La Tirade du Nez

La Tirade du Nez
Edmond Rostand, Bruno Gibert
Grasset jeunesse (La collection), 2023

 

« C’est un pic, c’est un cap… »

Par Anne-Marie Mercier

La collection de Grasset, sobrement nommée « La collection », propose des textes contemporains illustrés par des artistes d’aujourd’hui. Cet album propose une double surprise : le texte est un extrait d’une œuvre qui n’est pas destinée à la jeunesse (même si bien des collégiens l’étudient) ; cet extrait est d’ailleurs truffé de difficultés. Les illustrations prennent le texte « au pied de la lettre », c’est-à-dire qu’elles ne représentent pas la scène théâtrale dans laquelle il est énoncé (Cyrano répond à un homme qui l’a provoqué à propos de son long nez, avant de se battre avec lui en duel) mais ce que les propos du personnage, Cyrano, suggèrent, en  métaphorisant ce nez : montagne, perchoir à oiseaux, trompe d’éléphant… Les images de Bruno Gibert évoquent certaines figures surréalistes, utilisant collages, pochoirs, montages photographiques. Elles proposent tout un parcours imaginaire, dans une belle cohérence graphique, liée en partie à la consigne de la collection : « une journée seulement !– pour poser leur regard sur ces textes, et réaliser des images avec une palette limitée à trois ou quatre couleurs ».
Chapeau l’artiste !

L’album de la Collection La Tirade du nez illustré par Bruno Gibert a été sélectionné par la foire de Bologne parmi les 100 titres remarquables publiés en 2023

 

 

Le Nez de Cyrano

Le Nez de Cyrano
Géraldine Maincent d’après Edmond Rostand – illustration Thomas Baas
Père Castor 2017

Il faut imaginer Cyrano heureux…

Par Michel Driol

Cet album adapte, pour les plus jeunes, la célèbre pièce d’Edmond Rostand. Disons tout de suite qu’il ne s’agit pas d’une adaptation de la totalité de la pièce, l’album se focalisant sur le nez de Cyrano et sur la scène du balcon de l’acte 3, à laquelle il donne une autre conclusion. L’adaptation faite ici procède aussi d’un changement de genre : on passe du théâtre au récit. Mais ce récit se trouve finalement assez proche des mots mêmes de la pièce. Ainsi des expressions de la tirade des nez se retrouvent-elles, en version raccourcie pour les enfants, dans un vocabulaire modernisé (tasse et non hanap, par exemple). Le texte fait la part belle au dialogue, entre Cyrano et ses contempteurs. Puis on arrive à l’amour de Cyrano pour Roxane, amour que Cyrano sent impossible. Le personnage de Christian est montré comme l’anti Cyrano : aussi beau que l’autre est laid, aussi bête et grossier que l’autre est fin. Les deux s’unissent alors pour séduire Roxane avant une chute qui s’éloigne de Rostand. Le beau Christian prend à la lettre les mots de Roxane et s’en va. Cyrano s’évanouit de plaisir.  Roxane ferme ses volets. Mais Cyrano est heureux de savoir qu’il peut être aimé.

Cet album – comme toute adaptation – réinterprète le texte de Rostand. Le ton sait être tout à la fois familier – proche de l’oralité du moins – et poétique, jouant des rimes parfois, enjoué et dynamique. Il est fidèle aux personnages, dont il grossit un peu le trait et les caractéristiques, avec le support de l’illustration. Ainsi le nez de Cyrano, d’une couleur rouge prononcée dans un album en gris et rouge, devient-il support pour des dames prenant le thé, épée pointue et menaçante, perchoir à oiseaux, ou piédestal pour Christian devant la fenêtre de Roxane. Christian n’a qu’une qualité, sa beauté. Tout le reste est défauts : voix, esprit… Quant à Roxane, elle n’est plus la précieuse de la pièce, mais simplement la plus belle fille qui soit. De la sorte, les personnages  sont plus proches du jeune lecteur. L’illustration théâtralise le texte, avec la présence de rideaux rouges, de gigantesques ombres portées…

Ce qui se joue, c’est une variation sur l’être et le paraitre. Qu’est ce qui fait la valeur d’un homme ? La beauté du corps ou l’esprit et la façon d’utiliser la langue ? Ce qui séduit Roxane ici, ce sont les mots et c’est ce qui rend Cyrano heureux.