La fois où j’ai écouté ma mère

 La Fois où j’ai écouté ma mère
Thierry Guilabert
L’école des loisirs, medium  2014,

  Une  communauté de vieilles dames  pour  seul refuge ! 

Par Maryse Vuillermet

la fois où j'ai écouté ma mère image Mila ne sait pas trop où elle va avec sa mère, cette nuit-là. Elles arrivent dans une région très isolée, très sauvage des Cévennes, puis dans un hameau habité par de vieilles dames qui se soutiennent et s’entraident. Sa mère lui a juste dit qu’elles allaient chez sa nourrice, Mado. En fait, elles fuient le mari et père devenu,  à cause de la misère,  aigri puis alcoolique, puis violent.

 Là-haut la vie est rude, chacune contribue à la vie communautaire, Mila lit pour les vieilles dames et ainsi découvre ce qu’est la lecture. Une autre ancêtre ancienne institutrice la fait travailler. Mila et sa mère se reconstruisent peu à peu mais, dans la vallée, la société, la police, les services sociaux n’aiment pas les femmes en fugue et les jeune filles déscolarisées. Tous aident les hommes violents à les retrouver. On sait que la paix de cette communauté drôle et efficace va être brisée, mais on ne peut imaginer de quelle façon.

La fin est haletante et angoissante.

Ce petit roman est attachant, et riche:  entre le somptueux tableau de la nature cévenole, la drôlerie et le caractère utopique de cette communauté de femmes et la réalité sociale de la crise et de son cortège de misères.

Les Artichauts

Les Artichauts
Momo Géraud, Didier Jean et Zad
2 vives voix, 2012

Quand la littérature est utile

Par Sophie Genin

41N-pvrcatL._AA160_Combien de fois a-t-on pu entendre que la littérature « ça sert à rien » ? Cet album sert. Aux enfants témoins de violences conjugales mais aussi aux autres. En effet, l’identification est immédiate à la souffrance rentrée, tue mais tellement visible d’une petite fille tout ce qu’il y a de plus « normale » : elle aime faire ses devoirs sur la table de la cuisine avec sa maman, est forte en français mais en difficultés en maths, mange ses artichauts jusqu’à profiter du coeur, une fois débarrassé de sa barbe, attend impatiemment la visite de son grand frère et la fête du village dimanche, pour laquelle elle portera sa belle robe blanche et le gilet cadeau de sa tante. Oui mais chez elle, le soir, quand il rentre pour le repas, la tension est palpable, tout change dans la maison. La fillette guette l’orage, le craint, le redoute puis s’en protège en se bouchant les oreilles comme s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort. De survie. Elle s’évade dans ses rêves d’avenir. La résilience est en marche.

Les illustrations de cet album tout en retenue et en émotion ajoutent au sentiment de mal être ressenti dans un premier temps : comment le lecteur, impuissant, peut-il supporter d’être le témoin de cette atroce intimité ? Heureusement, la postface, rédigée par le docteur Roland Coutanceau, spécialiste de la question, vient à son aide : moi, lecteur, je peux comprendre et aider, téléphoner, parler. Ouf !

A lire ces mots, vous pourriez penser que ce bel album grand format au titre aussi anodin que la vie apparente de son héroïne est très didactique, au sens négatif du terme, quand le message surpasse la littérarité de l’oeuvre mais il n’en est rien. Pourquoi ? Parce que les concepteurs de ce petit bijou de sensibilité et de pudeur suggèrent et n’assènent pas de jugement. Parce que tous les enfants et adultes qui ont vécu un tant soit peu de traumatismes de ce type s’y retrouvent mais les autres aussi. Parce que les mots ne sont pas des coups de poings mais bien au contraire des bribes d’idées, de pensées, à attraper au vol. Si on veut. Si on peut.

Il est peu de livres qui sont des rencontres et tous les créateurs ne sont pas en mesure de toucher le lecteur au plus profond de ses sentiments, au plus profond de son humanité. Les Artichauts en fait partie. Merci.