Furio !

Furio !
Gilles Baum – Illustrations Chiara Armellini
Les Editions des Eléphants  – 2019

Ecoutez la ballade de la désescalade

Par Michel Driol

Deux rois s’observent, du haut de la plus haute tour de leur château. A la grimace que fait l’un, l’autre répond en baissant sa culotte, ce qui déclenche, bien sûr, la guerre. Et machines infernales d’entrer en action, suivies des lanciers, des archers, des fantassins, des enfants. Mais aucun vainqueur ne se dessine ! On oppose alors les marmitons aux troubadours. Les deux rois ne peuvent que constater que leur château s’est vidé. Ne reste plus qu’à opposer le tisserand et le brodeur pour raconter cette guerre… jusqu’au moment où le tisserand se pique ! Arrêt des hostilités au premier sang. La paix revient, mais les deux rois, sur leurs tours, continuent à se narguer. Par habitude.

 Le dispositif graphique se répète : chacun des rois campe sur sa page. C’est donc le règne de la symétrie agrémentée de subtiles variations. Les deux châteaux évoquent autant les jeux de construction en bois – par leurs formes, leurs couleurs – qu’un orient stéréotypé. Les costumes des deux rois et des fantassins semblent sortis de la tapisserie de Bayeux, revisitée. Les catapultes côtoient les parapluies, les valises à roulette et les rings de boxe. Autant de façon de dire l’universalité du propos. L’album recourt à un traitement burlesque pour aborder ce sujet grave de la guerre et de la paix : aux projectiles des machines de guerre répondent des golfeurs, des pongistes, des chasseurs de papillons… Les enfants ne font la guerre… que jusqu’à l’heure du gouter ! Et quant aux fantassins, c’est au tir à la corde qu’ils combattent ! Ce traitement comique qui vise à dédramatiser les choses semble renvoyer la guerre à un jeu, à infantiliser les deux monarques. C’est sans doute là que se situe le plus important des messages de l’album – soutenu par Amnesty International. La critique des causes de la guerre fait penser à celle de toute une littérature depuis Rabelais. Un élément mineur déclenche une série d’escalades, s’envenime sans que rien ni personne ne parvienne à le maitriser. Le comportement des puissants montre leur superficialité et leur irresponsabilité.  Bien sûr, il faut garder trace du conflit, en montrer les moindres détails. Sur fond de tapisserie de Bayeux, on a comme un lointain écho à l’art de magnifier les batailles – qu’il s’agisse de littérature ou de peinture.

Le texte, écrit au présent, sait se faire à la fois accessible à tous et jouer avec les mots, les exclamations pour adopter le ton du commentateur – qu’il s’agisse de commentaire sportif ou propagandiste – et dénoncer l’absurdité de la guerre.

Ah ! Dieu ! que la guerre est jolie ! quand elle n’est qu’un jeu sur un album. Mais gageons que cet album conduira ses lecteurs à réfléchir aux conflits, fussent-ils ceux d’une cour de récréation.

 

 

Les Joies de la jungle

Les Joies de la jungle
Hubert Ben Kemoun
Gulfstream – Collection Etincelles – 2019

Entartages,  mitraillages, tailladages et dynamitages…

Par Michel Driol

Dans un futur proche, le narrateur, Sonny, comme d’autres gamins des rues, est enfermé dans une école où tout est automatique : des enseignements au dortoir, de la cantine aux contrôles… Il attend l’examen final, qui lui permettra de sortir. Les enfants ne sont en contact avec aucun adulte. Tous les élèves sont connectés à la grande toile, peuvent commander ce qu’ils veulent, et soudain c’est l’escalade. L’un commence à imiter ce qu’il a vu dans une vidéo : un entartage… Se forme alors une première bande d’entarteurs, puis, pour riposter, une autre bande. D’abord ce sont des jeux assez inoffensifs qui ne s’en prennent qu’à la cantine et aux vêtements, puis cela devient de plus en plus violent. Sonny tente, entre Djamilla et Soledad, de rester neutre, et fournit les chefs de bande en devoirs bien faits. Mais quand la neutralité de Sonny doit cesser, toutes les bandes s’unissent contre lui. On ne révèlera pas ici la chute pour laisser intact le plaisir de la découvrir.

Le roman parle bien sûr de notre société : quelle place nous y donnons aux robots et à l’intelligence artificielle, mais aussi quelle place nous accordons aux divertissements et aux réseaux sociaux lorsque la popularité se mesure au nombre de like, et que, pour en avoir plus, les barrières morales cèdent.  Le héros Sonny est attachant dans sa volonté de ne blesser personne, et de tenter de s’en sortir seul, en n’appartenant à aucune bande, en tentant de respecter les lois et les contrats, même non écrits, tel celui qui lui promet une sortie en cas de réussite à l’examen final. Il a 12 ou 13 ans, c’est l’âge des premières amours, l’âge où l’on se laisse facilement entrainer. C’est un roman d’apprentissage que livre ici Hubert Ben Kemoun, apprentissage des valeurs humaines, apprentissage de la résistance contre un monde qui parait inhumain et dégradant dans une belle réflexion sur notre présent, à la portée des plus jeunes.  L’humour du narrateur, sans cesse présent, donne de la légèreté à un propos qui est grave, mais non pesant.

Un roman dystopique, qui confine parfois à l’absurde, à portée d’enfants de 10 ans.

C’était pour de faux

C’était pour de faux
Maxime Derouen

Grasset Jeunesse 2019

Du grand débat dont furent faites grosses guerres

Par Michel Driol

A l’école, Sophie la girafe est en pleurs. Pourquoi, demande la maitresse ? Parce que Bruno le crocodile lui a tiré la capuche. Mais c’était pour de faux, dit ce dernier… Le directeur consulte le règlement : rien sur les tirages de capuche pour de faux… Sentant leurs enfants en insécurité, les parents d’élèves manifestent. Le lion président doit prendre une décision… et s’en tire par un rugissement qui ne satisfait personne. Cela devient une affaire d’état, dont on parle à la télévision, dont les experts s’emparent… Jusqu’au moment où tout bascule dans la guerre civile. C’est alors que Bruno avoue que c’était pour de vrai, et que la réconciliation est possible.

Voilà un album qui parle de mensonge et d’honnêteté, et apprend en quelque sorte à être responsable de ses actes. Un album qui démonte et montre des mécanismes humains, trop humains, d’escalades dans la violence, de mésentente, et qui interroge que les comportements des adultes et des enfants, l’incapacité des uns à désamorcer ce qui est en train de se jouer, et la capacité des autres à se situer dans le vrai une fois les limites franchies, à avouer. Comment un fait divers peut-il mettre en péril l’équilibre d’une société ? Comment les politiques et les savants, les intellectuels s’avèrent-ils incapables de penser le monde et de gérer les conflits, à tout le moins de les apaiser ? Quoi qu’il en soit, la vérité sort de l’enfant responsable, qui, avouant sa bêtise, assume le pouvoir de rétablir la paix civile.

 Cette mécanique implacable est  accompagnée par un texte et  des illustrations pleins d’humour : humour des jeux de mots et du jeu avec la langue et les expressions figées (les larmes de crocodile, monter sur ses grands chevaux…), humour des illustrations qui montrent des personnages pleins d’expressivité, mi animaux, mi humains par les vêtements et les lieux montrés (l’école, la ville, le palais…).

Un  album pour apprendre ensemble à vivre ensemble et à gérer les conflits.