Passionnément, à ma folie

Passionnément, à ma folie
Gwladys Constant
Rouergue doado 2017

Quand le conte de fées vire au cauchemar

Par Michel Driol

Enfermée dans sa chambre de clinque, Gwen s’est murée dans le silence après sa tentative de suicide. Son premier geste est de demander un carnet sur lequel elle note comment elle en est arrivée là. Bonne élève, elle tombe amoureuse de William le garçon le plus populaire du lycée. Mais celui-ci va petit à petit la vampiriser, la couper de toutes ses amies, la modeler à sa façon, la dévaloriser à ses propres yeux, puis la quitter, comme il avait quitté ses anciennes amies. Petit à petit, Gwen trouve appui sur une autre pensionnaire de la clinique, sur le docteur, sur ses parents, sur ses anciennes amies pour se reconstruire.

Sur le thème de l’amour nocif et destructeur, Gwladys Constant signe ici un roman aux scènes souvent dures, toujours sur la corde raide entre le récit et la mise en garde contre les mécaniques à l’œuvre dans ce genre de relation toxique. Le personnage de Gwen est attachant, dans son intelligence, sa sensibilité, ses questions, ses doutes, son attitude rétrospective. La force du roman, qui procède du retour en arrière, fait que le lecteur voit ce qui se joue, alors que Gwen, trop attachée à William, ne perçoit pas à quel point ce garçon, trop sûr de lui, toujours négatif, aux avis tranchés sur tout, à la fois la fascine et la détruit petit à petit. La description de la relation est précise, minutieuse, l’écriture concise, marquant la force de l’instant vécu et le désarroi de la narratrice, qui cherche à recoller les morceaux épars de son moi brisé. Cette relation de couple s’inscrit sur un arrière-plan sociologique qui est intéressant : Gwen est d’un milieu plus populaire, avec des parents qui tiennent une boutique de farces et attrapes en train de péricliter, alors que les parents de William sont agents immobiliers. Gwen est une littéraire, et le texte est semé de références littéraires, qui vont de Madame Bovary à Twilight, en passant par Baudelaire et Belle du Seigneur. William, en revanche, prétend lire, mais ne lit que des résumés, et passe son temps devant des séries américaines.

L’écriture du journal intime conduit Gwen vers un apaisement : du coup la technique narrative change. L’écriture du souvenir est devenue inutile, Gwen accepte de parler avec le docteur, renoue avec ses anciennes amies et sa famille, et le roman entremêle alors différents genres : la lettre, le dialogue. On se tourne résolument vers un futur enfin à nouveau possible.

Il y a comme une espèce d’urgence dans ce roman, qui parle de harcèlement, de manipulation perverse, de prise de pouvoir sur l’autre, d’abandon de la volonté du sujet. Cette urgence passe par un côté parfois un peu démonstratif, didactique, mais on comprend qu’il s’agit pour l’auteur de conduire le lecteur à réfléchir, à s’interroger, voire à lui donner des pistes pour identifier le genre de piège dans lequel il pourrait tomber à son tour, au sein de son couple, de sa famille, de son lycée ou, plus tard, de son entreprise,. Au fond, il y a chez Gwladys Constant la conscience de ce que peut la littérature. Même si le personnage de William, ses motivations, ses manques sont analysés, on se situe ici explicitement du côté des victimes et de leur impuissance.

Un roman dur, mais malheureusement, d’actualité.