Chacun son tour !

Chacun son tour !
Marianne Dubuc
Saltimbanque 2023

Prendre son envol

Par Michel Driol

Quatre amis, Souris, Ours, Tortue et Lapin découvrent un œuf et décident de le garder chez eux, chacun son tour. L’œuf, choyé par tous, éclot et donne naissance à Petit Oiseau qui sera bien accueilli par les quatre amis. Mais, un jour, il disparait, se construit une maison, y invite les quatre amis, et leur pose la question de son nom…

Cet album prend la forme d’une bande dessinée, soit avec quatre vignettes par page, soit en pleine page. On retrouve tous les codes de la bande dessinée adaptés ici aux plus jeunes lecteurs, ainsi qu’un découpage en chapitres correspondant à l’espace et au temps qui passe. Le vocabulaire simple, le graphisme particulièrement clair en font un album de bande dessinée particulièrement lisible.

L’album, avec tendresse et douceur, parle d’amitié, d’accueil, de naissance, d’éducation et d’autonomie. Amitié et bienveillance qui sont les caractéristiques essentielles des quatre amis, unis malgré leurs différences montrées de façon très visuelle dans l’intérieur de leurs maisons, qui correspondent à leurs passe-temps ou à leurs gouts. Pas de dispute lorsqu’ils découvrent l’œuf et décident de le garder, chacun son tour, sans bien savoir à quoi ils s’engagent… Cet œuf a quelques propriétés remarquables : il parle, dit ses besoins (de chaleur) tout comme l’oiseau dira les siens, dictant ainsi leur comportement à ses « parents » adoptifs. Ces derniers se mettent en quatre pour lui : Souris coupe un bout de sa couverture, Lièvre lui ouvre grandes ses réserves. Une fois les premiers besoins (de nourriture) satisfaits, Petit Oiseau a besoin de s’ouvrir au monde de l’imaginaire et des histoires. Et c’est enfin la prise d’autonomie : il n’a plus besoin des quatre amis, devient indépendant. Beau chapitre très touchant dans lequel s’opposent ce désir d’indépendance et les réticences des « parents », qui le trouvent trop petit. L’invitation, et les illustrations de l’intérieur de la maison de Petit Oiseau qui montrent aux murs les portraits des quatre amis, sont comme une belle façon de montrer ce lien filial qui existe entre eux.  Cela pourrait s’arrêter là, mais Petit Oiseau pose la question de son nom et de celui des quatre amis. Ils se nomment par leur espèce. – Pourquoi t’appelles-tu tortue ? – Parce que je suis une tortue… C’est toute la question de l’identité qu’il pose alors, conduisant ses ainés à réfléchir sur eux-mêmes. Belle façon aussi de montrer que chacun a quelque chose à apprendre de l’autre, et que les plus jeunes peuvent aussi faire bouger les choses.

Un album dont les personnages sont représentés de façon anthropomorphe, avec un Petit Oiseau craquant à souhait, tout en duvet jaune. Les intérieurs des maisons sont remplis d’une multitude de détails (photos, bibelots, œuvres d’art…) qui invitent le lecteur à s’attarder sur chaque case… Légèreté du texte, légèreté de l’illustration aux couleurs pastel, tout est là pour contribuer à la réussite de cet album qui évoque, avec sensibilité et d’amour, toute une période de la vie qui va de la gestation d’un enfant à son besoin d’affirmer son indépendance. Tout cela de façon oblique, avec quelques animaux bien sympathiques et empathiques, et sans grandes phrases… Car chacun son tour, c’est évidemment la question de la succession des générations que pose cet album.

C’était pour de faux

C’était pour de faux
Maxime Derouen

Grasset Jeunesse 2019

Du grand débat dont furent faites grosses guerres

Par Michel Driol

A l’école, Sophie la girafe est en pleurs. Pourquoi, demande la maitresse ? Parce que Bruno le crocodile lui a tiré la capuche. Mais c’était pour de faux, dit ce dernier… Le directeur consulte le règlement : rien sur les tirages de capuche pour de faux… Sentant leurs enfants en insécurité, les parents d’élèves manifestent. Le lion président doit prendre une décision… et s’en tire par un rugissement qui ne satisfait personne. Cela devient une affaire d’état, dont on parle à la télévision, dont les experts s’emparent… Jusqu’au moment où tout bascule dans la guerre civile. C’est alors que Bruno avoue que c’était pour de vrai, et que la réconciliation est possible.

Voilà un album qui parle de mensonge et d’honnêteté, et apprend en quelque sorte à être responsable de ses actes. Un album qui démonte et montre des mécanismes humains, trop humains, d’escalades dans la violence, de mésentente, et qui interroge que les comportements des adultes et des enfants, l’incapacité des uns à désamorcer ce qui est en train de se jouer, et la capacité des autres à se situer dans le vrai une fois les limites franchies, à avouer. Comment un fait divers peut-il mettre en péril l’équilibre d’une société ? Comment les politiques et les savants, les intellectuels s’avèrent-ils incapables de penser le monde et de gérer les conflits, à tout le moins de les apaiser ? Quoi qu’il en soit, la vérité sort de l’enfant responsable, qui, avouant sa bêtise, assume le pouvoir de rétablir la paix civile.

 Cette mécanique implacable est  accompagnée par un texte et  des illustrations pleins d’humour : humour des jeux de mots et du jeu avec la langue et les expressions figées (les larmes de crocodile, monter sur ses grands chevaux…), humour des illustrations qui montrent des personnages pleins d’expressivité, mi animaux, mi humains par les vêtements et les lieux montrés (l’école, la ville, le palais…).

Un  album pour apprendre ensemble à vivre ensemble et à gérer les conflits.