Je ne suis pas un monstre

Je ne suis pas un monstre
Tristan Koëgal
Romans Didier Jeunesse 2021

Migration et mythologie

Par Michel Driol

Asha, une jeune migrante, échoue sur une plage après avoir fait naufrage. Pas trace de ses compagnons de traversée. Juste le collier que portait son frère, parti avant elle, sur le sable. Pénétrant dans la forêt, elle découvre un monde inquiétant, où règne la cruelle magicienne Circé, qui a le pouvoir de transformer tous les humains en monstres. Asha n’y échappe pas et voit, peu à peu pousser poils et cornes. A force de résister, de répéter qu’elle n’est pas un monstre, pourra-t-elle retrouver visage humain ? En alternance avec ce récit, d’autres chapitres montrent que tout ceci n’est qu’un cauchemar, et qu’Asha a été recueillie par le fils d’un pêcheur emprisonné pour avoir porté secours à des migrants.

Voilà un roman qui tisse avec intelligence la mythologie grecque et le sort des migrants. On y croise de nombreux personnages mythologiques, souvent nommés de leur nom grec, de façon à ce qu’on ne les reconnaisse pas tout de suite. Ainsi Damaste, Khimaira, Alcide voisinent avec les Harpies, Pan, Narcisse, Echo et d’autres nymphes. Outre la forêt magique et dangereuse, le roman conduit aussi son héroïne aux Enfers, dans le royaume des ombres.  Le récit mêle avec subtilité ces éléments mythologiques avec  des détails de l’intérieur de la cabane de pêcheur où Asha délire : le lion de Saint Marc, la toile d’araignée… deviennent dans son cauchemar Khimaira ou Arachné.

Le recours au fantastique et à la mythologie est une belle façon d’avoir recours à l’imaginaire pour parler de la situation des migrants. Certains voudraient en faire des monstres, alors qu’ils n’aspirent qu’à être humains. Ils ont à résister et à se battre contre des formes de pouvoirs incompréhensibles, arbitraires, et sourds à leurs demandes. Ils ont à se battre contre un monde qui existe ainsi, de toute éternité, pour pouvoir le changer. Pour autant, ils sont incarnés avec force par Asha, héroïne solaire, qui résiste tant qu’elle peut à la tentation de faire le mal, de se conduire en monstre. Si Asha a des moments de découragement, d’abandon, elle reste ce personnage droit qui refuse d’être assimilée par les autres à un monstre qu’elle n’est pas, et parvient à fédérer toutes les victimes de Circé pour lui arracher son pouvoir. C’est un beau personnage de femme résistante, pure et attachée à préserver sa part d’humanité et sa dignité. Sans décrire la fin du roman, on dira qu’il se clôt sur des séquences optimistes, dans lesquelles sont montrés et promus l’accueil des migrants et l’hospitalité.

Un roman à la fois intelligent par sa construction, sa réutilisation de la mythologie grecque, et sensible par le point de vue de son héroïne qui, au milieu d’un univers cauchemardesque, lutte pour conserver sa dignité de femme en quête d’un pays d’accueil.

Catfish

Catfish
Maurice Pommier

Gallimard Jeunesse 2012

                                                                                                         Par Maryse Vuillermet

 

 Un magnifique album !

Trois récits entrecroisés : celui de Vieux George,  esclave, jadis Kojo fils de prince capturé et vendu comme esclave qui recueille Catfish, échappé d’un bateau en provenance des Antilles et l’élève dans la plantation. C’est enfin l’histoire de Jonas, tonnelier anglais chassé par la misère d’Angleterre et qui apprendra son beau métier à l’enfant futé, vif, habile mais peu costaud.

Jonas s’enfuit avec Catfish, alias Scipio  et il affranchira Scipio  qui deviendra le premier fabricant américain de rabots.

Les histoires sont touchantes, le sens du récit qui les entrecroise sans nous perdre est solide. On embrasse plusieurs continents et plusieurs époques, dont la guerre de Sécession.   La langue des opprimés est savoureuse,  ainsi le régisseur s’appelle le blancquitape. .

 

L’illustration est superbe, le dessin est riche et généreux, les couleurs fortes, de très nombreux documents historiques sont utilisés, affiches de ventes d’esclave,  cartes, extraits de texte de bible, cartes à jouer. Le didactisme est là, mais jamais forcé ,jamais ennuyeux. On apprend  la vie d’une plantation, la complexité et la beauté des métiers et des savoir-faire, (éleveurs, laboureurs,  producteur de tabac, de sucre,  tonnelier), la traite des êtres humains, le traitement des esclaves..