Le Bleu des souvenirs d’été

Le Bleu des souvenirs d’été
Lily-Belle de Chollet
Didier Jeunesse 2024

Dernier été

Par Michel Driol

Salomé et Lucile, deux cousines adolescentes, débarquent comme tous les étés sur l’ile bretonne où habite leur grand-mère, veuve depuis peu. Manque Colombe, la sœur de Salomé, partie à Madagascar avec sa mère qui y tourne un documentaire. Sur l’ile, elles retrouvent Aisling, un peu plus jeune qu’elles, et les deux frères Isaac et Jonas. La maison familiale de la grand-mère doit être vendue pour financer l’EPHAD où elle ira vivre dès le mois de septembre . S’il y a le bleu profond de la mer, il y a aussi les bleus à l’âme, et le blues de l’enfance.

Chapitre après chapitre, le roman fait alterner les points de vue de Lucile et de Salomé, non pas en une écriture en « je », mais en « elle », introduisant ainsi une distance entre le récit et le personnage. Se découvrent alors les blessures de tous les personnages. Salomé qui a du mal à accepter son corps de jeune fille un peu boulotte, ne mange plus rien, et est devenue anorexique, ce qu’elle cache à tout son entourage.  Lucile qui ne parvient pas à se remettre de la dernière soirée qu’elle a passée avec Isaac l’année précédente, de ses mots et de son attitude. On devine que si Colombe n’est pas là, c’est parce qu’il lui est arrivé quelque chose de grave, que l’on tait à tout le monde. Isaac n’est pas l’étudiant brillant que ses parents souhaitaient…  Tous ces non-dits émergent petit à petit dans la parole, révélant une autre image de chacun.

Ce roman psychologique, qui touche à l’intime des personnages présentés, montre une adolescence en crise profonde. Difficulté à accepter son corps, difficulté à accepter sa sexualité ou son asexualité, difficulté aussi à sortir de l’enfance, qu’on espérait éternelle.  Ce retour sur l’île, lieu clos symbolique où sont tous les souvenirs des étés, signe comme une rupture avec une époque insouciante, faite de retour du même année après année. Retour vers l’enfance à l’image des deux sœurs qui, se retrouvant, se blottissent, comme autrefois, dans le même lit. Mais la conscience de la fin fait prendre conscience du réel, de la vieillesse de la grand-mère, des relations familiales difficiles, de l’incapacité à agir afin d’empêcher la vente pour Lucile.

Cette chronique un peu douce mais surtout amère de ce dernier été est poignante. D’abord par les personnages, attachants, mais aussi par la bienveillance qui se dégage du récit qui, loin de les juger, tente de les faire comprendre, de faire éprouver, avec justesse, leurs émotions, leurs sentiments, leurs phobies, leurs angoisses. On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans, écrivait Rimbaud… loin de la jeunesse dépeinte ici qui souffre surtout des relations avec les parents, d’incompréhension, de non-dits, ou d’une pression exercée sur eux afin qu’ils fassent les bonnes études, soient conformes aux attentes étouffantes, toutes choses qui les conduisent à la révolte ou à l’anorexie. Combats perdus d’avance, à l’instar de la maison qu’on vend et des meubles qu’on disperse ?

Après la crise salutaire, après les retrouvailles de toute la famille, il faut accepter l’inévitable, la fin de l’enfance dans un dernier chapitre plus doux qu’amer qui se termine sur le sourire de Salomé, et sur ces mots, j’arrive, promesse d’un futur qui reste à écrire.

Un roman sensible sur l’adolescence, un roman qui sait jouer sur l’émotion, pour dépeindre un âge saisi entre la nostalgie du passé et de l’enfance désormais révolus, et le futur pas si désirable que cela. Un roman surtout qui dit aux jeunes lecteurs d’être eux-mêmes, de se chercher, de s’accepter, et de ne pas être ce que les autres veulent qu’ils soient.