BZRK, 2 ( Révolution)

BZRK, 2 ( Révolution)
Michael Grant
Traduit (anglais, États-Unis) par Julien Ramel
Gallimard Jeunesse, 2013

Entomorphose

Par Matthieu Freyheit

BZRK, 2 ( Révolution)Le premier tome contenait quelques longueurs et pouvait faire redouter l’expansion de l’intrigue sur deux autres gros volumes. Il pêchait, aussi, par certains excès de langage – certains clichés – qui pouvaient alourdir l’ensemble, tandis que d’aucuns pouvaient être rebutés par la représentation dérangeante de ‘la viande’ dans laquelle descendent les héros. Malgré tout, le roman fonctionnait très bien, et la réflexion bio-technologique proposée par l’auteur mérite de l’attention, d’autant qu’elle demeure, parfois, relativement complexe pour des adolescents comme pour des adultes.

Le deuxième tome balaie nos appréhensions. L’intrigue lancée, ce volume se permet d’avancer sans relâche, nourri du talent de l’auteur pour créer des personnages parallèles, et parfois s’en débarrasser aussitôt. Complexe sans être compliqué, BZRK Révolution délivre avec une langue claire les motifs d’une pensée riche sur les usages technologiques, mais également sur le devenir de l’humain et le posthumain. Qu’est-ce qu’être humain ? Comment définir l’individu quand l’individu semble, a priori, se diviser en son propre sein ? Car Keats et Plath apprennent à se servir de leurs biobots respectifs, alter-egos entomorphés dont la perte les entraînerait dans une folie profonde.

Michael Grant échappe par ailleurs à bien des stéréotypes : l’intégration technologique ne signe peut-être pas un adieu au corps, mais trouve au contraire la voie d’un renouvellement de notre indivisibilité. L’axiologie, en revanche, est davantage marquée que dans le premier volume : les bons et les méchants se distinguent (parfois trop nettement pour les seconds), malgré quelques doutes et quelques hésitations qu’on aurait souhaités plus nombreux. Les jumeaux Armstrong, certes hideux dans le premier tome, deviennent franchement monstrueux. Quant au couple de héros, Sadie et Noah, alias Plath et Keats, ils prennent leur importance respective, tout en nageant dans la confusion de leur relation. Car dans cet univers de contrôle et de maillage des esprits, rien ne semble digne d’un total crédit : qui/que croire ? Les sentiments ressentis ont-ils été ‘préparés’ ? Se battre pour le libre arbitre, certes, mais le libre-arbitre existe-t-il seulement encore, ou le combat vient-il trop tard ?

L’aventure, quoique surreprésentée, n’arrive pas à son terme. Quelques revanches (espérées) sont prises, et la balance s’équilibre entre BZRK et Nexus Humanus, tandis que le nœud se resserre continuellement. Le posthumain, visiblement, n’a pas de repos. Et c’est tant mieux pour nous, lecteurs encore humains (pour le moment).

BZRK

BZRK
Michael Grant

Traduit (anglais, États-Unis) par Julien Ramel
Gallimard Jeunesse, 2012

BZRK ? Vous avez dit BZRK ?

Par Matthieu Freyheit

BZRKJe ne vous présente pas Michael Grant. Auteur de la série Gone et co-auteur (avec son épouse) d’une autre série, Animorphs (qui bénéficie d’une nouvelle édition, voir notre chronique du 8 novembre dernier), Grant n’est pas un anonyme des succès. Dans cette nouvelle trilogie en cours, l’infiniment petit met en jeu l’infiniment grand par le truchement des fascinantes et effrayantes nanotechnologies. Lorsque le milliardaire Grey Mc Lure décède avec son fils (il n’y a pas d’accident dans les sourdes guerres de Michael Grant), il laisse derrière lui l’empire de ses innovations technologiques et pharmaceutiques. La plus importante d’entre elles : les biobots, hybrides d’adn et de nanotechnologie, capables d’évoluer à l’intérieur du corps afin de soigner les cellules malades. Dans ‘la viande’, comme disent les initiés.

Bien entendu, la nanotechnologie Mc Lure fait des envieux et donne naissance aux espérances les plus folles. Parmi les concurrents, le groupe Nexus Humanus vise, comme son nom l’indique, un nouveau stade de l’évolution humaine (encore un !) : « une interconnexion globale de tous les individus qui la composent ». La condition à cette utopie technologique ? Abolir le libre-arbitre au profit d’une pensée unique dirigée vers le bien commun, mais indifférencié. Une condition que n’accepte pas le mouvement adverse : le BZRK (de go berzerk, disjoncter, sorte d’équivalent au germanique Amok laufen).

D’où une bataille sans merci entre les deux groupes, livrée à échelle macro mais aussi, évidemment, à échelle nano, avec tous les risques que cela comporte : car lorsque les biobots d’un agent sont détruits, celui-ci sombre dans la folie… C’est ce qui arrive à Alex, alias Kerouac, le frère de Noah. Noah ? Le héros de l’histoire, embrigadé presque malgré lui au sein du BZRK afin de remplacer son frère. Il fera équipe avec Sadie Mc Lure, dernière héritière de l’empire paternel, enrôlée elle aussi.

Michael Grant fait preuve d’une belle originalité dans le sujet, et s’y tient dans une écriture aux prises avec le réel que nous connaissons comme avec l’infime corporel : la viande promet quelques voyages intéressants dans une nouvelle géographie de l’aventure. Les deux réalités se combinent et se superposent, conférant à l’ensemble un rythme plutôt enlevé. On aurait bien échappé à quelques stéréotypes désormais éprouvés et éprouvants (pourquoi faut-il que les yeux des héros soient toujours d’une couleur ‘surnaturelle’ ???), mais l’ensemble fonctionne fort bien et le sujet se précise au fil des chapitres. Les personnages secondaires possèdent un véritable relief, l’auteur fait preuve de constance, et trouve également un bel équilibre entre la complexité d’un thème et l’efficacité de sa mise en œuvre. Michael Grant, qui a les qualités d’un autre Michael (Crichton), donne à la science-fiction un volume réfléchi et dénué de niaiserie, même si le style reste parfois convenu. Il reste à espérer que le deuxième tome, déjà en librairie, confirme la valeur (et surtout la nécessité) d’une trilogie, au détriment d’une forme plus ramassée.