Le Retour de Cherokee Brown
Siobhan Curham
Flammarion (tribal), 2013
« Alors comme ça vous voulez écrire un roman ? »
Par Anne-Marie Mercier
A presque 15 ans, quand on s’appelle Claire Weeks, qu’on est incomprise par sa famille, qu’on n’a jamais connu son père biologique, qu’on boite, qu’on est devenue le souffre douleur de sa classe depuis le départ de la seule amie qu’on a jamais eue, qu’espérer de la vie ?
Une solution : le changement de nom : on découvre qu’on s’appelle Cherokee Brown, que le père qui a lâchement abandonné femme et enfant ne demandait qu’à se racheter et qu’en plus c’est un musicien de rock talentueux mais désargenté et que son meilleur ami a 18 ans et les yeux verts. La littérature de jeunesse n’en finit pas de réinventer de nouveaux contes de fées et de flatter le vieux rêve de l’enfant trouvé : mes parents ne sont pas mes vrais parents, les vrais sont bien mieux, etc. Ajoutons : tout le monde est méchant avec moi (on a du mal à croire au harcèlement dont elle est victime au lycée, au vu et au su de tous les élèves et de professeurs muets).
Pourquoi ce roman ne m’est-il pas tombé des mains ? Eh bien parce qu’il m’a fait rire, mais je ne sais pas si des adolescents le liront au second degré. Le charme de ce roman est dans sa maladresse même : il est écrit à la première personne au jour le jour par Claire, avant de devenir Cherokee, lorsqu’elle décide d’écrire après avoir trouvé un livre d’occasion intitulé « Alors comme ça vous voulez écrire un roman ? » d’Agatha Dashwood. On devine derrière cette écrivaine un peu ringarde les noms d’Agatha Christie et de Jane Eyre (Marianne Dashwood est l’une des héroïnes de Raison et sentiments, son premier roman). Les « extraits » de son œuvre placés en tête de chaque chapitre sont d’une naïveté comique, par exemple, avant un chapitre qui se passe à Montmartre – Claire vit à Londres et son merveilleux père l’emmène à Paris : « Le lieu de l’histoire est essentiel pour créer l’atmosphère. Pourquoi situer une scène d’amour dans une décharge publique de Grimsby quand vous pouvez l’avoir dans le paysage romanesque des Cotswolds ? ». Montmartre, c’est tellement romantique !
Certes, chère Agatha. En attendant, Claire a réalisé son envie d’écrire et est ainsi devenue Cherokee, démontrant qu’écrire peut servir à se reconstruire. On espère que les lecteurs comprendront bien qu’en dehors de ce message, tout le reste, y compris Claire et surtout Cherokee, est « pure » fiction.


A l’instar du héros du film de Christopher Nolan, l’héroïne, Lili, a des problèmes de mémoire et pour y remédier, rédige des notes tous les soirs sur sa journée : en effet, elle ne se souvient pas du passé. Toutes les nuits, à 4h33, son « disque dur » s’efface et elle recommence sa vie à zéro. Enfin, pas tout à fait car elle se souvient de l’avenir, ce qui peut expliquer qu’elle arrive à suivre des études à peu près normales, en première. Sur cette base, le roman explore quelques pistes intéressantes : le rôle de l’écriture, la part de mauvaise foi ou de traumatisme qui préside à l’effacement de certains souvenirs, le caractère inéluctable (ou non) du destin. De plus, sur le plan narratif, la situation permet des effets de suspens efficaces. Au prix de quelques incohérences: comment Lili se souvient-elle de vagues connaissances alors qu’elle redécouvre l’amour de sa vie tous les matins (j’ai eu beau être attentive : je n’ai pas repéré d’explications) ? A part cela, le roman n’est pas très original : le contexte reste celui d’un lycée américain et décrit les tourments de l’adolescence. Mêmes élèves, mêmes cours, mêmes histoires d’amour, même méfiance face au « passage à l’acte », noyée dans un érotisme diffus, que dans les histoires de bit lit, où l’anormalité de l’héroïne ressortit plus au genre fantastique. Mêmes relations difficiles avec les parents, mêmes angoisses existentielles : que vais-je mettre aujourd’hui (significativement, tous les mémos de Lili commencent par : « tenue »).Cela dit, le récit est bien mené : on a envie de débrouiller les fils compliqués de la mémoire de Lili mais la fin semble à la fois trop dense (à côté du début un peu lente et bâclée, confuse. Certains, sur le Net, y voient la promesse d’un deuxième tome…