Chanson de l’hippocampe et autres poèmes

3033Chanson de l’hippocampe et autres poèmes
Aimé Césaire – Illustrations Charline Picard
Gallimard Jeunesse – Enfance en poésie

Une profonde voix d’outre-mer

Par Michel Driol

Le recueil rassemble six extraits de deux textes d’Aimé Césaire : Et les chiens se taisaient (1946 – publié en 1958) et Moi laminaire (1982). Ils donnent à entendre une poésie ample, anaphorique, qu’on sent destinée à la profération plus qu’à la lecture solitaire et silencieuse. Ils disent une prise de parole qui s’assume, celle d’un homme fondateur du concept de négritude dès les années 30, parole destinée à être dite sur le théâtre car Et les chiens se taisaient est en fait une tragédie lyrique qui pose la question de la solitude d’un héros entier, refusant le compromis, jusqu’à la mort.

On regrette l’absence de paratexte : certes, il y a une biographie de Césaire, une carte de la Martinique, et une belle introduction de Guy Goffette. Mais on aimerait que soit précisé ce qu’est un laminaire, et que Et les chiens se taisaient est une tragédie où il est question d’engagement et de mort. A ce compte, c’est la dimension politique de Césaire qui est en quelque sorte gommée par la publication.

Reste, heureusement, la poésie de Césaire, ce qu’elle dit du monde et comment elle le dit. Il est question de fraternité, de respect des différences et de protection mutuelle. Il est question du pouvoir des mots sur le monde. Il est question d’un nouveau monde à bâtir avec les débris de l’ancien. Il est question de la nature, volcans ou hippocampe, et le lecteur est invité, implicitement, à chercher de quels hommes ils sont les métaphores. Tout cela est proféré dans une langue riche tant par son lexique que par sa structure. Couresse, éther, tutélaire, cadène, rhombe, autant de mots  que le jeune lecteur ne connait pas forcément, mais qui, par leur étrangeté même, disent un autre monde et un ailleurs. Les poèmes sélectionnés jouent abondamment de l’anaphore et de la liste, comme une façon de tenter d’épuiser la diversité du monde et des êtres, ou le travail qui reste à accomplir vers un monde meilleur.

Très colorées, les illustrations montrent, sans exotisme, le monde maritime et volcanique de la Martinique.

Un recueil riche, mais qui nécessite un accompagnement assez précis à l’égard du jeune lecteur.

Cet ouvrage fait partie de la sélection pour le prix de la poésie Lire et Faire lire 2018

Sauveur et fils (saison 1)

Sauveur & fils (saison 1)
Marie-Aude Murail
L’école des loisirs, 2016

Cas cliniques entre Orléans et Martinique

Par Anne-Marie Mercier

sauveurSauveur Saint-Yves est psychologue; il reçoit en consultation des enfants et des adolescents, seuls ou avec leur famille, des adultes… Dans les séances que l’on voit se dérouler régulièrement, à raison d’une par semaine, on suit les problèmes de scarification, de maltraitance, de désamour, de familles recomposées (hétéro et homo), de folie douce ou furieuse, et tout çela est fort intéressant. Chaque séance est un épisode d’un feuilleton dont on n’a la suite qu’après avoir lu entre-temps celles des autres patients. Le sous-titre s’explique ainsi.

Sauveur Saint-Yves est père. Sa femme est morte depuis des années; il élève seul son fils, Lazare. Il lui donne beaucoup d’amour et d’attention, mais peu de temps, les pizzas surgelées comblant ce manque d’une part, les silences sur la mère disparue le creusant d’autre part. Lazare a découvert le moyen d’écouter en cachette les confidences des patients de son père. Il apprend beaucoup sur la vie en combinant ces propos avec ce qu’il trouve sur internet. Il a un ami, un seul, mais c’est une relation forte. Cet ami à une mère qui, divorcée, l’élève seule elle aussi, et s’intéresse à Sauveur. Les relations entre humains sont doublées de façon comique par les aventures du hamster de Lazare, madame Gustavia, et de sa portée.

Sauveur Saint-Yves est noir, d’origine martiniquaise. Lazare est un peu plus clair, sa mère était blanche comme les parents adoptifs de Sauveur. Les questions sur les origines, le racisme, le langage pour en parler sont diffuses tout au long du récit et explosent vers la fin.

Ce roman, doublement psychologique, est sous-tendu par une intrigue de thriller : des objets maléfiques issus de la sorcellerie martiniquaise sont déposés devant la porte des Saint-Yves, un homme rôde, Lazare est en danger de mort… Le dénouement passe par une scène pleine de suspens suivie du récit d’un séjour à la Martinique où le père fait découvrir au fils la culture, la faune et la flore de l’île, tout en lui révélant les secrets qui lui ont été cachés jusque là – et que le lecteur découvre avec lui.

Tous ces ingrédients se mélangent bien, le thriller prenant le relais lorsque les énigmes posées par les patients commencent à se résoudre. Les drames sont évoqués sans top de pathos, l’humour du psy, sa réflexion sur les mots et les postures créant une légère distance. C’est riche et passionnant, à tous points de vue.