retrouve une vision rousseauiste, celle du bon sauvage menacé par la « civilisation » qui détruit tout, incarnée ici par les dix prospecteurs armés de leurs fusils. Il n’est, bien sûr, pas indifférent que le héros soit une héroïne, et que ce soit avec l’aide de la nature, des insectes, qu’elle réussisse à chasser les intrus. Par là, le récit devient quelque peu conte merveilleux, tout en permettant au lecteur occidental de mieux pénétrer dans les coutumes des peuples d’Amazonie qu’il contribue à faire connaitre. C’est aussi la question des rites de passage que pose cet album. Rite en apparence sévère et cruel ici, puisqu’il s’agit de résister aux morsures de fourmis (pas si cruel en fait, dit le documentaire), rite qui accompagne le fait universel de grandir, de quitter l’enfance et de mériter de prendre place dans la communauté des adultes. Nul doute que cet album invitera les jeunes lecteurs à s’interroger sur nos rites de passage et sur ce que signifie devenir grand, en Europe, aujourd’hui…

Un bel album pour mieux comprendre les peuples amazoniens, certaines de leurs formes d’art et de leurs coutumes

L’Ogre de la librairie

L’Ogre de la librairie
Céline Sorin, Célia Chauffrey
L’école des loisirs (Pastel), 2022

Fais-moi peur !

Par Anne-Marie Mercier

Faut-il proposer aux enfants des livres qui leur font peur, des personnages comme les ogres, par exemple, terrifiants ?

Cet album propose une réponse en forme de fable : une petite fille accompagnée de sa mère entre dans une librairie, et la libraire lui propose son aide. Après un débat sur le personnage qu’elle veut rencontrer, elle la laisse entrer dans un petit espace de la librairie avec des fauteuils. Sur l’un d’eux, un ogre est en train de prendre le thé. Il a de très bonnes manières et commence à raconter une histoire d’ogre à la fillette, jusqu’au moment où chacun doit rentrer chez lui : façon de dire que, une fois le livre terminé, on peut en sortir en y laissant toutes les émotions, la frayeur comprise.
Entretemps, la fillette aura eu droit à une belle histoire d’ogre dévoreur, où le personnage de la fiction est bien différent de l’être bonasse et timide qui se trouve sur le fauteuil de la librairie.
Avec toutes ces fictions enchâssées, voilà un joli portrait du livre, un « ami prêt à se plier en quatre pour la faire rêver et apprivoiser ses peurs ». Dessins à la belle étrangeté, triples pages, pages à rabats, tout est mis en œuvre pour captiver et charmer à la fois.

 

Hulul

Hulul
Arnold Lobel
Traduit (anglais, USA) par Geneviève Brisac
L’école des loisirs (Mouche), 2020

On révise les classiques (4)

Par Anne-Marie Mercier

Traduit et publié en 1976, un an après sa première édition en langue anglaise (Owl at home), ce petit recueil d’histoires de Lobel, fait partie, avec Oncle Éléphant du même auteur, des grands classiques pour la jeunesse : les quelques nouvelles qui présentent le hibou Hulul sont toutes de petits bijoux d’absurde léger, de tendresse, de nostalgie (« Le thé aux larmes »).
Les images montrent un Hulul tout en rondeurs, constamment en pyjama et robe de chambre à rayures (normal, c’est un hibou), tantôt alangui dans son fauteuil, près du feu, tantôt se ruant en haut et en bas des escaliers de sa petite maison. L’atmosphère nocturne (normal, c’est un hibou) constante est à son plus haut dans la dernière nouvelle, dans laquelle Hulul met enfin un costume et un chapeau melon pour se promener dans une campagne qui ressemble à un jardin japonais, pour trouver enfin une amie… on vous laisse découvrir qui.

 

Un Monde de cochons (la totale)

Un Monde de cochons (la totale)
Mario Ramos
L’école des loisirs (Pastel), 2021

On révise les classiques (1)

Par Anne-Marie Mercier

Ce recueil posthume de Mario Ramos réunit l’histoire-titre (publiée en 2005), qui montre l’entrée d’un petit loup dans une école peuplée uniquement de cochons (maitres comme élèves), L’École est en feu et Le Trésor de Louis dans lesquels on retrouve le duo constitué de Louis (le petit loup) et Fanfan (son ami, un petit cochon), qui s’est constitué dans la première histoire.
Le monde de cochons, c’est celui de l’école avec tout ce qui l’entoure (les trajets où on peut faire de mauvaises rencontres, comme celle des trois grands cochons pour Louis), le refus d’école et ce qui peut l’adoucir, les récrés et la solitude, parfois partagée… et le dessin volontairement un peu cochonné et drôle.
Le volume s’achève avec les croquis préparatoires pour un autre récit, qui aurait pu être intitulé « La pirate ». Cette dernière partie est tout à fait passionnante et montre comment Mario Ramos travaillait, elle illustre son style rapide et les hésitations qui le nourrissent.

C’est un régal, comme d’habitude avec les histoires de Ramos, pleines de clins d’œil, d’humour et de justesse.

Rouli Rouli Roulette

Rouli Rouli Roulette
Cécile Bergame, Magali Attiogbé
Didier jeunesse, 2021

La victoire du petit pois

Par Anne-Marie Mercier

La fameuse galette de Roule Galette s’est ici transformée en petit pois et cette forme et cette couleur permettent de belles variations : pourchassé par la souris, puis le chat, le lapin, le cochon, etc., jusqu’au loup, le « petit pois sauvage » qui a échappé aux mains de Fillette a traversé la maison, puis la ferme pour arriver dans la forêt, revenir par le chemin… et se glisser dans un trou, où il germera et où Fillette le trouvera.

Le texte est idéal pour la lecture à voix haute, enchainant les lieux et les actions de façon dynamique. Les images sont vivement colorées, jouant sur les couleurs complémentaires, elles sont simples, tout en combinant différentes techniques dont certaines imitent les bois gravés.
C’est un album carré (forcément !) qui reprend joliment un grand classique. Et en plus l’histoire ici finit bien !