Xox et Oxo

Xox et Oxo
Gilles Bachelet
Seuil jeunesse, 2018

 

Deux habitants de la planète Ö s’ennuient : il ne se passe rien, il n’y a pas de saisons, pas d’école et pas de vacances, as de jour, pas de nuit… Il n’y a que des glimouilles qui fournissent la seule nourriture et la seule matière première à la planète.
Ils ont une télévision qui montre toujours la même chose (des glimouilles et des non événements), sauf lorsqu’elle est branchée sur les ondes de la terre : arrivent alors des iamges d’objets étranges( on reconnaitra un éléphant, cher à bachelet, une publicité de soupe Campbell, chère à Andy Warhol, une tour Eifel, un monsieur Spock, etc.)
Les deux amis vivent dans un univers à la fois proche et lointain du nôtre, entre le kitch des intérieurs proches de ceux que photographie Martin Parr ou que dessine Anthony Browne) et le modernisme d’une série de SF des années soixante comme Star Treck. Xox et Oxo vivent ensemble comme un couple mais on ne sait s’ils sont de sexe différent tant ils sont semblables. Le comique vient de la rencontre de ces deux esthétiques et surtout de la grande activité à laquelle ils s’adonnent : la création d’objets à l’iamge de ce qu’ils ont vu plus ou moins déformé, via les ondes terrestres.
C’est un moyen d’interroger la notion d’art (on retrouve de nombreuses œuvres connues dans leurs ateliers), de l’utilité ou inutilité des œuvres et aussi de réfléchir sur les gouts de chacun.
Gilles bachelet nous tend un miroir, commr il l’avait fait à travers les amours de ses gants de toilette, et toute la civilisation passée à la moulinette à glimouilles est terriblement drôle et intrigante.

Train de nuit

Train de nuit
Rodolphe et louis Alloing
abc Melody, 2018

Par Anne-Marie Mercier

Album d’hiver, de féérie (une petite fille descendue du train de nuit rencontre des lutins dans la forêt), de paysages grandioses, alternant doubles pages spectaculaires et petites vignettes de BD, cet album raconte fort bien une belle histoire qui incite à croire au monde des fées.
Il reste malgré tout assez classique, reprenant le titre d’un superbe album de John Burningham (épuisé en ce moment)  et faisant beaucoup penser au très beau Boréal Express, album mettant en scène le Père Noël lui-même : même atmosphère nocturne, mêmes aperçus grandioses, et même « chute » : l’enfant qui croit avoir rêvé est convaincu de la réalité de son aventure par la présence d’un objet ramené de l’autre monde. Mais quand c’est bien, on en redemande et cette réécriture garde sa part d’originalité et sa qualité malgré ces parentés.

 

Roméo et Juliette

Roméo et Juliette
Pierre Coran (adaptation de Shakespeare) et Charlotte Gastaut (ill.)
Flammarion, Père Castor, 2018

La tragédie pour les enfants ?

La tragique histoire des amants de Vérone est-elle pour les enfants ? Les auteurs ont fait le pari qu’avec un album aux coloris vifs, avec des personnages aux allures enfantines, des illustrations délicates comme des enluminures, ou pourrait tenter le pari.
Le texte fait alterner résumés factuels (un peu rapides mais comment faire autrement quand on dispose de peu d’espace ?) et brefs et beaux passages poétiques, le dessin est superbe, mêlant différentes inspirations dont certaines ramènent au théâtre (théâtre d’ombres – mais en couleurs ! -, décors de théâtre de carton) à des volumes à la Escher ou tout simplement à la belle illustration.
Pour ce qui est de la question du début, la réponse est mitigée : cet album réussit son pari dans la mesure où c’est un bel album, avec un texte fidèle au scénario originel et séduisant. Mais chacun jugera si cette histoire d’amour et de mort doit être donnée tôt ou attendre que les lecteurs aient l’âge des héros ?

Rigoli Dingoli Pouf ! ou La vie doit avoir mieux à offrir

Rigoli Dingoli Pouf ! ou La vie doit avoir mieux à offrir
Maurice Sendak
Traduit par Françoise Morvan
MeMo, 2018

Philosophie de la vie… avec un petit tout

Par Anne-Marie Mercier

On ne raconte pas un album de Sendak, a priori. Pour cet album, c’est encore plus évident tant il est insaisissable, au point qu’il a dû décourager bien des éditeurs français avant que les éditions Memo ne s’en chargent.  d’autant plus que celui-ci est un classique (ou devrait l’être).

Jennie (le chien de Sendak à qui est dédié cet album) avait « tout, tout, tout ».
« Elle avait un coussin rond pour dormir à l’étage et un coussin carré pour dormir au rez-de-chaussée. Elle avait son peigne et sa brosse à elle, deux flacons de pilules, des goutes pour les yeux, des gouttes pour les oreilles, un thermomètre, un manteau de lainage pour les jours froids. Elle avait deux fenêtres par où regarder dehors et deux bols où manger. Elle avait même un maître qui l’adorait. »

Mais « La vie doit avoir mieux à offrir » et Jennie part sur les routes en emportant « son cher petit tout dans un sac en tapisserie. Elle rencontre l’aventure, la fragilité et la précarité, et surtout elle nage dans l’absurde. Sendak est ici très proche de Lewis Carroll, avec ce monde à l’envers, un bébé infernal, un lion inquiétant, un château de plus en plus lointain…

Mais on ne raconte pas un album de Sendak, on s’y plonge, on est prs de ravissement devant le siamges sages de ce petit chien bouclé, des servantes en tablier blanc, d’un monde trop sage pour être honnete…

Publié en 1967 sous le titre Higglety Pigglety Pop! or There Must Be More to Life, in a été adapté dans un court métrage d’animation canadien en 2010.

Ravouka, la souris scientifique

Ravouka, la souris scientifique
Teresa Vostradovskà
Amaterra, 2018

 

Ravouka, une sympathique souris qui veut pouvoir répondre aux questions de ses invitées qui doivent lui rendre prochainement visite, est un prétexte pour proposer une mini encyclopédie de la nature aux enfants. Elle les guide d’abord autour de son terrier, puis dans la forêt, au bord de l’étang (et dans l’eau), puis dans le jardin. Chaque double page présente différents éléments (animaux, plantes, larves, etc.) dans un même paysage ; de multiples légendes permettent de rattacher les choses à leur nom.
La partie la plus intéressante est sans doute celle qui propose aux enfants de créer à leur tour, à l’image de Ravouka qui fabrique sa propre encyclopédie : on les invite à faire un herbier, un jardin, un jardin aquatique dans un bocal, un point d’eau pour les animaux… C’est plein de renseignements et de détails sur la vie des animaux, es cycles naturels, la beauté de la nature.

Ma Maison

Ma Maison
Laetitia Bourget, Alice Gravier
(Les grandes personnes), 2018

 

Avant d’entre dans la maison, on suit tout un itinéraire : en train, en bus, à pied… on traverse une ville, un bois, on suit un ruisseau… et tout cela au fil d’un album accordéon qui présente un paysage en continuité, ce qui est une belle performance (quatre mètres au total !). Les couleurs choisies par les auteures, adeptes de la « ligne claire », sont proches d’un univers de bande dessinée un peu ancien et délicat (on songe à Hergé, ou à Pommaux) ; les images fourmillent de détails : objets, animaux, figures que l’ont peut retrouver ensuite dans les pages de garde qui proposent un nouveau parcours de l’album,  joueur.
L’album achevé, on fait un autre voyae à travers les pages intérieures de l’accordéon : on est cette fois entré dans la maison et on en parcourt les pièces : entrée, buanderie, salon, cuisine…, jusqu’aux chambres, puis au jardin qui invite à recommencer la promenade. Ici, tout est plus sage, rangé, propre et net. L’espace semble fait pour les enfants ; leurs vêtements sont suspendus, des jouets les attendent…
L’ensemble est superbe, délicat, et invite à se perdre longtemps dans ses images, à refaire le chemin, à « habiter » le livre qui peut se transformer lui-même en espace clos, le leporello pouvant se placer en cercle fermé comme une petite maison.

Le Bœuf et la grenouille. Fable à ma fontaine

Le Bœuf et la grenouille. Fable à ma fontaine
Dominique Descamps
(Les grandes personnes), 2018

La fable au temps présent

C’est d’abord une petite merveille graphique, combinant différentes techniques (papiers découpés, tampons, aquarelles, encres, etc.), avec de superbes couleurs, le violet foncé du bœuf s’harmonisant avec les verts et les jaunes du monde aquatique de la grenouille. Des rabats, un  pop up et des découpes ajoutent au raffinement de l’ensemble.
C’est aussi une parodie de la célèbre fable de La Fontaine, avec un renversement : le bœuf veut être aussi mince que la grenouille pour pouvoir évoluer avec elle dans les merveilleuses eaux bleues. La moralité est proche de celle de La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf : « la comparaison avec autrui ne porte pas beaucoup de fruit ». Le texte use de toutes les ressources de la poésie pour se faire lui aussi léger et fantaisiste.

La Ville quoi de neuf ?

La Ville quoi de neuf ?
Didier Cornille
Hélium, 2018

 

Loin de la sinistrose qui habite de nombreux albums pour enfants qui, pour faire l’apologie de la campagne, dénigrent la ville et son air pollué, ici, la ville est un objet d’étonnement et d’émerveillement : on la traite à travers un point de vue d’architecte et d’urbaniste, de sociologue également : des innovations de Le Corbusier, remises en contexte , aux expériences écologiques de Berlin, du métrocable (ou téléphérique) de Medellin (Colombie)  au tramway de San Francisco ou au camioncyclette de Christophe Machet, des jardins pour se nourrir ou apprendre aux jardins pour rêver, des musées aux hébergements d’urgence, de nombreux aspects de la ville sont évoqués à travers des thèmes comme l’écologie, les déplacements, les technologies nouvelles, le travail, la place des habitants (et des enfants).
Chaque point est développé avec un exemple précis et fort bien expliqué et présenté : texte clairs, langage simple et précis, pages d’introduction stimulantes et colorées, dessins de bâtiments se présentant comme des maquettes, avec des vues sous différents angles, des vues en coupe, d’en haut, de loin, de près… ou paysages urbains coloriés, tout est beau et neuf, accueillant. On y voit des habitants qui coopèrent, qui créent, qui ont des idées.
C’est un beau parcours, une mini encyclopédie des villes de demain, mais aussi le lieu d’une réflexion, autour de questions comme : Une ville peut-elle être intelligente ? Peut-on créer sa propre ville ? La ville a ici un bel avenir.

La Planète des 7 dormants

La Planète des 7 dormants
Gaël Aymon
Nathan, 2018

Festival de SF

Par Anne-Marie Mercier

On trouve dans ce roman de science-fiction de multiples échos d’œuvres qui ont marqué le genre : La Planète des singes (pour le décentrement par rapport à une perspective terrienne), Dune (pour le désert et ses cultures du sable, ses prophéties plus ou moins truquées qui finissent par advenir), et d’autres sans doute. On y trouve aussi beaucoup d’idées originales et intéressantes, presque trop : il y aurait eu de quoi faire un énorme roman, ou une série.

Mais l’auteur (ou l’éditeur ?) a choisi de faire court. De ce fait, les scènes s’enchainent sans lien, scandées par de nombreuses ellipses, des changements de point de vue. Les caractères des personnages sont bien schématiques, leurs motivations simples. L’ensemble forme un puzzle. Le lecteur doit le reconstituer, tenter de saisir les liens et les causes, cela forme une œuvre curieuse, qui ressemble davantage à un scenario qu’à un roman. Elle plaira surtout à ceux qui aiment aller vite en enchainant les péripéties, plus amateurs de cinéma que de littérature : portrait de l’ado type ? On peut penser que d’autres resteront un peu sur leur faim.

La série des Anton

Anton et les filles
Anton est-il le plus fort ?
Anton et les rabat-joie

Ole Könnecke

Traduit (allemand) par Florence Seyvos
L’école des loisirs, 2015 [2005], 2014, 2016

Jeu philosophique

Par Anne-Marie Mercier

La série des Anton est un régal permanent, dont on ne se lasse pas. Son héros, toujours vêtu de blanc et rouge et portant un chapeau rouge, se confronte aux enfants de son âge, garçons et filles, et met en lumière des comportements caractéristiques, souvent genrés, mais pas toujours, dans les jeux et les conflits.
Dans Anton et les filles, la question est de savoir comment s’introduire dans le jeu des autres, comment être accepté dans un groupe. Faut-il faire étalage de ses qualités, de ses possessions, de ses talents ? Faire « l’intéressant » ? Rien de tout cela, surtout, semble nous dire l’auteur, lorsque l’autre est une fille ou un groupe de filles. La réponse est en apparence simple, mais en fait assez retorse…

Anton est-il le plus fort ? met en scène deux garçons, Anton et Luckas qui se placent en compétition sur cette question cruciale et font assaut d’exagération et de comparaison, montrant qu’un assaut verbal est possible et efficace. Les propositions imaginaires sont inscrites en traits de crayons de couleur, rouge pour Luckas (qui est vêtu de bleu) et bleu pour Anton (toujours en rouge). La chute est comique et met les deux enfants à égalité, tandis que la fin montre que tout cela n’était que des mots, qu’un jeu…

Anton et les rabat-joie est sans doute le plus subtil. On est ici très proche de la psychologie enfantine, où le désastre de ne pas être accepté équivaut à la mort, et où la mort est fantasmée (c’est quoi ? on ne bouge pas, on ne joue pas…?). Anton, refusé dans un jeu par ses amis habituels (Luckas, Greta et Nina), décide qu’il est mort et se couche. Luckas le rejoint bientôt, fâché avec les filles à qui il a emprunté une pelle (pour enterrer Anton, bien sûr) ; puis vient le tour de Nina, fâchée et enfin de Greta qui n’a plus personne avec qui jouer puisqu’ils sont tous morts. Les quatre enfants, couchés ne bougent plus… mais la pluie, mais les fourmis… Au calme succède l’explosion finale et les rires. Le récit se referme sur lui-même et sur le gouter proposé par Anton à ses amis