Bearmouth

Bearmouth
Liz Hyder
La Martinière Jeunesse 2021

Mineur de fond…

Par Michel Driol

Le fond d’une mine, à une époque non définie (sans doute le XIXème siècle). C’est là que Crapouille pousse les wagonnets de charbon, sans jamais remonter à la surface. Il apprend aussi l’orthographe, grâce à son ami Thomas, ce qui lui permet d’écrire à sa mère, dont il ne reçoit jamais de réponse. Lorsque Desmond arrive au fond de la mine, il apporte avec lui des idées d’émancipation et de liberté.

Meilleur roman jeune adulte selon de nombreux journaux anglais, cette Gueule d’Ours ne laisse pas indifférent. D’abord par l’écriture, qui respecte l’orthographe phonétique du narrateur. Le Seigneur devient ainsi le Saigneur… Ensuite par ce qu’il dit de la violence du monde dépeint : violence du Maitre de la mine et de la hiérarchie, toute puissante, violence  des rapports entre les ouvriers, violence de l’abrutissement dans la bière les jours de paie ou le dimanche, violence du travail forcé des enfants au fond des couloirs sombres, violence de l’univers concentrationnaire ainsi raconté par un narrateur d’une dizaine d’années qui n’a que de lointains souvenirs du soleil et de la ferme natale. C’est aussi un roman d’apprentissage dans lequel le héros se révèle à lui-même dans son identité et dans ses capacités, passant, sous l’influence de Desmond, de sa soumission à l’ordre « normal » des choses à la révolte, en découvrant la réalité de l’exploitation à travers quelques expériences. L’ordre social, la religion qui le fait perdurer sont ainsi remis en cause dans ce roman dont les personnages ne sont pas épargnés par l’autrice : beaucoup meurent dans des accidents ou sont tués. Si l’histoire est censée se passer au XIXème siècle (conditions de travail dans les mines, habillement du Maitre de la mine…), elle parle de notre époque : du travail des enfants dans d’autres mines de métaux rares, soumission à la religion qui préserve l’ordre social, attouchements sur les enfants, capacité à se révolter, question du genre aussi.

Un roman fort qui s’ancre dans le passé pour décrire notre univers, à la façon des dystopies.

Garçons sans noms

Garçons sans noms
Kashmira Sheth
Ecole des loisirs, 2014,
Traduit de l’anglais par Marion Danton

  L’horreur de l’esclavage des enfants

                                                                                                       Par Maryse Vuillermet

garçons sans noms image Le triste anniversaire de l’incendie et de l’effondrement de l’usine textile de Dacca eu Bengladesh surnommée l’usine de la misère est là pour nous rappeler l’actualité atroce du travail/ esclavage des jeunes femmes ou des enfants dans les pays  en voie de développement.

Dans ce roman, un jeune garçon débrouillard et intelligent, Gopal,  est le narrateur de l’histoire de  sa famille à la fois singulière et représentative de milliers de famille en Inde. Ses parents cultivateurs ont fait faillite à la suite d’d’une récolte trop abondante d’oignons qui a fait chuter les cours. Criblés de dettes, ils sont à la merci de l’usurier et ne peuvent plus que fuir en ville, à Bombay,  en laissant tout derrière eux. Durant le voyage, la famille se sépare du père et le voilà qui disparaît, ne revient plus. La mère, Gopal et ses frères trouvent enfin la masure de l’oncle dans un bidonville où s’entassent déjà des centaines des familles. Gopal pressé d’aider les siens suit un jeune homme qui lui promet du travail. Mais,  dès l’arrivée dans l‘atelier de confection de cadres, il se retrouve enfermé, avec six autres enfants ou jeunes de son âge. Un chef d’atelier a instauré tout un système de terreur, d’humiliation  de privations pour faire travailler ces enfants en leur faisant perdre tout espoir de fuite ou d’une vie meilleure ; il va même jusqu’à les menacer de travailler dans les usines de feux d’artifice très dangereuses, ou de s’en prendre à leur famille. Gopal raconte alors son quotidien atroce, sa fatigue, les humiliations ou sévices corporels imposées par le chef ou ses camarades, le temps, le manque des siens.

 Mais  grâce à son intelligence, à sa farouche volonté de retrouver les siens pour les aider, au souvenir lumineux de sa mère, et à son talent de conteur, il va peu à peu réussir à gagner la confiance des autres enfants.En effet, il faut absolument qu’ils cessent de s’entre-déchirer et forment une équipe soudée pour espérer un jour s’enfuir ensemble.

Le roman est très riche, tous les personnages existent, chaque enfant a une personnalité, une histoire, qu’on découvre peu à peu. Ils n’ont plus de noms car on le leur a interdit, ils sont recroquevillés sur eux-mêmes, évitent de penser et de se souvenir de leur vie d’avant pour ne pas trop souffrir. Le lecteur est pris au piège lui aussi, il s’attache à ses enfants et veut savoir comment ils vont s’en sortir. Gopal va,  grâce à ses histoires, leur redonner une parole puis une identité et enfin, un espoir. C’est ainsi un hymne au pouvoir puissamment réparateur de la fiction.