Au 2ème étage

Au 2ème étage
JonArno Lawson – Illustrations de Qin Leng
D’eux 2023

Changer la vie…

Par Michel Driol

Une petite fille vit avec un de ses grands-parents, qui tient un magasin général dans un immeuble bien défraichi. Au second étage, il y a un appartement qu’il tente de louer. Mais, sans doute devant l’importance des travaux à effectuer, sept visiteurs renoncent. Un jeune couple se présente, et ce n’est que sur l’insistance de la petite fille que le grand-parent accepte de louer. Ce jeune couple se révèle bricoleur, rénove l’appartement, repeint la boutique dans laquelle il semble désormais travailler, et tout se termine par une fête sur le balcon.

Voilà un album qui sort de l’ordinaire à plus d’un titre. D’abord, c’est un album sans texte, et ce doit bien être le premier que l’on chronique ici à indiquer un nom d’auteur qui n’est pas aussi illustrateur : c’est dire à quel point le travail sur le scenario a dû être important, et l’on aimerait bien savoir comment auteur et illustratrice ont collaboré. Les aquarelles de Qin Leng découpent la page, à la façon d’une bande dessinée sans cadre, jouant sur la taille des vignettes, les gros plans, les plans larges, comme une façon de donner à percevoir le temps qui passe.  Avec beaucoup de délicatesse dans les détails, les couleurs, les illustrations disent à la fois la routine et les habitudes et le changement que le jeune couple apporte.

On pourrait en rester là si la dédicace « Pour les militants trans de tous les âges », signée de l’auteur, ne figurait en bonne place… Ce qui incite donc à relire, avec peut être un autre regard, l’album. Et d’abord constater le genre indifférencié du grand-parent : grand-père ? grand-mère ? Tout comme l’indifférenciation du genre du voisin (de la voisine ?), avec son éternel  pantalon rouge à pois blancs. Quant au jeune couple de locataires, si l’une a bien tous les attributs de la féminité (jupe, cheveux longs), l’autre semble bien plus androgyne par sa silhouette, sa coupe de cheveux, ses vêtements. Il – ou elle – porte de façon discrète une ceinture aux couleurs de l’arc en ciel, et, sur une image, un bonnet aux mêmes couleurs. Quelles sont les raisons des réticences du grand-parent à leur louer la boutique ? Le fait qu’ils soient un couple interracial ? Transgenre ? Homosexuel ? On apprécie la délicatesse avec laquelle cela est montré avec finesse, tout comme le rôle de la petite fille qui semble avoir senti ce que ce jeune couple pouvait apporter. La volonté de l’album est de ne pas choquer son public, mais de procéder par allusions auxquelles, selon sa culture, son degré d’information on sera ou pas sensible.

Car, au fond, cet album est un plaidoyer, en acte, pour l’acceptation de la différence et l’abolition des préjugés. Il parle de relation intergénérationnelle, de transmission (physiquement d’une boutique, mais de bien d’autres choses en fait), de rénovation et de l’énergie nécessaire pour redonner la vie à une maison abandonnée, et il montre dans le dernier plan comment cette énergie, cette volonté de transformer la vie, se communique aux autres maisons. Tout ceci sans un seul mot – à l’exception d’une enseigne sur laquelle le mot Amis est rajouté à l’historique Lowell – Magasin général. C’est dire l’importance ici des actes, des attitudes, de ce que l’on fait ensemble. Ajoutons à cela, pour terminer, une allusion à une intrigue secondaire qui réunit la petite fille et un chat abandonné qui trouvera, lui aussi, une famille.

Qu’est-ce que faire famille aujourd’hui ?  Qu’est-ce que vivre ensemble ? Comment faire revenir la joie et redonner vie ? Voilà un album qui, sans aucun texte, mais avec un scénario rigoureux, avec des illustrations précises, invite à s’interroger sur ces questions, avec optimisme, avec beaucoup de tendresse et avec un certain sens de la fête ! Un feel-good album, bien réconfortant pour défendre l’amour, l’amitié et la solidarité.

La Femme qui attendait un enfant à aimer et l’homme qui attendait un garçon

La Femme qui attendait un enfant à aimer et l’homme qui attendait un garçon
Alain Serge Dzotap – Illustrations d’Anne-Catherine De Boel
L’école des loisirs – Pastel – 2022

La petite fille dans les raphias

Par Michel Driol

Quelque part en Afrique, une femme est enceinte. Son mari, qui désire un garçon, lui ordonne de se débarrasser de l’enfant si c’est une fille. Alors que l’homme est parti travailler longtemps, elle accouche de jumeaux, un garçon et une fille. Bien qu’elle fasse tout ce qu’elle peut pour cacher et protéger la fille, son mari la découvre et la jette dans le torrent. Mais le conte ne s’arrête pas là, et nous conduit vers une fin heureuse et morale !

Reprenant les formes traditionnelles du conte, se coulant dans la voix du griot qui raconte simplement ce que dit le conte, d’où il vient et quand il s’arrête, Alain Serge Dzotap propose ici une histoire qui reprend les figures des contes populaires de tous les pays. Le désir du père d’avoir un garçon, la fille mal aimée et rejetée, recueillie par des gens simples et honnêtes, et qui finit par épouser le fils du roi… On a plaisir comme lecteur à retrouver ces fonctions essentielles du conte, telles que Propp les avait définies. Dans une langue qui fleure bon l’oralité, pleine de pudeur et de sensibilité, voilà une histoire universelle qui parle de ces petites filles abandonnées dans de nombreux pays simplement parce que nées filles, de ces pères sans cœur, mais aussi d’amour maternel. Un conte qui interroge sur la véritable fonction parentale : qui est le vrai père ? Le père biologique ou le père qui a élevé l’enfant. Bien sûr, les bons sont récompensés. Mais c’est aussi une histoire fortement inscrite dans l’Afrique, pas seulement par les magnifiques illustrations en double page, colorées, animées, vivantes, expressives qui donnent à voir de nombreux détails pittoresques d’une vie africaine traditionnelle : statues, fétiches, étoffes, costumes, instruments de musique… Le texte lui-même, dans ses formules, dans sa façon de dater le temps, connote l’Afrique, continent de naissance de l’auteur.

Un bel album à la fois intemporel et si actuel, qui dit la valeur de la générosité et de l’amour parental, qu’on soit parent biologique ou parent d’adoption, avec des personnages qui ont une réelle épaisseur psychologique dans leurs sentiments, dans leurs propos, et qui fait regretter, à la dernière page, que le « conte [soit] fini plus haut… »